La réforme du droit pénal canonique



Publié le 30/12/2022 sur internet
Publié dans le N°656 de la publication papier du Courrier de Rome



Le 1er juin 2021, le pape François a réformé le système pénal canonique, en promulguant la constitution apostolique Pascite gregem Dei. Cette réforme n’est pas une surprise : elle était attendue depuis longtemps. Devant la multiplication des découvertes de graves délits commis par des prêtres, le pape Benoît XVI avait manifesté son désir de modifier le droit pénal dans le sens d’une plus grande sévérité et d’une plus grande efficacité. Le travail a commencé en 2007. Il a été achevé sous le pontificat de son successeur. Il a pour but, d’après le pape François, « d’éviter des maux plus graves et d’apaiser les blessures provoquées par la faiblesse humaine » . Cette réforme est-elle heureuse ?
1. Ce que pensait l’abbé Louis Coache
Ce vaillant défenseur de la Tradition, docteur en Droit canonique, étudia en détail le livre VI du nouveau Code consacré aux sanctions. Il écrivit ces lignes en 1986, soit trois ans après la publication du nouveau Code : « La méthode nous paraît vraiment défectueuse dans le Droit moderne, toujours en raison du même esprit : amoindrissement du sens de l’autorité, du péché, besoin constant de défendre l’homme contre la loi pour prétendre sauvegarder sa dignité. (…) Le nouveau Droit, pour libérer – à tort –le sujet de la loi ou de l’intervention même bienveillante du Supérieur, multiplie les cas ou les situations où le délinquant se trouve à l’abri de la peine, mais de façon tellement subjective que la loi ne peut plus s’y retrouver. Il n’y a plus de jugement possible ; ce n’est plus du Droit, c’est du roman ou de la guimauve ! Avec de tels principes il n’y a plus de sanctions applicables ; ce n’est plus de la bonté ni de la miséricorde, ni même de la bienveillance à l’égard du coupable, mais paradoxalement de la moquerie si ce n’est de la complicité » .
Ce jugement peut sembler exagéré. Pourtant, nous allons voir que l’abbé Coache ne sera pas le seul à juger très sévèrement le Droit pénal contenu dans le Code de 1983.
2. L’opinion de Benoît XVI
Le pape émérite Benoît XVI a fait paraître le 11 avril 2019 un texte d’une douzaine de pages dans le mensuel allemand Klerusblatt. Il y aborde notamment la question de la pédophilie et de l’insuffisance des moyens de répression fournis par le nouveau Code de Droit canonique. Ce passage est particulièrement instructif.
« La question de la pédophilie (…) ne s’est posée que dans la seconde moitié des années 1980 ». Les évêques des États-Unis, où le problème était devenu public, « demandèrent de l’aide, car le droit canonique, consigné dans le nouveau Code (1983), ne semblait pas suffisant pour prendre les mesures nécessaires. (…) Ce n’est que lentement qu’un renouvellement et un approfondissement du droit pénal délibérément peu structuré du nouveau Code ont commencé à prendre forme. »
À la source de cette faiblesse délibérément voulue, « il y avait un problème fondamental dans la perception du droit pénal. Seul le garantisme était considéré comme “conciliaire”. Il fallait avant tout garantir les droits de l’accusé, dans une mesure qui excluait en fait toute condamnation. (…) Le droit à la défense par voie de garantie a été étendu à un point tel que des condamnations étaient difficilement possibles. »
Le pape émérite justifie son action en expliquant la conduite tenue : « Un droit canonique équilibré (…) ne doit donc pas seulement protéger l’accusé (…). Il doit aussi protéger la foi (…). Mais personne aujourd’hui n’accepte que la protection de la foi soit un bien juridique. »
À cause de ce garantisme, il fallut contourner la difficulté en transférant les compétences de la Congrégation du Clergé, normalement responsable du traitement des crimes commis par les prêtres, à la Congrégation pour la Doctrine de la foi sous le chef de “Délits majeurs contre la foi”. Ceci permit « d’imposer la peine maximale, l’expulsion, qui n’aurait pu être imposée en vertu d’autres dispositions légales. » Afin de protéger la foi, il fallut pour ce faire mettre en place une véritable procédure pénale, avec possibilité d’appel à Rome.
