La communion du prêtre



Publié le 30/12/2022 sur internet
Publié dans le N°656 de la publication papier du Courrier de Rome



Il nous a été demandé, par un ecclésiastique confronté à une réelle difficulté théologique, liturgique et morale, d’apporter des arguments convaincants, appuyés sur des textes magistériels et des auctores probati (des « auteurs approuvés dans l’Église »), en réponse à une question.
Voici la teneur de la question : « Serait-il possible, pour des raisons proportionnées, qu’un autre que le prêtre qui célèbre une messe (par exemple, un deuxième prêtre) consomme tout ou partie du sacrifice à la place du prêtre célébrant ? Autrement dit, ce deuxième prêtre pourrait-il consommer la sainte hostie et/ou le précieux sang, tandis que le prêtre célébrant ne le ferait pas ? ».
Le contexte pratique de cette question est le suivant. Un prêtre, un certain temps après l’ordination sacerdotale, est frappé (ceci étant attesté de façon sérieuse par le corps médical) d’une allergie très forte, potentiellement mortelle, concernant l’une des saintes espèces (par exemple, allergie absolue au gluten, pour le pain consacré ; ou à l’alcool, pour le vin consacré). Du fait de ce danger mortel, et dans le cas où un autre que lui ne pourrait légitimement consommer à sa place l’espèce consacrée devenue dangereuse, ce prêtre serait dans l’impossibilité radicale de célébrer la messe. Ce qui serait un grave inconvénient, pour lui comme pour l’Église privée d’un prêtre en mesure de célébrer la messe.
Une solution proposée serait qu’un autre que ce prêtre malade consomme l’espèce consacrée devenue dangereuse (dans la mesure, évidemment, où une telle pratique serait reconnue comme licite), permettant donc au prêtre malade de célébrer la messe, au moins quelquefois.
Notons en passant que si le cas ne se présente qu’à notre époque, et ne semble pas avoir existé dans le passé, c’est en raison des progrès de la médecine. Autrefois, l’ignorance des mécanismes de l’allergie entraînait tout simplement la mort des patients : et donc, faute d’allergiques encore vivants, le problème ne se posait pas. La médecine étant maintenant capable de faire face aux allergies, au moins dans une certaine mesure, et des personnes gravement allergiques restant donc vivantes, l’Église se trouve en présence de cas nouveaux et inusités, qu’il lui faut traiter avec sagesse et dans le respect des principes intangibles.
A l’énoncé de cette question, nous avons été spontanément persuadé que la réponse en serait facile et rapide : dans notre souvenir, tous les ouvrages traitant de la messe donnaient les arguments probants et les explications nécessaires pour manifester que le prêtre célébrant le sacrifice doit obligatoirement et dans tous les cas communier sous les deux espèces, pour consommer en personne ce sacrifice.

Examen documentaire

Nous avons donc mené une enquête dans un certain nombre d’ouvrages classiques de théologie dogmatique et morale, de liturgie et de droit canonique, ainsi que dans les grands dictionnaires ecclésiastiques, afin de fournir à notre interlocuteur quelques textes particulièrement topiques et argumentés, qui permettraient de dirimer cette interrogation.
A propos de saint Thomas d’Aquin, nous avons examiné le commentaire de Sylvestre de Ferrare sur le Commentaire des Sentences ; le commentaire de Cajetan sur la Somme de théologie ; le Cursus theologicus des Salmanticenses ; la Summa sancti Thomæ de Billuart ; les Opera omnia de Ramirez.
En théologie dogmatique, nous avons exploré Édouard Hugon, Tractatus dogmatici (quatre volumes, 1920) et La sainte Eucharistie (1924) ; Réginald Garrigou-Lagrange, De Eucharistia (1948) et De sanctificatione sacerdotum (1951) ; Louis Billot, De Ecclesiæ sacramentis (deux volumes, 1931-1947).
En histoire de la théologie sacramentaire, nous avons consulté Maurice de la Taille, Mysterium fidei (1931 – première édition 1921) et Marius Lepin, L’idée du sacrifice de la messe d’après les théologiens depuis l’origine jusqu’à nos jours (1926).
En théologie morale, nous avons consulté Jérôme Noldin, Summa theologiæ moralis (trois volumes, 1927) ; Dominique Prümmer, Manuale theologiæ moralis (trois volumes, 1928) ; Benoît Henri Merkelbach, Summa theologiæ moralis (trois volumes, 1935-1936) ; L. Muller, Somme de théologie morale (1937) ; Jean-Benoît Vittrant, Théologie morale (1942) ; Bernard Häring, La loi du Christ (trois volumes, 1955-1959) ; Albert Chanson, Pour mieux administrer baptême, confirmation, Eucharistie, extrême-onction (1957) ; Héribert Jone, Précis de théologie morale catholique (1958).
En liturgie, nous avons parcouru le Missale romanum (édition de 1962) ; Documenta ad instaurationem liturgicam spectantia et Enchiridion documentorum instaurationis liturgicæ (trois volumes, 1976-2000) ; Louis Stercky, Manuel de liturgie et Cérémonial (deux volumes, 1940) ; Louis Hébert, Leçons de liturgie à l’usage des séminaires (trois volumes, 1947-1952) ; Aimé-Georges Martimort (dir.), L’Église en prière (1961).
En droit canonique, nous avons examiné Raoul Naz (dir.), Traité de droit canonique (quatre volumes, 1955) ; Raoul Naz (dir.), Dictionnaire de droit canonique (sept volumes, 1935-1965) ; Code de droit canonique bilingue et annoté (1999).
En matière de catéchisme, nous avons ouvert le Catéchisme du concile de Trente (traduction nouvelle par l’abbé Gagney) ; le Catéchisme de saint Pie X (dans ses deux versions successives) ; le Catéchisme à l’usage des diocèses de France ; le Catéchisme de l’Église catholique.
Nous sommes allé chercher également dans le Dictionnaire de théologie catholique, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, dans le Dictionnaire pratique des connaissances religieuses, dans l’encyclopédie Catholicisme, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie et dans le Dictionnaire de spiritualité.

