ENQUÊTES ?
Publié dans le N°674 de la publication papier du Courrier de Rome
« Trompeurs, c’est pour vous que j’écris … »
1.Depuis quelques temps, la mode est aux enquêtes. Enquêtes d’un nouveau genre, et qui risquent fort de décevoir les amateurs de la regrettée Agatha Christie ou de déconcerter les nostalgiques de feu Georges Simenon et de son inimitable commissaire Maigret. Car les enquêteurs n’y sont plus les policiers ou les détectives, pas même non plus quelque délicieuse Miss Marple. Les nouveaux enquêteurs sont d’une espèce bien décevante, puisqu’il s’agit de la triste espèce des journalistes. Triste espèce, car espèce de ceux qui sont loin d’être rompus aux méthodes de l’authentique justice ; et, qui pire est, sont en mal de divination. Le commissaire Maigret répondait aux questions indiscrètes et prématurées de son Juge d’Instruction en lui rétorquant : « Je ne soupçonne personne et je soupçonne tout le monde » . Les nouveaux enquêteurs, eux, ne soupçonnent pas tout le monde, mais seulement quelques-uns et quelques-unes, toujours les mêmes – et tout le temps.
2. Ainsi le bon peuple des liseurs de l’Internet a-t-il pu apprendre que les écoles de la Tradition catholique représentent un véritable danger : celui d’une évangélisation de la France, tentée par les « catho traditionalistes » , l’un des prodromes les plus inquiétants de cette menace évangélisatrice étant, aux yeux de l’enquêteur patenté, la présence d’une fan de Johnny « chez les tradis ». Sans doute un indice de taille pour ces Hercule Poirot en herbe … Plus récemment encore, le même émule de sir Henry Merrivale postait encore le témoignage de trois jeunes femmes « témoignant de dérives sectaires » , dérives commises, principalement, on le comprend sans peine, dans les écoles tenues par les sœurs dominicaines enseignantes liées à la Fraternité Saint Pie X, dont la photographie prise lors d’une procession apparaît d’ailleurs en pleine page.
3. Trois jeunes femmes … qui témoignent à la barre de l’Internet ! Le commissaire Maigret s’y serait-il mépris ? « Je vous croirai quand vous serez sincère » . Car tout dépend, en effet, du témoignage, et celui-ci repose en grande partie sur la sincérité du témoin. Des femmes émancipées, parmi les anciennes élèves des « bonnes sœurs », il y en a toujours eu. Sont-elles pour autant les garantes irréfutables de la formation reçue par bien d’autres, plus nombreuses, et qui ne se sont visiblement jamais ressenties d’une quelconque « dérive sectaire » ? Qui croire ? Suivons encore l’exemple du commissaire Maigret : « Il attendait aussi longtemps que possible avant de se former une opinion. Et encore ne se la formait-ilpas. Il gardait l’esprit libre jusqu’au moment où une évidence s’imposait à lui ou bien jusqu’à ce que son interlocuteur craque » . L’évidence n’est pas toujours celle qui exerce ses réquisitoires sur les pages de l’Internet.
4. Un autre enquêteur de jadis mériterait qu’on l’écoute, lui aussi. « Je mets sans difficulté », écrit-il,« au rang des conjurations contre une sociétéentière le supplice des Templiers. Cette barbarie fut d’autant plus atroce qu’elle fut commise avec l’appareil de la justice. Ce n’était point une de ces fureurs que la vengeance soudaine ou la nécessité de se défendre semble justifier : c’était un projet réfléchi d’exterminer tout un ordre trop fier et trop riche. Je pense bien que, dans cet ordre, il y avait de jeunes débauchés qui méritaient quelque correction ; mais je ne croirai jamais qu’un grand maître et tant de chevaliers, parmi lesquels on comptait des princes, tous vénérables par leur âge et par leurs services, fussent coupables des bassesses absurdes et inutiles dont on les accusait. Je ne croirai jamais qu’un ordre entier de religieux ait renoncé en Europe à la religion chrétienne, pour laquelle il combattait en Asie, en Afrique, et pour laquelle même encore plusieurs d’entre eux gémissaient dans les fers des Turcs et des Arabes, aimant mieux mourir dans les cachots que de renier leur religion. Enfin je crois sans difficulté à plus de quatre-vingts chevaliers, qui, en mourant, prennent Dieu à témoin de leur innocence. N’hésitons point à mettre leur proscription au rang des funestes effets d’un temps d’ignorance et de barbarie ».
5. Qui peut bien être l’auteur de ces pieuses réflexions ? Quelque inconscient révisionniste ? Un naïf de l’apologétique ? Tel inconditionnel aveugle des communautés religieuses traditionnelles, et de leurs écoles, qui projetterait sur les faits passés de l’histoire ses obsessions victimaires ? Non point. Aux yeux des nouveaux enquêteurs de l’Actu, ce constat peut se réclamer de la plus stricte indépendance de jugement, puisque nous le devons à la plume de celui qui passa en son temps pour l’incarnation de l’anticléricalisme : Monsieur de Voltaire lui-même, l’homme dont la devise bien connue dépasse en audace sacrilège les humeurs les plus outrageantes deLibérationou la plus mauvaise foi de nos jeunes émancipées : « Ecrasons l’Infâme ». Voltaire, quilaisse encore loin derrière lui la hargne anti-chrétienne de nos modernes laïcités. Mais sa hargne à lui n’a rien de vulgaire ni de malsain. Elle brille même de subtilité. Et il est des mensonges qu’elle s’interdira toujours.
6. On a beau être ennemi de l’Eglise, il y a des choses que le bon goût n’autorise pas. Et Voltaire, qui fut l’élève des Pères jésuites, reçut d’eux cette forme suprême de l’intelligence. A la différence des ennemis contemporains de l’Eglise, Voltaire est impie mais non canaille. Ses mensonges sont ceux d’un homme de bon ton. Jamais il ne se risque à de piteux et ridicules amalgames. Il est trop lucide et garde encore trop de bon sens pour cela. On croirait que Molière pensait à lui quand il écrivit : « C’est être libertin que d’avoir de bons yeux ». Car aujourd’hui, n’en doutons-pas, Voltaire passerait pour libertin, c’est-à-dire pour révisionniste ou intégriste, aux yeux de la censure politico-médiatique, qui fait flèche de tout bois, y compris de la vermine la plus répugnante, quand il s’agit « d’exterminer tout un ordre trop fier et trop riche » … Les nouvelles enquêtes sont décidément bien orientées et focalisées sur un type tout particulier de suspects.
7. L’opuscule dont sont tirées les lignes citées plus haut date de 1766. Il a pour titre « Des conspirations contre les peuples ». Voltaire y prend prétexte de la bonne cause des Templiers pour insinuer dans l’esprit de son lecteur que le temps des cathédrales et l’époque de la Chrétienté furent en réalité un temps d’ignorance et une époque de barbarie. La perfidie est perfide, certes, mais elle ne donne point dans l’outrance.
8. Les nouveaux enquêteurs de l’Actu s’essayent laborieusement à leurs chroniques christianophobiques,mais … tout au plus ils étonnent par leur ridicule.
Abbé Jean-Michel Gleize