Ainsi la logique implacable du personnalisme, qui fait passer l’individu avant la société et le bien commun, a rendu la justice de l’Église quasiment inopérante avec le Code de Droit canonique de 1983.
3. Un aveu intéressant de Mgr Juan Ignacio Arrieta
Le secrétaire du Conseil pontifical pour les textes législatifs, interrogé par le site vaticannews.va au lendemain de la publication du document, a répondu : « Après la promulgation du Code en 1983, les limites du livre VI sur le droit pénal sont apparues. En suivant une idée de décentralisation, la rédaction des normes pénales avait alors été laissée très indéterminée. On pensait que c’était aux évêques et aux supérieurs de décider selon la gravité des circonstances quels délits il fallait punir, et comment les punir. Il s’agissait d’une indétermination des normes. La difficulté pour beaucoup de combiner charité et punition a fait que le droit pénal n’était guère appliqué. En outre, il était difficile de comprendre que les évêques réagissent différemment dans des situations similaires. Cette situation a obligé le Saint-Siège à intervenir, comme on le sait, en confiant les délits les plus graves exclusivement à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et en accordant des facultés d’intervention à d’autres dicastères de la Curie. Le Pape Benoît XVI a finalement décidé de réviser le livre VI. Le recours à la discipline pénale fait partie de la charité pastorale de ceux qui doivent gouverner et protéger leur propre communauté de fidèles. C’est pour cela que nous avons travaillé à la révision de ce livre ».
Cet aveu, dans la bouche de l’une des plus hautes autorités de l’Église en matière de droit canonique, a le mérite d’être clair : le livre VI du Code de 1983 comporte de nombreuses faiblesses. Il était nécessaire de le corriger.
De fait, les rédacteurs du Code de 1983 ont fait preuve d’une certaine naïveté. Lisons pour nous en convaincre cet extrait de la préface du Code :« Chaque fois qu’il ne sera pas nécessaire d’observer strictement le droit à cause du bien public ou de la discipline ecclésiastique générale, on écartera les règles trop rigides et même plus, on recourra plutôt à l’exhortation et à la persuasion ». Manifestement, ce laxisme n’a pas porté de fruit. Il a au contraire causé beaucoup de désordre et de scandale.
4. Pédagogie et efficience canonique
On a reproché à juste titre au Code de 1983 d’être trop vague, trop souple et peu efficace pour réprimer les abus et punir les délinquants. La réforme de 2021 cherche à corriger ce défaut. Souvent, le Code de 1983 prévoyait simplement de punir certains délits d’une peine indéterminée (« justa poena puniatur »). Depuis 2021, nombreux sont les cas où le législateur renvoie expressément à des peines précises. Mentionnons par exemple les nouveaux canons 1365, 1383, 1390 §2 et 1391. De plus, dans certains cas, la peine facultative (« puniri possunt ») est devenue obligatoire (« puniatur »). Signalons par exemple les nouveaux canons1372 et 1394 §1.Par ailleurs, à plusieurs reprises, le latin potest (il peut) fait place désormais à debet (il doit). Dans le nouveau canon 1326 par exemple, le juge doit punir plus sévèrement celui qui a péché avec des circonstances aggravantes. Auparavant, le juge pouvait le faire, sans y être tenu.
En outre, deux nouveaux délits ont été ajoutés au canon 1371 :
« § 5. Qui n’aura pas observé le devoir de mettre à exécution une sentence exécutoire sera puni d’une juste peine, y compris d’une censure.
§ 6. Qui omet de communiquer la nouvelle d’un délit, alors qu’il y est tenu par la loi canonique, sera puni selon le can. 1336, §§ 2-4, et aussi par l’ajout d’autres peines suivant la gravité du délit ».
Ces deux nouveautés, si elles sont mises en pratique, aideront les autorités à punir les coupables et contribueront ainsi au bien commun.
Enfin, pour un bon nombres de délits, la prescription passe de cinq à sept ans (canon 1362), ce qui là encore va dans le sens d’une plus grande sévérité.