Insuccès quasi total de cette démarche

Cette énumération n’a pas pour but de faire du « name dropping », ni de manifester la richesse de notre bibliothèque, mais simplement de montrer que, si notre enquête est fort loin d’être exhaustive, elle a toutefois été assez ample et présente relativement bien, à ce titre, un état sérieux de la question du point de vue de la doctrine catholique traditionnelle.
Or cette enquête nous a manifesté clairement que notre mémoire nous trahissait, que ce que nous estimions être des souvenirs participait plutôt de l’illusion. Loin de nous trouver devant pléthore de textes significatifs, nous avons constaté, à l’inverse, que sur ce sujet les textes étaient fort rares, plus que succincts, et résolument avares d’explications et d’arguments. En réalité, la plupart de ces ouvrages ne traitent tout simplement pas de cette question.
C’était d’autant plus une surprise que cette recherche succédait à une autre, issue d’une autre question du même interlocuteur et concernant cette fois-ci la matière valide de l’Eucharistie (pour les mêmes raisons d’allergie grave). Dans ce cas, au contraire, la moisson avait été fructueuse dans les mêmes ouvrages, fournissant arguments et textes de référence.
Ce n’est pas que les ouvrages que nous avons consultés dédaignent de parler de la communion sous les deux espèces : au contraire, presque tous y consacrent une notice assez significative. Mais il s’agit, dans le droit fil du concile de Trente (XXIe session), et avec toujours plus ou moins les mêmes arguments repris du Concile, de démontrer qu’il n’est aucunement obligatoire pour les fidèles de communier sous les deux espèces, et que la communion sous la seule espèce du pain, selon la discipline de l’Église latine, est légitime et tout à fait fructueuse.
En revanche, sauf de rares exceptions dont nous allons parler plus loin (à savoir le Missel romain, le concile de Trente, Pie XII et surtout saint Thomas d’Aquin), nous n’avons pu dénicher dans cet ensemble que deux mentions concernant notre problématique.
La première se trouve dans le commentaire de Cajetan à la Tertia pars, question 82, article 4 de la Somme de théologie. Le cardinal s’attache principalement, comme les autres, et à la suite du concile de Trente, à la question de la communion sous les deux espèces pour les fidèles. Concernant le prêtre célébrant, il se contente de souligner que le décret de Gélase oblige le célébrant à la communion sous les deux espèces, et que constitue un grand sacrilège pour lui de ne communier que sous une seule espèce, voire de ne pas communier du tout. Il conclut : « Comme il n’y a aucun doute sur ce point, cela suffira à notre commentaire ». Comme on peut le voir, Cajetan n’apporte aucun argument spécifique.
La seconde mention se trouve dans le deuxième volume de Louis Hébert, Leçons de liturgie à l’usage des séminaires, à la page 284. L’auteur, dans une brève présentation historique concernant la « nécessité de la communion », fait la remarque suivante : « Ces abstentions n’allèrent jamais jusqu’à faire que la messe pût se célébrer sans la communion, au moins, du célébrant, cet acte étant regardé comme partie intégrante du saint sacrifice ».
On peut ajouter pour mémoire ce qu’affirme Marius Lepin à propos du cardinal Bellarmin (page 386 de son ouvrage L’idée du sacrifice de la messe) : aux yeux de Bellarmin, écrit-il, la communion, « à l’égal de la Consécration, est “partie essentielle, bien qu’elle ne soit pas toute l’essence” de la messe ; et Bellarmin croit que telle est la pensée de saint Thomas ».

Le premier résultat notable de notre enquête est donc de constater que cette question, pourtant en soi fondamentale, est traitée (à tort, à notre avis) par prétérition, par manière d’acquit, sans que les auteurs prennent la peine de l’appuyer d’arguments solides. A ce titre, il nous semble que la conviction largement répandue, mais non vérifiée et pas spécialement étayée, de l’obligation pour le prêtre de communier sous les deux espèces lors de la messe qu’il célèbre mériterait sans aucun doute d’être reprise à nouveaux frais afin de la vérifier, appuyée par des arguments probants, eux-mêmes enracinée solidement dans une doctrine sacramentaire, liturgique et théologique éprouvée.
Examinons maintenant ce que les quelques textes qui abordent tout de même cette question peuvent nous apprendre.

