UNE TRIPLE MÉPRISE ÉTONNANTE



Publié le 10/10/2024 sur internet
Publié dans le N°679 de la publication papier du Courrier de Rome



1. Remarquons aussi, comme pour finir, que la lecture que Monsieur l’abbé Vernier fait de notre prose a de quoi étonner. Car sur trois points, au moins, l’appréciation qu’il en donne relève, sinon de l’extrapolation, du moins d’une méprise difficilement compréhensible.

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Nier l’indéfectibilité de l’Eglise ?

2. La plus importante, et la plus grave, de ces méprises consiste à nous imputer la négation pratique de l’indéfectibilité de l’Eglise. Monsieur l’abbé Vernier écrit en effet, pour décrire ce qui serait la position de la FSSPX telle que nous la présenterions : « Si le dogme de l’indéfectibilité de l’Église et ses implications nécessaires demeurent toujours valables théoriquement, même en temps de crise provoquée par la hiérarchie, certaines de ses implications pratiques peuvent cesser de s’appliquer en vertu de la prudence. En fait, pour notre auteur, ces implications ne semblant pas absolument nécessaires, il avoue que la position de la FSSPX ne se distingue que prudentiellement du sédévacantisme occulte revendiqué ».

3. Citation est pourtant donnée en note 5 de notre propos paru dans le numéro d’avril 2024 du Courrier de Rome, où nous écrivions exactement ce qui suit : « Le zèle d’un abbé Vernier comporte sans doute quelque chose de chevaleresque et la fougue avec laquelle il entend pourfendre tout ce qui semblerait mettre en doute et en péril le dogme de l’indéfectibilité de l’Église, ainsi que sa visibilité, eût mérité, en d’autres circonstances, une approbation sans réserves. Malheureusement, ce zèle et cette fougue apparaissent clairement hors de mesure, au regard des circonstances de la crise qui sévit toujours, et de mal en pis, au sein de la sainte Église ».

4. Il suffit de lire pour s’apercevoir que le reproche qui nous est imputé tombe à faux. Selon nous, ce qui « eût mérité en d’autres circonstances une approbation sans réserves » et qui apparaît clairement « hors de mesure, au regard des circonstances de la crise qui sévit toujours, et de mal en pis, au sein de la sainte Église », ce n’est certainement pas le dogme de l’indéfectibilité de l’Eglise. Ce n’est ni plus ni moins que « le zèle » et « la fougue » avec lesquels Monsieur l’abbé Vernier entend « pourfendre tout ce qui semblerait le mettre en doute et en péril ». Il est clair que l’indéfectibilité de l’Eglise est une vérité qui s’impose à l’adhésion du catholique, aujourd’hui comme hier et qu’elle doit rester en toutes circonstances l’objet d’une approbation sans réserves. Nous ne la nions pas, bien au contraire. Nous avons même rédigé un article dans le numéro de septembre du Courrier de Rome pour expliquer en quoi elle consiste et en quoi elle doit se justifier aux yeux du catholique, même perplexe, d’aujourd’hui.

5. Autre est l’indéfectibilité de l’Eglise (comme toute vérité qui s’impose à l’assentiment du catholique), autre est la manière dont on entreprend de la défendre, dans un contexte donné. Nous avons voulu dire que la manière dont s’y prend Monsieur l’abbé Vernier pour défendre cette vérité est ni plus ni moins que maladroite, car, en défendant cette vérité, celui-ci ne tient pas un compte suffisant des difficultés réelles qui pourraient laisser croire que la sainte Eglise est en train de défaillir. Il ne suffit pas, en effet, de réaffirmer une vérité, même massivement et même avec tout le poids que lui donne l’autorité du Magistère de l’Eglise, pour l’établir dans l’esprit des lecteurs ou des auditeurs, alors que ceux-ci sont confrontés à des apparences qui vont en sens contraire de cette vérité et qui peuvent laisser croire que la réalité serait tout autre. Il importe de prendre sérieusement en compte ces difficultés, pour montrer qu’elle ne peuvent pas infirmer la vérité ni laisser, ne serait-ce qu’un seul instant, prise au doute. Et en l’occurrence il importe de regarder la réalité en face : depuis le dernier concile, le comportement et les discours des hommes d’Eglise se sont faits de plus en plus fauteurs de scandale, au point que l’on pourrait hésiter à dire que l’Eglise demeure bien encore ce qu’elle a toujours été. Songeons seulement aux dernières déclarations du Pape François, disant sans ambages que toute religion conduit à Dieu et qu’en toute foi se trouve l’inspiration divine . Dans le contexte de l’après Vatican II, l’Eglise reste indéfectible, mais encore faut-il argumenter pour dissiper les fausses apparences qui jouent contre elle. Il nous a semblé que le zèle de Monsieur l’abbé Vernier, empressé qu’il est à pourfendre les positions de la FSSPX, pèche sur ce point.

6. Loin de nier l’indéfectibilité de l’Eglise, ou d’en minimiser les implications pratiques, nous entendions seulement indiquer certaines insuffisances chez celui qui entend souligner son importance.

