(II)
1. Sur sa page du 20 mai dernier, le site de l’Association Renaissance catholique fait état, par la plume de Jean-Pierre Maugendre [1], d’une note que Mgr Jordy, archevêque de Tours et Mgr Lebrun, archevêque de Rouen, ont adressé quinze jours auparavant, le 6 mai, en leur qualité de responsables des relations de la Conférence des Evêques de France avec les traditionalistes, à tous leurs confrères sur la participation éventuelle de prêtres diocésains au prochain pèlerinage de Pentecôte Paris-Chartres, prévu pour les 7, 8 et 9 juin. Cette note ne fait que reprendre et résumer les dispositions indiquées dans une lettre adressée à la Conférence des évêques de France le 8 avril dernier par le cardinal Roche, préfet du Dicastère pour le Culte divin et la discipline des sacrements.
2. Les trois principales dispositions en sont les suivantes : il appartient à l’évêque de chaque diocèse qui sera traversé par le pèlerinage de Chartres de donner la faculté de célébrer la messe selon le Missel romain de 1962 [2] ; tous les prêtres célèbreront le sacrement de la pénitence selon le Rituel réformé par le concile Vatican II ; tous les prêtres doivent avoir la possibilité réelle de célébrer la messe selon le Missel romain réformé par Paul VI.
3. De son côté, sur sa page du 29 mai, le journal La Croix donne citation, par la plume de Matthieu Lasserre, de cette note des deux archevêques. « Une organisation, laïque ou ecclésiale », est-il précisé en commentaire des dispositions édictées par le cardinal Roche, « peut certainement convoquer et organiser un pèlerinage, mais n’a aucune autorité en ce qui regarde la liturgie » [3]. Matthieu Lasserre, sur la page citée, voit dans ce commentaire « une référence directe aux conditions posées par l’association Notre-Dame de Chrétienté, qui pose comme condition aux prêtres accompagnant les chapitres sur les chemins de ne célébrer la messe que selon le Vetus ordo ».
4. Ce commentaire des deux archevêques représentant la Conférence des évêques de France se justifie parfaitement, « par soi » [4], c’est-à-dire si l’on se place au point de vue de la nature même de l’Eglise et de son culte liturgique, indépendamment de toutes circonstances. Le canon 1257 du Code de droit canonique de 1917 déclare que « au Saint-Siège seul, il appartient de réglementer la liturgie et d’approuver les livres liturgiques », tandis que le canon 1259, au § 1, précise que « les prières et les exercices de piété ne doivent pas être permis dans les églises ou les oratoires sans la révision et l’autorisation expresse de l’Ordinaire du lieu qui, dans les cas les plus difficiles, doit soumettre toute l’affaire au Siège apostolique » et le canon 1260 ajoute que « les ministres de Église dans l’exercice du culte, doivent dépendre uniquement de leurs supérieurs ecclésiastiques ». Ces dispositions demeurent substantiellement les mêmes dans le nouveau Code de 1983, dont le canon 841 déclare que « les sacrements étant les mêmes pour l’Église tout entière et faisant partie du dépôt divin, il revient à la seule autorité suprême de l’Église d’approuver ou de déterminer ce qui est requis pour leur validité ; et il appartient à cette même autorité suprême ou à toute autre autorité compétente, selon le canon 838, § 3 et 4, de fixer ce qui a trait à la licéité de leur célébration, de leur administration et de leur réception, ainsi qu’au rite à observer dans leur célébration ».
5. La seule raison, nécessaire et suffisante, de faire exception à l’application ordinaire de ces normes, pour pouvoir justifier, aussi bien aux yeux de la droite raison éclairée par la foi qu’en conformité aux exigences radicales des principes même du droit canonique, serait d’invoquer un « état de nécessité dans l’Eglise » [5], c’est-à-dire une circonstance qui rendrait licite ce qui ne le serait pas autrement en raison de la loi humaine, civile ou ecclésiastique [6]. Pareille circonstance existe, et il s’agit précisément de celle créée par la réforme liturgique du Pape Paul VI, par laquelle ce dernier et ses successeurs ont voulu et veulent encore imposer à toute l’Eglise la célébration de la messe selon un nouvel Ordo qui met en péril la foi catholique [7], du fait même que, selon les propres termes du Bref examen critique remis à Paul VI par les cardinaux Ottaviani et Bacci, ledit Ordo « s’éloigne de manière impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXe session du Concile de Trente, lequel, en fixant définitivement les canons du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l’intégrité du Mystère » [8].