Les rubriques du Missel romain

Le Missel romain (nous utilisons ici l’édition Mame de 1962) traite de ce sujet dans le De defectibus in celebratione missæ occurrentibus, au numéro X, paragraphes 3 et 4. Il s’agit, en l’occurrence, de normes indiquées pour le cas où le prêtre célébrant serait frappé par une grave maladie inopinée, ou par une syncope, ou même par la mort.
Si cet état de fait intervient entre les deux consécrations, ou après elles, nous dit le Missel, un autre prêtre doit continuer la messe, et bien sûr il communie sous les deux espèces. Si toutefois le premier prêtre malade est en état de communier, le second prêtre le communie avec une partie de l’hostie.
En contrepoint de ces prescriptions, le paragraphe 4 affirme sans aucune ambiguïté : « Si, en dehors de ce cas de nécessité, un prêtre célébrant ne communiait pas aux deux espèces, il pècherait très gravement ».
Autrement dit, le prêtre célébrant doit forcément communier sous les deux espèces sous peine de péché grave, excepté lorsqu’il en est empêché, sans faute de sa part, par une incommodité physique inopinée.
La conclusion qu’il faut tout de même en tirer immédiatement, c’est que cette communion du prêtre, si elle est requise, et de façon grave, n’est pas absolument nécessaire toutefois : puisqu’il est des cas où le prêtre en est, en fait, dispensé. Car, notons-le, si l’accident survient après la seconde consécration, et qu’un autre prêtre achève la messe, au sens propre ce nouvel intervenant ne sera pas le « prêtre célébrant » (la messe consistant essentiellement dans la consécration) : ainsi, le prêtre célébrant n’aura pas communié, et le prêtre qui communiera ne sera pas le prêtre célébrant.

Le concile de Trente

En sa XXIe session, le concile de Trente s’intéresse en particulier à la communion sous les deux espèces. Dans le premier chapitre, il entend montrer qu’il n’y a pas d’obligation divine de communier sous les deux espèces, ceci pour faire face aux revendications des protestants, et avant eux des hussites. C’est cette doctrine que reprennent ad nauseam tous les traités précités, en ce qui concerne les simples fidèles.
Mais voici la phrase qui intéresse notre propos, celui de savoir si le prêtre célébrant doit obligatoirement communier sous les deux espèces : « Le saint Concile (…) déclare et prononce que ni les laïques, ni les ecclésiastiques, quand ils ne consacrent pas, ne sont tenus par aucun précepte divin de recevoir le sacrement de l’Eucharistie sous les deux espèces ».
Nous avons mis en italique l’incise sur laquelle nous voulons attirer l’attention du lecteur : « Les ecclésiastiques, quand ils ne consacrent pas ». Ce membre de phrase, sans le dire de façon absolument explicite et directe (ce qui fait qu’on ne peut en tirer de conclusion certaine et définitive), semble supposer et ne pouvoir être bien compris que dans le sens où le prêtre qui consacre serait « tenu par un précepte divin de recevoir le sacrement de l’Eucharistie sous les deux espèces ».
Cela nous donne une direction de réflexion, sans toutefois dirimer définitivement notre recherche, dans la mesure précisément où l’affirmation n’est pas directe et explicite. D’autant que s’y opposent, en quelque sorte, les rubriques du Missel que nous venons de citer, rubriques dont la base a été intégrée au Missel précisément par saint Pie V, à la suite et dans l’esprit du concile de Trente.

Pie XII et Médiator Dei

Pie XII, dans son encyclique de 1947 Mediator Dei (repérée sur ce sujet grâce aux Documenta ad instaurationem liturgicam spectantia et à l’Enchiridion documentorum instaurationis liturgicæ), traite de cette question de façon également incidente. Voici ce qu’il en dit en entamant la troisième partie de son exposé, consacrée à « La communion eucharistique » (« Sacra communio », dans le texte latin normatif).
« L’auguste sacrifice de l’autel se conclut par la communion au repas divin. Cependant, comme tous le savent, pour assurer l’intégrité de ce sacrifice il suffit que le prêtre communie ; il n’est pas nécessaire (bien que ce soit souverainement souhaitable) que le peuple lui aussi s’approche de la sainte table ».
Là aussi, nous avons mis en italique le membre de phrase qui correspond à notre interrogation : « Pour assurer l’intégrité de ce sacrifice, il suffit que le prêtre communie ».
Éliminons de suite une possible petite ambiguïté : étant donné le contexte, il est absolument évident que le prêtre ainsi désigné n’est autre que le prêtre sacrificateur, celui précisément qui est en train de célébrer la messe.
Pie XII a cette remarque intéressante : « Comme tous le savent ». Or, nous l’avons vu, cette affirmation est parfaitement vraie pour la seconde partie de son explication. Il est exact que tous les livres développent la thèse (reprise du concile de Trente) que « pour assurer l’intégrité du sacrifice de la messe, il n’est pas nécessaire que le peuple s’approche de la sainte table ». En revanche, et c’est précisément la raison de notre recherche, la nécessité pour le prêtre célébrant de communier pour assurer l’intégrité du sacrifice est très rarement exposée par les mêmes livres : en sorte qu’on peut vraiment douter que « tous le sachent », au moins d’une manière argumentée et claire.