5. Etendue matérielle de la réforme
Sur les sept livres que compte le Code de droit canonique de 1983, seul le livre VI a été touché par cette réforme. Il est intitulé De sanctionibus et Ecclesia. Ce livre commence par le canon 1311 et s’achève avec le canon1399. Il contient donc 89 canons. Dans la nouvelle version réformée, on s’est arrangé pour que le livre VI compte encore 89 canons, mais le contenu de la plupart des canons est modifié et des paragraphes plus nombreux apparaissent.
Etudions maintenant les réformes plus en détail.
6. Disparition d’une peine réservée aux clercs
Traditionnellement, la censure appelée suspense consiste à priver le clerc de l’exercice du pouvoir d’ordre ou de gouvernement ou des droits inhérents à son office. Le Code de 1917, repris par celui de 1983, précise que cette censure « ne peut atteindre que les clercs » . Or, dans le nouveau canon 1333, cette précision a été supprimée, ce qui signifie qu’un laïc peut dorénavant être frappé de suspense.
Cette réforme anodine en apparence se situe dans la ligne du concile Vatican II et du Code de 1983 qui, au canon 204 §1, entretient la confusion au sujet du sacerdoce en insistant exagérément sur le sacerdoce commun des fidèles, reprenant Lumen Gentium §10 et §32, et Apostolicam actuositatem §2. Le Code de 1983 cherche à faire participer les laïcs aux fonctions sacerdotales ou cléricales, par exemple en leur permettant d’être sujets du pouvoir de juridiction (canon 129 §2), de distribuer la communion (canon 910 §2), d’exposer le St Sacrement (canon 943), de prêcher dans une église (canon 766), de recevoir le consentement de mariage (canon 1112), d’administrer certains sacramentaux (canon 1168), etc. Le même Code autorise aussi les laïcs à exercer certains offices ecclésiastiques comme par exemple celui de chancelier (can. 483 §3), d’économe diocésain (can. 494), de juge ecclésiastique (can. 1421 §2), etc.
Certes, il est juste de punir les laïcs qui rempliraient mal leur fonction dans l’Église. Néanmoins, on ne peut que regretter cette volonté de gommer la distinction entre clercs et laïcs, au nom de l’égalité.
Une telle volonté est manifeste dans une autre modification, tout aussi anodine en apparence.
7. Voies de fait sur un laïc
Traditionnellement, celui qui se livre à des voies de fait(violence physique) sur un clerc ou un religieux encourt une peine ecclésiastique, alors que les voies de fait sur la personne d’un laïc ne sont passibles d’aucune peine , sauf en cas d’homicide. Par cette législation, l’Église voulait montrer que les clercs et les religieux, par leur consécration à Dieu, sont des personnes sacrées, et qu’il est donc plus grave de s’attaquer physiquement à eux que de s’attaquer à de simples fidèles.
Depuis 2021, celui qui commet un acte de violence physique contre« (…) un fidèle, par mépris de la foi ou del’Église, ou du pouvoir ou du ministère ecclésiastique, sera puni d’une juste peine » (nouveau canon 1370 §3). Le législateur a donc ajouté un nouveau type de délit, qui continue d’atténuer la distinction entre clercs et laïcs.
8. Administration des sacrements à des indignes
Le Code de 1917, dans sa sagesse, prévoyait au canon 2364 une peine ecclésiastique pour les ministres qui auraient « osé administrer les sacrements à ceux à qui il est interdit de les recevoir ». Par exemple, sont concernés ceux qui administrent la sainte Eucharistie à un non baptisé ou à un pécheur public, ou qui administrent le baptême à un adulte qui n’aurait pas la foi, ou qui administrent le sacrement de pénitence à un chrétien dépourvu de toute contrition. Hélas, le législateur a supprimé cette peine en 1983. Avec bonheur, nous assistons en 2021 à un retour à la sage législation sur ce point. Ainsi, dans le nouveau canon 1379 §4, ceux qui commettent ce délit doivent être puni de suspense. Il reste à espérer que ce canon ne restera pas lettre morte. La situation actuelle de l’Église permet d’en douter.
9. Tentative d’ordination d’une femme
Depuis le décret de la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi du 19 décembre 2007, la transgression de l’incapacité féminine à recevoir le sacrement de l’ordre constitue un délit canonique. Aussi bien celui qui a tenté de conférer l’ordre sacré à une femme, que la femme qui a tenté de recevoir l’ordre sacré, encourent l’excommunication latae sententiae(c’est-à-dire automatique) réservée au Siège Apostolique. Mais cette loi n’avait pas été insérée dans le Code. C’est chose faite depuis 2021, au canon 1379 §3. Une telle insertion donne davantage de poids à cette sage discipline.
