Le missel de saint Pie V peut-il être abrogé ?



Publié le 20/02/2022 sur internet
Publié dans le N°649 de la publication papier du Courrier de Rome



Le missel de saint Pie V peut-il être abrogé ?
Dans le dernier numéro du Courrier de Rome, l’abbé Di Sorco a montré que notre refus de la nouvelle messe et notre attachement à l’ancienne se fondaient sur la théologie et non sur le droit canon. L’auteur écrivait, à la stupéfaction de plusieurs lecteurs, qu’un pape avait le pouvoir d’abroger la bulle de saint Pie V, pourtant valable « à perpétuité » d’après les termes mêmes du saint pape. Il ajoutait : « La constitution Missale romanum est, à tous les effets, un acte de révocation et de la bulle Quo primum tempore et du rite de la messe promulgué par celle-ci ».Un lecteur nous écrit : « Cet article de décembre 2021 contredit frontalement ce qu’a bien montré l’abbé Dulac dans les premiers numéros du Courrier de Romede 1971 et 1972, à savoir que nous pouvons toujours nous appuyer sur Quo primum pour célébrer la messe de saint Pie V et y assister. De même, dans la revue Itinéraires, le Père Calmel a bien réfuté, en 1972, la thèse d’après laquelle le pape Paul VI pouvait tout simplement défaire ce qu’avait fait saint Pie V ».
Faut-il en conclure que le Courrier de Rome a changé de ligne ? Notre lecteur attentif et vigilant a-t-il raison de constater une contradiction ?
La pensée de l’abbé Dulac
Il est vrai que l’abbé Dulac, docteur en Droit canon, a soutenu la thèse d’après laquelle la bulle Quo primum n’avait jamais été abrogée. Cependant, analysons de près son argumentation.
Voici ce qu’écrivait l’abbé Dulac dans un article de la revue Itinéraires d’avril 1972 : « La bulle est-elle valable à perpétuité ? Un principe régit d’abord ce sujet : Par in parem potestatem non habet : un pair n’a pas de pouvoir sur son pair. Nul ne peut donc proprement obliger ses égaux. Cela est particulièrement vrai entre ceux qui possèdent le pouvoir suprême. Celui-ci, par essence, est, en effet, un et le même dans ses différents détenteurs… Mais il faut réfléchir ensuite profondément à la portée véritable de ce principe. Si un pape (pour ne parler que du souverain religieux) a le pouvoir de se délier par LA MEME puissance qui avait permis à son prédécesseur de le lier, il ne devra user de cette faculté que pour des raisons gravissimes : celles-là mêmes qui auraient décidé le prédécesseur à revenir lui-même sur ses propres ordres. Sinon, c’est l’essence de l’autorité suprême qui est atteinte par ces ordres successifs contradictoires. (…) Tout n’est pas décidé quand on aurait dit, par exemple : “Paul VI peut validement abroger la bulle de saint Pie V”. Il resterait à montrer qu’il le fait licitement ».
Il est donc clair que, selon l’abbé Dulac, un pape a le pouvoir d’abroger validement la bulle de saint Pie V. Dans un deuxième temps, le canoniste s’interroge : de fait, Paul VI a-t-il validement abrogé la bulle de saint Pie V ? L’abbé Dulac répond par la négative. Son argumentation repose sur deux fondements. Le premier est canonique : d’après lui, Paul VI n’a pas usé des formes juridiques requises pour abroger Quo primum. Cette affirmation est discutable. Mais l’essentiel réside dans le second fondement, qui est d’ordre théologique. L’abbé Dulac écrit au sujet de la réforme liturgique de Paul VI : « Cette forfaiture mériterait une qualification théologique redoutable : celle qui fait dire d’une doctrine ou d’une pratique qu’elle “favorise l’hérésie” » .Le même auteur écrit aussi : « Jamais nous n’avons dit que la nouvelle messe était hérétique. Hélas ! elle est, pourrait-on dire, pis que cela : elle est équivoque, elle est flexible en des sens divers. Flexible à volonté » .Or, ajoute notre auteur, d’après saint Thomas d’Aquin : « Toute loi est ordonnée à l’intérêt commun des hommes, et c’est dans cette mesure qu’elle acquiert la force et le caractère de loi » (I-II, q. 90 art. 4).Il applique alors cet enseignement à la réforme liturgique qui, loin d’être ordonnée au bien commun de l’Église, lui est au contraire gravement néfaste et contribue à sa destruction. Et l’abbé Dulac de conclure : « Pour nous, l’acceptation ou le refus du l’Ordo de Paul VI n’est point une affaire de calendrier, mais une question de dogme. Nous y croyons notre salut éternel engagé » .