Doctrine de saint Thomas : le prêtre a l’obligation de communier

C’est finalement dans l’œuvre de saint Thomas d’Aquin que nous pouvons trouver des éléments de réponse plus clairs et des arguments plus décisifs. Cependant, même là, la doctrine est moins claire et décisive qu’elle ne pourrait paraître.
Examinons d’abord les arguments que donne le Docteur angélique afin de justifier l’obligation grave pour le prêtre célébrant de communier sous les deux espèces. Nous verrons ensuite les limites que Thomas lui-même pose à ces arguments.
Thomas a traité de la question dans son Commentaire des Sentences. Dans le livre IV, à la distinction 12, question 3, article 2, il souligne que celui qui consacre la sainte Eucharistie doit toujours consommer le corps et le sang du Christ.
Il en donne deux raisons. D’abord, dans la mesure où la communion est la perfection de ce sacrement, il convient que celui qui le confectionne y communie (ceci étant appuyé par une citation de saint Augustin). Ensuite, dans la mesure où le prêtre est le dispensateur des biens divins, il convient qu’il y participe le premier (ceci étant appuyé par une citation de saint Denis).
Thomas note que le fait de ne pas communier, pour le prêtre célébrant, constituerait une perversion du rite de ce sacrement. Et le fait de ne communier qu’à une seule des deux espèces constituerait une façon imparfaite (donc sacrilège et peccamineuse) de réaliser ce sacrement.

Saint Thomas reprend cette interrogation dans la Somme de théologie, Tertia Pars, question 82, article 4. Soulignons que si le Commentaire des Sentences a été rédigé au début de sa carrière de professeur, la fin de la Tertia pars date des tout derniers mois de sa vie. Nous avons donc sur ce point précis un témoignage de sa doctrine au début et à la fin de son enseignement.
Thomas se pose la question : « Est-ce que le prêtre qui consacre est tenu de consommer ce sacrement ? ». Il note en réponse que l’Eucharistie, en sus d’être un sacrement, est un sacrifice. Or, pour lui, le principe est clair : quiconque offre un sacrifice doit devenir participant de ce sacrifice, et ceci, ajoute-t-il, chaque fois que le prêtre consacre ; et il doit le faire « de façon intégrale », c’est-dire évidemment sous les deux espèces.
Thomas en donne deux raisons. La première est que le sacrifice extérieur est le signe du sacrifice intérieur, et que par la communion on manifeste qu’on participe intérieurement à ce sacrifice extérieur (ceci étant appuyé par une référence à saint Augustin).
La seconde raison est qu’en offrant le sacrifice au nom du peuple, le prêtre se manifeste comme dispensateur des biens divins, notamment en distribuant l’Eucharistie par la communion, biens divins auxquels il doit lui-même le premier participer par sa propre communion (ceci étant appuyé par une référence à saint Denis).
En faveur de sa thèse, Thomas apporte (en Sed contra) un canon du douzième concile de Tolède, qui rappelle et prescrit que celui qui sacrifie communie à chaque fois au corps et au sang du Christ.

Pour connaître la doctrine complète de Thomas dans la Somme de théologie concernant l’obligation pour le prêtre célébrant de communier sous les deux espèces, il faut toutefois revenir un peu en arrière pour examiner la question 80, article 12, où Thomas s’interroge pour savoir « S’il est permis de consommer le corps du Christ sans son sang ? ». C’est la question, en particulier, traitée par le concile de Trente (repris par tous les manuels subséquents), de la communion des fidèles au seul pain consacré.
C’est ce qui explique que les trois objections soient en faveur de la communion sous les deux espèces. De plus, dans ces objections, Thomas cite à deux reprises un texte du pape Gélase, qui interdit de ne communier que sous l’espèce du pain. Notre auteur doit donc justifier « l’usage de beaucoup d’Églises, dans lesquelles est donné à consommer au peuple qui communie le corps du Christ, mais non son sang ». Pour cela, il recourt à une distinction entre deux approches de l’usage de ce sacrement : celle qui concerne le sacrement lui-même, et celle qui concerne les communiants.
Thomas expose que, du côté du sacrement lui-même, puisque sa perfection consiste à la fois dans le corps et dans le sang, il convient que les deux soient consommés. Et puisqu’il revient au prêtre de consacrer et d’amener à son achèvement ce sacrement, en aucune manière ledit prêtre ne peut consommer le corps du Christ en s’abstenant de son sang.
Du côté de ceux qui communient, il souligne la révérence extrême due à ce sacrement, et les risques particuliers d’accident pouvant advenir dans la distribution aux fidèles du précieux sang : ce qui a amené dans un certain nombre d’Églises à ne faire communier le peuple qu’au pain consacré, non au sang, celui-ci étant réservé au célébrant.
Thomas « interprète » (exponet reverenter) le texte du pape Gélase comme concernant le prêtre, et il le complète par une citation du douzième concile de Tolède (autre que celle utilisée dans la question 82, article 4) qui touche effectivement la communion du prêtre. Dans la réponse à la troisième objection, il souligne que la perfection de ce sacrement advient par le fait que le prêtre consomme les deux espèces, même si les fidèles n’en consomment qu’une : ceci, en particulier, parce que le prêtre offre et consomme le sacrifice au nom de tous les chrétiens.