6. En raison de cette circonstance, toute organisation, laïque ou ecclésiale, aurait certainement, quoique « par accident » [9], la possibilité et même le devoir de refuser la nouvelle liturgie du missel de Paul VI, afin de protéger l’intégrité de la foi catholique.
7. Selon le journal La Croix déjà cité, le président de l’association Notre Dame de Chrétienté qui prend en charge l’organisation du pèlerinage de Pentecôte, Monsieur Philippe Darantière, se fonde sur la bienveillance de l’évêque de Chartres, Mgr Christory, qui autorise, dit-il, la célébration quotidienne de la messe selon l’Ordo traditionnel de 1962 durant la durée du pèlerinage et dont l’exigence relative à la célébration selon le nouvel Ordo de Paul VI « concerne uniquement les messes privées célébrées par les prêtres sur le territoire du diocèse de Chartres le lundi ». Philippe Darantière ajoute qu’il n’a jamais reçu de demandes en ce sens : « Ce n’est pas l’esprit des prêtres qui nous accompagnent de contester l’orientation liturgique du pèlerinage, ils sont dans un esprit d’unité et non de revendication ». Oui, mais du moins jusqu’ici, et s’agissant des prêtres qui accompagnent le pèlerinage, ainsi que du seul évêque de Chartres, non des évêques de France pris dans la collégialité qui les fait dépendre de Mgr Jordy et de Mgr Lebrun.
8. Philippe Darantière précise enfin : « Nous sommes surtout convaincus que la cohabitation de différentes formes du rite est possible et même nécessaire pour renforcer l’unité d’une Église qui a besoin d’être soudée dans les temps difficiles qu’elle traverse et que vit le monde ». Pareille cohabitation se contente de revendiquer, pour l’ancien Ordo de 1962, une place aux côtés du nouvel Ordo de Paul VI. Même si cette revendication est, au sein du pèlerinage de Pentecôte, celle d’une exclusivité, elle s’autorise d’un simple fait : celui du bon vouloir de l’évêque de Chartres et de la préférence des prêtres accompagnateurs. Une telle revendication ne peut manquer d’apparaître d’autant plus précaire qu’elle ne s’appuie pas sur le principe d’un véritable droit, résultant de l’état de nécessité. Alors : « Demain, la Chrétienté » ? … On peut en douter, bien malheureusement. Mais n’est-ce pas là le prix à payer pour éviter l’accusation de schisme, de la part de la Conférence épiscopale française et du Dicastère pour le Culte divin ?
Abbé Jean-Michel Gleize
[1] https://renaissancecatholique.fr/blog/liturgie-les-eveques-de-france-resserrent-letau/
[2] Distinction est faite ici entre 1° les prêtres qui ont été ordonnés avant le 16 juillet 2021 et auxquels la permission de l’Ordinaire suffit, et 2° les prêtres qui ont été ordonnés après cette date, et auxquels la permission de l’évêque dépend d’une licence demandée et obtenue par ce dernier au Siège Apostolique.
[3] https://www.la-croix.com/religion/pelerinage-de-chartres-le-vatican-et-les-eveques-francais-rappellent-les-regles-liturgiques-20250529
[4] Voir l’article « Du bien penser au bien dire » dans le présent numéro du Courrier de Rome.
[5] Voir l’article « Les sacres : suite … et fin ? » dans le numéro de mars 2025 du Courrier de Rome.
[6] Voir le numéro de juillet-août 2008 du Courrier de Rome.
[7] Voir l’article « Un pèlerinage schismatique ? » dans le numéro de décembre 2024 du Courrier de Rome.
[8] Cardinaux Ottaviani et Bacci, « Préface au pape Paul VI » dans Bref examen critique du Novus ordo missae, Ecône, p. 6. Sur ce point, voir aussi les articles parus dans le numéro de septembre 2021 du Courrier de Rome.
[9] Voir l’article « Du bien penser au bien dire » dans le présent numéro du Courrier de Rome.