10. Les clercs déserteurs
En 1917, le législateur avait eu la sagesse de prévoir, au canon 2399, une peine de suspense pour les clercs déserteurs, à savoir les clercs qui, sans permission de leur supérieur, abandonnent le poste qui leur est confié. Le Code de 1983, une fois de plus, avait supprimé ce canon. Heureusement, la réforme de 2021 revient à la discipline traditionnelle, dans le nouveau canon 1392. Si l’abandon dure plus de six mois, le coupable sera puni de suspense ou d’autres peines expiatoires.
11. Délit en matière financière
Traditionnellement, les clercs qui pratiquent le commerce tel que le droit canon l’interdit sont punis. Mais les scandales financiers qui ont secoué l’Église ces vingt dernières années ont poussé le législateur a punir aussi les clercs qui commettraient « un délit en matière économique » (nouveau canon 1393 §2). De même, le nouveau canon 1376 §2 n’a pas d’équivalent dans la législation précédente. Il prévoit de punir celui qui serait reconnu « gravement négligent dans l’administration des biens ecclésiastiques ». La sévérité de l’Église est donc accrue dans ce domaine.
12. Abus sexuel
Les scandales en matière de mœurs qui ont secoué l’Église ces dernières années ont poussé le législateur à ajouter un nouveau canon divisé en trois paragraphes :
« Can. 1398 – § 1. Sera puni de la privation de l’office et d’autres justes peines, y compris, si c’est le cas, le renvoi de l’état clérical, le clerc:
1° qui commet un délit contre le sixième commandement du Décalogue avec un mineur ou une personne habituellement affectée d’un usage imparfait de la raison ou avec une personne à laquelle le droit reconnaît une protection similaire ;
2° qui recrute ou conduit un mineur ou une personne habituellement affectée d’un usage imparfait de la raison ou une personne à laquelle le droit reconnaît une protection similaire, à réaliser ou à participer à des exhibitions pornographiques réelles ou simulées ;
3° qui conserve, exhibe ou divulgue de quelque façon que ce soit et avec quelque moyen que ce soit, des images pornographiques, acquises de façon immorale, de mineurs ou de personnes habituellement affectées d’un usage imparfait de la raison.
§ 2. Le membre d’un institut de vie consacrée ou d’une société de vie apostolique, et n’importe quel fidèle qui jouit d’une dignité ou accomplit un office ou une fonction dans l’Église, s’il commet le délit dont il est question au § 1, ou au can. 1395, § 3, sera puni selon le can. 1336, §§ 2-4, avec l’ajout d’autres peines suivant la gravité du délit. »
On ne peut que se réjouir de cette sévérité. Puisse-t-elle servir efficacement à réduire les abus !
Conclusion
Le bilan de cette réforme est positif. Certes, aucune des nombreuses et graves difficultés doctrinales du Code de 1983 n’a été corrigée. Au contraire, cette réforme de 2021 conserve le même esprit issu du concile Vatican II. Pourtant, les nouveautés du livre VI ont de quoi réjouir les catholiques. En effet, comme l’a bien remarqué le canoniste Alphonse Borras ,la réforme se caractérise par « plus de rigueur dans la détermination des peines et par plus de sévérité dans leur contenu. On assiste en quelque sorte à un effet de balancier par rapport au Code de 1983 qui, lui-même, s’était voulu plus souple, laissant plus de latitude aux juges et aux supérieurs dans l’application des peines au même temps qu’il se montrait moins empressé de punir, se confiant plutôt dans l’exhortation et la persuasion ».
Finalement, cette réforme a le mérite de montrer les limites et les faiblesses du droit pénal du Code de 1983 en revenant, sur plusieurs points, au Code pio-bénédictin . Espérons que la sévérité de l’Eglise contre les délinquants ne restera pas lettre morte. Espérons aussi que les autres livres du Code de 1983 seront aussi corrigés dans le sens d’un retour à l’esprit et même, dans plusieurs domaines, à la lettre, du Code de 1917.
Abbé Bernard de Lacoste

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