Nous pouvons enfin ajouter à tous ces éléments doctrinaux en faveur de l’obligation pour le prêtre célébrant de communier sous les deux espèces ce passage de l’hymne des Matines de l’office du Saint-Sacrement, que saint Thomas a composé : « Sic sacrificium istud instituit, cujus officium commiti voluit solis prebyteris, quibus sic congruit, ut sumant, et dent ceteris », « Jésus institua ainsi ce sacrifice, dont il voulut remettre le soin aux seuls prêtres, à qui il convient de le consommer, et de le distribuer aux autres ».

Saint Thomas apporte à sa propre thèse corrections et nuances

Apparemment, le Docteur commun nous offre un corpus argumenté pour démontrer de façon certaine que le prêtre célébrant la messe doit obligatoirement communier, et communier sous les deux espèces, sous peine de sacrilège et de péché grave ; cette thèse étant appuyée sur des autorités magistérielles et des citations des Pères de l’Église.
Toutefois, il est d’autres éléments, réflexions et arguments apportés par Thomas lui-même aux endroits de son œuvre que nous venons de citer qui battent en brèche, au moins en partie, cette thèse, apparemment universelle et nécessaire, de l’obligation pour le prêtre célébrant de communier sous les deux espèces. Il s’agit des accidents affectant le prêtre célébrant ; des miracles qui peuvent survenir durant une messe ; enfin, de la concélébration eucharistique.

Les accidents survenant au prêtre durant la messe

Dans son Commentaire des Sentences (IV, D. 12, q. 3, a. 2), Thomas affirme, comme nous l’avons dit, que le prêtre qui consacre la sainte Eucharistie doit toujours consommer le corps et le sang du Christ. Mais il ajoute cette clause : « A moins qu’il n’en soit empêché par la violence, ou par la mort, ou par une infirmité, ou par quelque chose d’analogue ». C’est précisément cette clause que les rubriques du Missel ont précisée et sommairement développée. Notons que Thomas ne réitère pas cette remarque dans la Somme de théologie, probablement parce qu’elle lui semble évidente.
Ce qu’il est important de souligner, c’est que la nécessité, l’obligation de communier pour le prêtre célébrant, et de communier sous les deux espèces, n’est pas véritablement absolue, puisqu’il peut advenir des circonstances où il en sera dispensé. Consacrer la sainte Eucharistie avec du pain de froment et du jus de raisin fermenté est une nécessité, une obligation absolue : ni la violence, ni la mort, ni la maladie, ni aucune autre chose ne peuvent en dispenser, par plus qu’on ne peut dispenser de l’usage de l’eau naturelle pour le baptême, ou exempter le mariage de l’accord des volontés. Cette remarque de saint Thomas, et plus généralement du Missel (comme il a été montré plus haut), nous manifeste à tout le moins que la question posée au départ n’est pas fermée de façon immédiate et définitive, alors qu’elle le serait évidemment si l’on envisageait de consacrer du pain de seigle ou de l’alcool de riz.

Les miracles eucharistiques

La deuxième occasion pour Thomas de nuancer ses positions apparemment si fermes et si tranchées advient lorsqu’il se pose la question de savoir comment le prêtre doit agir lorsque se produit un miracle eucharistique, et que le Christ apparaît au cours de la messe sous une forme humaine. Il traite de ce cas tout d’abord dans le Commentaire des Sentences, livre IV, distinction 10, article 4. Thomas note alors que ce sacrement est réalisé sous forme de nourriture, et que si le Christ apparaît sous sa forme propre, ce n’est plus sous mode de nourriture, mais simplement sous un mode qui appelle la vénération. De ce fait, le prêtre ne va pas consommer le sacrifice. Thomas propose alors deux solutions : soit consacrer de nouveau, pour obtenir le sacrement sous forme de nourriture, que le prêtre pourra alors consommer ; soit faire seulement une communion spirituelle, ce qui, dit-il, ne constitue pas une transgression des lois de l’Église, puisque les lois sont posées pour ce qui arrive le plus fréquemment, ce qui n’est évidemment pas le cas du miracle.
Il reprend ce point dans la troisième objection de l’article 4 de la question 82 dans la Somme de théologie, Tertia Pars. Dans le cas où le corps du Christ apparaîtrait sous sa forme naturelle, dit-on, le prêtre célébrant ne serait pas tenu de le consommer. Thomas admet la justesse de l’objection, et reconnaît que le prêtre ne doit pas consommer cette hostie ou ce sang miraculeux. Et, de nouveau, il déclare qu’en ce cas, le prêtre ne transgressera pas la règle de l’Église, dans la mesure où les miracles ne sont pas soumis aux lois ordinaires. Il est conseillé toutefois, ajoute-t-il, au prêtre de consacrer de nouveau, afin de pouvoir communier.
Dans ce deuxième cas, de nouveau, saint Thomas admet qu’il puisse exister des cas où le prêtre célébrant, nonobstant la règle universelle et certaine de sa propre communion au corps et au sang, puisse être dispensé de l’obligation de cette communion. Et ce qui est intéressant, c’est la raison qu’il en donne, qui est d’ailleurs au cœur de sa doctrine sur la loi d’origine humaine : cette loi vise les choses qui arrivent le plus souvent, ut in pluribus, mais ne peut en réalité, en raison des limites de l’intelligence humaine créée, prévoir tous les cas ; ce qui autorise des exceptions.
Notons que, dans cette hypothèse, il n’y a pas de communion du prêtre célébrant, ou au moins pas sous les deux espèces ; et que cette non-communion est l’objet de son choix, en quelque sorte, car au moins dans certains cas la communion resterait physiquement possible.