Par conséquent, si, d’après l’abbé Dulac, la réforme de Paul VI n’est pas valide, ce n’est pas en raison d’une incapacité juridique du pape. C’est d’abord et surtout parce que cette réforme, n’étant pas ordonnée au bien commun, n’est pas une vraie loi.
La pensée du Père Calmel
Étudions maintenant la position du Père Calmel. Dans un articleparu dans la revue Itinéraires n° 168 de décembre 1972, il écrit : « La Documentation catholique s’est mise en devoir, en publiant un prétendu « état de la question » sur le Novus Ordo Missae, de défendre « les gens simples » contre qui nous « jetons le trouble » dans leur cœur par le refus des nouvelles messes de Paul VI. Donc pour rassurer les bonnes âmes que nous avons troublées, ces messieurs nous rappellent « ce principe très simple : ce que le Pape a fait, le Pape peut le défaire » . Par conséquent, laissent-ils entendre, si la promulgation de l’Ordo Missae codifié par saint Pie V a été légitime et s’est imposée, la démolition de ce même Ordo Missae par Paul VI n’est pas moins légitime et s’impose tout autant, car c’est « très simple » : ce qu’un Pape a fait un autre peut le défaire.
Eh ! bien, si ce principe est si simple, si notamment il est d’une application sans limite, s’il n’est pas contenu dans les bornes strictes de la tradition, – la tradition qui protège l’essence des Sacrements et la met en lumière, – alors, que la Documentation catholique tache de nous expliquer pourquoi, en vingt siècles de papauté, nul Pape n’avait encore fait au sujet de la Messe ce que Paul VI a osé faire.
Oui, pourquoi depuis la fin des persécutions romaines aucun des Souverains Pontifes qui avaient, je suppose, non moins de pouvoir que Paul VI, n’a-t-il songé à introduire les mutations suivantes dans l’Ordo de la Sainte Messe :
1. mise en circulation de trois nouvelles prières dites eucharistiques, et tellement eucharistiques en effet qu’elles sont utilisées par les pasteurs qui n’ont pas la foi dans l’Eucharistie ;
2. suppression en pratique de la langue latine, même pour les paroles de la consécration et pour le Canon ;
3. bouleversement foncier de tout le temporal et tout le sanctoral, au point qu’il n’existe même plus de quatre-temps ;
4. raréfaction extrême et quasi totale des gestes qui sont significatifs du sacrifice et de la présence réelle ;
5. transformation tellement profonde du rite de la communion que le corps et le sang du Seigneur sont distribués par de simples laïcs, et même par des femmes et des filles, exactement comme si tous ces gens-là étaient prêtres ou diacres ?
Si le principe : « ce qu’un Pape a fait un autre peut le défaire » est aussi simple que ces messieurs nous le disent, si le Pape peut tout, non sans doute en matière de foi et de morale, mais en tout cas dans la discipline des sacrements, comment expliquer alors qu’en vingt siècles d’Église, aucun Souverain Pontife n’ait fait, pour bouleverser la Messe, ce qu’a osé faire le Pape de maintenant ?
Ce qu’un pape a établi un autre peut le renverser : ce principe en matière de dogme et de morale n’est jamais vrai ; en matière de discipline, il n’est vrai que dans une zone restreinte. Et, qu’il s’agisse de dogme et de morale ou bien de discipline, lorsque le changement est de type moderniste ce principe alors n’est jamais vrai, car les changements de ce type sont révolutionnaires et tout orientés à détruire l’Église. Je rappelle une fois de plus que les changements de type moderniste présentent les quatre caractères que voici :
1. les autorités officielles n’exercent plus, malgré les apparences, le gouvernement effectif, mais elles servent de paravent et de caution aux autorités parallèles, anonymes et occultes ; c’est essentiellement le système de la démocratie moderne ;
2. les changements, du fait qu’ils sont destinés à détruire de l’intérieur la foi et les sacrements, procèdent d’une manière masquée et se déguisent sous de faux prétextes, comme le retour aux sources, la meilleure participation, une commodité plus grande ;
3. en matière de dogme ces changements procèdent non par négation mais par réinterprétation ;
4. quand il s’agit de rites sacramentels, on ne rejette pas ouvertement matière et forme, ministre et sujet, mais par manipulation du formulaire, transformation des cérémonies, multiplication illimitée des variantes et des exceptions on fait tant et si bien que, au bout de quelques années, on aboutit au doute universel ; on ne sait plus au juste où sont la matière et la forme, qui est le ministre et qui le sujet.