La question de la concélébration eucharistique

Dans la Somme de théologie, Tertia pars, question 82, article 2, saint Thomas traite d’un sujet parallèle qui peut éclairer notre réflexion : celui de ce que nous appelons aujourd’hui la concélébration eucharistique. Le saint Docteur se pose la question de savoir si plusieurs prêtres peuvent célébrer une unique messe. Sa réponse est positive, essentiellement parce que l’Église admet une telle pratique. Thomas parle de la concélébration du prêtre nouvellement ordonné avec l’évêque consécrateur, au cours de la messe qui suit l’ordination. On ne sait s’il connaissait les usages orientaux, mais cela n’a pas d’importance, la concélébration qu’il voit autour de lui et décrit étant largement suffisante pour notre propos.
Dans sa réponse à la deuxième objection, Thomas nous donne un argument justificatif du fait que plusieurs prêtres puissent consacrer ensemble, alors qu’un seul suffit en soi : « Le prêtre, souligne-t-il, ne consacre pas personnellement, mais in persona Christi ; or, selon saint Paul, plusieurs sont “un seul dans le Christ” (Ga 3, 28) ; c’est pourquoi, il n’est pas important de savoir si ce sacrement est consacré par un seul ou par plusieurs, pourvu que soit observé le rite de l’Église ».
L’argument est à remarquer pour notre propos. Les prêtres qui concélèbrent sont « un dans le Christ », et c’est pourquoi il n’est pas capital en soi que tous et chacun disent toutes et chacune des paroles de la Prière eucharistique (la discussion a agité les spécialistes, même si le pape Pie XII la fini par trancher, en ce qui concerne les paroles de la consécration, dans son discours du 22 septembre 1956 au congrès liturgique d’Assise ; et les rubriques du Pontifical obligent chaque nouveau prêtre concélébrant à dire toutes les prières du Canon avec l’évêque et les autres nouveaux prêtres). Car étant « un dans le Christ », ce que fait l’un est, en réalité, fait par les autres.
Cette unité du sacerdoce, spécialement dans la concélébration, n’ouvrirait-elle pas une piste pour que l’un des prêtres, par exemple, consomme le corps du Christ tandis qu’un autre consommerait le précieux Sang ? En vertu de cette unité du sacerdoce dans le Christ qui justifie la possibilité de concélébrer, ne faudrait-il pas dire en ce cas que « l’unique prêtre célébrant » a bien consommé entièrement la victime du sacrifice ?
Cette réflexion est loin d’être oiseuse, dans la mesure où ce que nous venons de décrire correspond exactement à la règle posée par le Pontifical actuel, et ce depuis un certain nombre de siècles (on ignore, en effet, l’usage précis qu’a pu connaître Thomas au XIIIe siècle). Dans de De ordinatione presbyteri, la rubrique précise après l’offertoire : « Les nouveaux prêtres se rangent derrière le pontife de chaque côté, ou à l’endroit le plus commode, et s’étant mis à genoux, lisent dans le Missel disposé devant eux la prière Suscipe, sancte Pater et tout le reste de la messe, conjointement avec le pontife. Celui-ci doit bien faire attention de réciter ces prières lentement et avec une voix plus haute que d’habitude, pour que les nouveaux prêtres puissent les réciter toutes avec lui, surtout les paroles de la consécration, qu’ils doivent proférer ensemble au moment même où le pontife les prononce ». Il est certain qu’il s’agit en ce cas d’une concélébration sacramentelle : plusieurs documents ecclésiastiques l’ont précisé et rappelé, et Thomas nous le confirme. Le prêtre nouvellement ordonné peut d’ailleurs recevoir un honoraire pour cette messe qu’il célèbre vraiment.
Ce qui est intéressant pour notre propos est le rite de la communion. Dans le cas de la consécration d’un évêque, le pontifical précise que l’évêque nouvellement consacré va à l’autel, et que le consécrateur le communie tant au corps qu’au sang du Christ, lui-même n’ayant consommé qu’une partie des saintes espèces. Dans le cas de l’ordination sacerdotale, l’évêque communie les nouveaux prêtres. Mais il ne le fait que pour l’hostie ; la rubrique précise qu’il a déjà consommé tout le précieux sang, qu’il ne distribue donc pas aux communiants. Si les nouveaux prêtres, juste après leur communion, boivent dans un calice (vestige, très probablement, d’une communion ancienne sous les deux espèces), la rubrique dit explicitement que ce calice n’est pas celui qui a contenu le précieux sang, mais qu’il s’agit d’un autre calice qui ne contient que du vin, non consacré.
Autrement dit, la pratique traditionnelle de l’Église latine, dans l’ordination des prêtres, depuis plusieurs siècles, alors qu’il est absolument certain que tant l’évêque que les nouveaux prêtres sont conjointement les célébrants de cette messe d’ordination, est que seul l’un des célébrants (l’évêque) communie sous les deux espèces, les autres célébrants ne communiant que sous une seule espèce. Le cas est d’autant plus intéressant et significatif que nous ne sommes pas en face d’un cas de force majeure, de circonstances indépendantes de la volonté (violence, mort, infirmité, miracle, « ou quelque chose d’analogue »), mais bel et bien d’un choix libre de l’Église. Choix d’autant plus remarquable que, très probablement, la pratique ancienne était la communion sous les deux espèces par tous les concélébrants : il ne s’agit donc pas d’une tradition immémoriale s’imposant à l’Église, mais d’une option retenue à un moment de l’histoire comme possible et pertinente. Et l’on peut penser à bon droit que si l’Église a choisi cette option, c’est en dépendance, en particulier, du principe posé par Thomas : « l’unique prêtre célébrant », en vertu de l’unité du sacerdoce dans le Christ, a bien consommé entièrement la victime du sacrifice, dans la mesure où au moins un des prêtres concélébrants l’a fait.
On peut d’ailleurs signaler que cette pratique ne se trouve pas uniquement dans l’ordination des prêtres selon le rite romain traditionnel. Dans le rite lyonnais tel qu’il a existé jusqu’au milieu du XXe siècle, six chanoines prêtres parés concélébraient avec l’archevêque le Jeudi saint, mais ne communiaient que sous l’espèce du pain. Et, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, de telles concélébrations du Jeudi saint existaient à Blois, Chartres, Reims, etc. ; mais, là aussi, les concélébrants simples prêtres recevaient seulement l’hostie.

Petite synthèse

Reprenons les éléments que notre modeste enquête nous a fait découvrir. D’abord, il semble évident à tous que le prêtre célébrant doit obligatoirement communier, et sous les deux espèces. Tellement évident que presque personne ne prend la peine de justifier cette obligation, pourtant décrite comme grave (le fait de ne pas communier du tout, ou de communier sous une seule espèce, étant dénoncé comme un péché de sacrilège). Saint Thomas est à peu près le seul à faire l’effort d’une argumentation théologique.
Ensuite, cette obligation grave se trouve en fait n’être pas absolue : il existe des cas où le prêtre célébrant ne communie pas, ou ne communie que sous une seule espèce, et ce de façon légitime, sans faute morale de sa part. Alors que d’autres obligations (par exemple, celle de l’eau naturelle pour le baptême, celle de l’huile sainte pour l’onction des malades) ne peuvent en aucune manière connaître d’exceptions, même motivées par des circonstances graves.
Ces exceptions à la communion du prêtre célébrant sont tout d’abord des cas de force majeure, qui adviennent durant la célébration même de la messe : « violence, mort, infirmité, ou quelque chose d’analogue », nous dit saint Thomas, « grave maladie inopinée, syncope, mort », proposent les rubriques du Missel. Dans ce cas, comme nous l’avons souligné, le prêtre qui communiera ne sera ordinairement pas le prêtre célébrant, mais un autre prêtre venu achever la messe.
Ce sont ensuite des miracles eucharistiques, où Jésus se présente sous sa forme naturelle (petit enfant, sang qui coule, etc.), et non plus sous forme de nourriture.
Ce sont enfin des choix de l’Église dans la concélébration. Pour le sacre d’un évêque, le consécrateur et le consacré communient sous les deux espèces à la messe qu’ils viennent de concélébrer ; mais pour l’ordination sacerdotale, seul l’évêque qui ordonne communie sous les deux espèces, les nouveaux prêtres qui ont concélébré avec lui ne communiant que sous l’espèce du pain (alors qu’autrefois, sans doute, ils communiaient sous les deux espèces). L’Église, en ce cas précis, semble appliquer le principe énoncé par saint Thomas : en vertu de l’unité du sacerdoce dans le Christ, les concélébrants constituent en réalité « un unique prêtre célébrant », en sorte que ce que fait l’un des concélébrants est fait au nom de tous les autres ; et donc si au moins un des prêtres concélébrants consomme entièrement la victime du sacrifice (sous les deux espèces), il sera vrai de dire que « le prêtre célébrant » l’a fait, même si chacun des concélébrants ne l’a pas forcément fait.
Ainsi, dans certaines circonstances particulières, le prêtre peut choisir de ne pas communier sous les deux espèces (cas du miracle eucharistique) ; un seul des prêtres concélébrants peut communier sous les deux espèces, les autres ne communiant qu’à une espèce (cas de l’ordination sacerdotale) ; un autre prêtre que le célébrant peut communier sous les deux espèces (cas de maladie-syncope-mort advenant durant la célébration). Ces circonstances particulières sont le plus souvent des cas de force majeure, mais l’Église peut aussi, sans nécessité physique extérieure, faire ce choix (cas de l’ordination sacerdotale).