Que l’on regarde de près et que l’on juge à leurs fruits les bouleversements liturgiques, jamais interrompus durant les neufs ans du présent pontificat, et que l’on nous prouve qu’ils ne sont pas de type moderniste.
C’est parce qu’ils ont été obligés d’aboutir, après examen de la situation actuelle, à cette conclusion désolante que des prêtres dociles, qui reconnaissent volontiers le pouvoir du Pape sur la liturgie, – mais un pouvoir limité, – se sont résolus cependant à refuser les messes nouvelles de Paul VI. Le sentiment filial de ces prêtres à l’égard du Vicaire du Christ est profond et demeure intact. Mais leur détermination est irréductible. Car faire des changements de type moderniste en n’importe quel domaine, et a fortiori dans la Sainte Messe, cela n’appartient pas au pouvoir du Pape, d’aucun Pape. Tout chrétien sait cela pour peu que sa foi soit éclairée. Et lorsqu’un Pape commet des abus de pouvoir dans l’ordre religieux tout chrétien sait également qu’il doit surmonter ce scandale ; le moyen est de s’en tenir à la tradition en redoublant de prière et de ferveur ».
Le Père Calmel admet donc, tout autant que l’abbé Dulac, le pouvoir qu’a le pape d’abroger Quo primum. Mais ce pouvoir est évidemment limité par la loi divine, d’après laquelle un pape n’a pas le droit de mettre en danger la foi des catholiques. Si le Père Calmel affirme avec force que la réforme de Paul VI est illégitime, ce n’est pas par manque de pouvoir, ni par manque de volonté, c’est parce que cette réforme liturgique est mauvaise et donc illicite, illégitime et invalide.
Les réformes du missel de saint Pie V
Les réflexions qui précèdent sont confirmées par les faits. Depuis 1570, date de la bulle Quo primum qui restaure le missel romain dans toute sa pureté, nombreux sont les papes qui ont opéré des réformes, certes légères mais bien réelles, du missel romain. Pourtant, avec une grande sévérité, le saint pape dominicain avait écrit : « Pour ce qui concerne notre présent missel récemment publié, nous décrétons : rien jamais ne devra lui être ajouté ou retranché, rien ne devra y être modifié ». Avec la bulle Cum sanctissimum du 7 juillet 1604, le pape Clément VIII publie une édition révisée du missel. Certaines rubriques sont complétées et le nombre des fêtes est augmenté. Avec le bref Si quid est du 2 septembre 1634, le pape Urbain VIII publie une nouvelle édition corrigée. Au 20e siècle, le pape saint Pie X modifie à son tour le missel romain, en réformant de nombreuses rubriques et en ajoutant des nouvelles préfaces. Cette nouvelle édition est authentiquée par un décret du 25 juillet 1920. Le pape Pie XII procède lui aussi à des réformes du missel romain. Le 23 mars 1955, il modifie de multiples rubriques, notamment au sujet des fêtes, des octaves et des oraisons. Le 16 novembre 1955, il promulgue un nouvel Ordo hebdomadaesanctae qui modifie substantiellement les rites de la semaine sainte. Mentionnons enfin quelques légères modifications du missel opérées par Jean XXIII en 1962 et, pendant le Concile Vatican II, l’ajout du nom de saint Joseph au canon de la messe.
Parmi toutes ces réformes du missel de saint Pie V, on peut juger que certaines sont heureuses et que d’autres sont maladroites. Mais qui prétendra qu’elles sont invalides du fait que la bulle Quo primum avait interdit la moindre modification du missel ?
Conclusion
Notre position sur la messe est inchangée. Notre combat se fonde sur des raisons théologiques bien plus que sur des arguments canoniques. C’est avant tout leur solide foi qui a poussé l’abbé Dulac, le Père Calmel, Mgr Lefebvre et bien d’autres à garder la messe traditionnelle envers et contre tout. Et puisqu’une réforme liturgique qui détruit l’Église est certainement invalide, le missel en vigueur au début du Concile Vatican IIn’a pas été abrogé, n’en déplaise à Paul VI et à François.
Abbé Bernard de Lacoste

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