Réponse à la question posée, sur le plan théorique

Pouvons-nous, sur cette base, répondre à la question posée par notre confrère ?
Essayons-nous-y d’abord sur le plan théorique.
On peut, semble-t-il, assimiler la grave allergie survenant après l’ordination sacerdotale (car l’allergie précédant l’ordination devrait être considérée comme un obex, un empêchement à l’ordination) à ce cas de maladie qui survient après la consécration et dont parlent tant saint Thomas que les rubriques du Missel. Saint Thomas ouvre la possibilité d’une telle assimilation en parlant de « violence, mort, infirmité, ou quelque chose d’analogue ».
Dans le cas de maladie survenant durant la célébration, l’Église admet qu’un autre prêtre, non célébrant, communie à la place du prêtre défaillant. On pourrait imaginer que l’Église autorise, pour ce cas d’allergie grave, un autre prêtre à communier à la place du prêtre célébrant dans l’incapacité de le faire : soit que le prêtre allergique ne puisse communier à aucune des espèces, soit qu’il puisse communier au moins à une des espèces (c’est ce que les rubriques du Missel conseillent : « Si le prêtre malade peut communier, que le prêtre suppléant lui donne la communion »).
On objectera que, dans le cas prévu par les rubriques, il s’agit d’un cas de force majeure survenant au cours même de la messe. Nous répondrons tout d’abord que, même s’il s’agit d’un cas de force majeure, le fait lui-même prouve que l’Église a bien la capacité à dispenser le prêtre célébrant de communier : ce qu’elle ne pourrait pas faire en ce qui concerne l’eau naturelle pour le baptême, par exemple. Nous continuerons en soulignant qu’il s’agit aussi dans notre interrogation d’une forme de cas de force majeure, dans la mesure où cela est arrivé de façon imprévisible, et que le résultat de cette infirmité serait d’empêcher absolument et définitivement ce prêtre de célébrer la messe (ce qui est un grave inconvénient, pour lui-même comme pour l’Église). Nous noterons enfin que le cas de l’ordination sacerdotale prouve que l’Église possède le pouvoir de dispenser de cette obligation même hors du cas de force majeure, simplement selon son choix.
Que l’Église n’ait, jusqu’à une époque récente, pas envisagé ce cas tient essentiellement, nous semble-t-il, au fait que les allergiques, autrefois, mouraient sans délai du fait de leur allergie, en sorte que le problème ne se posait même pas. Il se pose aujourd’hui en raison des progrès de la médecine. On ne peut donc alléguer le silence de l’Église sur ce point, jusqu’ici, comme un argument probant contre une dispense éventuelle (ni pour elle, d’ailleurs).
Saint Thomas note que, dans le cas d’un miracle eucharistique, le prêtre célébrant peut ne pas communier dans la mesure, en particulier, où le miracle est une chose rare, et que cela n’affecte donc pas la généralité des cas. On peut en dire autant des allergies mortelles, qui sont en fait peu répandues : une exception limitée à ces cas ne mettrait ainsi pas en péril la célébration ordinaire de ce sacrement.

Réponse à la question posée, sur le plan pratique

Si nous passons au plan pratique, notre réponse sera beaucoup moins ouverte, et pour cause. Une telle décision, une telle « dispense » sur un point qui touche directement à l’ordre sacramentel, ne peut aucunement être traitée avec légèreté.
Il nous semble impossible que le prêtre allergique prenne lui-même une telle décision : il n’a pas de réel pouvoir en matière liturgique et sacramentelle. S’il le faisait, il tomberait sans aucun doute dans ce péché grave de sacrilège dont parle la doctrine.
L’évêque possède un certain pouvoir liturgique et sacramentel dans son diocèse. Ce droit s’étend-il jusqu’à dispenser dans le cas qui nous occupe, la dispense envisagée mettant en cause la célébration même d’un sacrement (puisqu’elle aurait pour résultat que ce sacrifice-sacrement ne soit pas mené à son entière perfection par la communion du prêtre sacrificateur lui-même) ? Nous abandonnons cette discussion aux spécialistes en droit liturgique.
En revanche, le Siège apostolique, en vertu de sa primauté, et dans la mesure évidemment où il agirait dans le sens de la Tradition de l’Église et en servant son bien commun, pourrait sans doute, en s’appuyant sur les arguments que nous avons évoqués ou sur d’autres possibles, envisager d’accorder une telle dispense pour les rares cas où elle serait indispensable, et ceci dans les conditions qu’il jugerait les meilleures, ainsi qu’avec les restrictions qu’il tiendrait pour nécessaires.
Le Pontife suprême pourrait le faire, nous semble-t-il, s’il jugeait que la gloire de Dieu, le bien de l’Église, le respect du sacrement, le salut des âmes, la sanctification du prêtre lui-même, étaient effectivement sauvegardés même dans le cadre d’une telle dispense exceptionnelle.

Abbé Grégoire Célier

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