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Un positionnement seulement prudentiel ?

7. La deuxième de ces méprises concerne la portée de l’attitude adoptée par la FSSPX, à la suite de son fondateur Mgr Lefebvre. « La ligne de conduite de la FSSPX », écrit Monsieur l’abbé Vernier, « ne relève pas à proprement parler d’une position doctrinale mais plutôt d’un positionnement prudentiel ». Et de s’étonner, dès lors, comme s’il fallait voir là une contradiction, de ce que « la FSSPX ne cesse de qualifier par principe de " conciliaires " ou de " ralliés ", sans distinctions, l’ensemble des membres et des fidèles des communautés traditionnelles qui ne partagent pas son positionnement prudentiel ? Serait-ce prudentiellement qu’elle les juge de manière si dogmatique, jusqu’à remettre en cause l’intégrité de leur Foi et à faire de ces communautés des dissidentes de la Tradition ? ». Là encore, pourtant, citation est donnée en note 7 de notre propos paru dans le numéro d’avril 2024 du Courrier de Rome, (au n° 17) où nous écrivions exactement ce qui suit : « La " position " – n° 2, selon l’abbé Vernier – toujours suivie par la Fraternité Saint-Pie X n’en est pas une. Car ce n’est pas, précisément, une " position ", au sens où il faudrait entendre par là un principe dogmatique. […] D’un problème qui, aux yeux de la Fraternité Saint-Pie X, se pose essentiellement d’un point de vue pratique et prudentiel, l’abbé de la Fraternité Saint-Pierre fait un problème dogmatique ».

8. Les problèmes qui se posent à la conscience des fidèles catholiques depuis le concile Vatican II sont de deux ordres bien différents. Il y a tout d’abord le problème des erreurs graves, contraires à la Tradition, introduites dans les textes mêmes du Concile ainsi que dans les enseignements dispensés par les hommes d’Eglise à la suite de ce Concile et dans les réformes entreprises par eux. Il y a ensuite le problème de l’autorité dont devraient normalement jouir ces hommes d’Eglise et que l’on peut hésiter à leur reconnaître, du fait même qu’ils se font les artisans des erreurs signalées. Double problème, si l’on veut, des erreurs et des fauteurs de l’erreur. Et ce sont là deux problèmes différents. Le premier problème est évidemment un problème dogmatique, problème non point pratique mais théorique ou spéculatif, car il s’agit de déterminer la vérité pour y adhérer et de déterminer également l’erreur pour la rejeter. Le deuxième problème est en revanche un problème prudentiel, d’ordre pratique, car il s’agit de déterminer non la vérité mais la conduite à tenir vis-à-vis de ceux qui adhèrent à l’erreur, spécialement les hommes d’Eglise, normalement investis de l’autorité. Vis-à-vis de ces derniers, la question qui se pose est de savoir si l’on doit continuer à leur reconnaître cette autorité ou si l’on doit au contraire considérer qu’ils ne représentent plus les ministres légitimes de Dieu. Et plus généralement, vis-à-vis des fidèles qui, dans l’Eglise, suivent les nouvelles orientations depuis le Concile, la question qui se pose est de savoir comment les considérer : sont-ils encore catholiques ou sont-ils modernistes ? Et s’ils le sont, faut-il les traiter comme tels, en les considérant comme hors de l’Eglise ?

9. Notre propos, censé répondre à l’accusation de sédévacantisme occulte, n’avait ici d’autre objet que de répondre à la deuxième question, non à la première. Question de prudence, question de décider de l’attitude à adopter vis-à-vis des hommes investis de l’autorité dans l’Eglise. Le plus sage, a toujours estimé Mgr Lefebvre, est de les reconnaître encore, dans leur être, comme les représentants légitimes de Dieu, et de leur refuser l’obéissance indue lorsque, dans leurs actes, ils s’opposent à la Tradition et aux prescriptions de leurs prédécesseurs. Le plus sage aussi est de reconnaître encore et jusqu’à preuve évidente du contraire comme membres de l’Eglise les fidèles qui se considèrent comme catholiques et qui s’abusent en suivant les nouvelles directives de ces hommes d’Eglise. En cela, la FSSPX ne se veut nullement sédévacantiste. Et ce n’est pas l’être que de refuser seulement, au niveau des actes accomplis par l’autorité, une obéissance indue.

10. Tout autre est la réponse à la première question, qui est d’ordre doctrinal. Il s’agit pour lors de mesurer la portée des erreurs et c’est ici qu’interviennent les désignations signalées. En parlant de « conciliaires » ou de « ralliés », nous n’entendons pas qualifier une attitude prudentielle, qui serait celle de ceux qui continuent à reconnaître le Pape et les évêques comme des pasteurs légitimes – attitude qui, du reste, rejoint celle de la FSSPX. Ces expressions entendent qualifier ceux qui, d’une manière ou d’une autre , donnent leur adhésion aux erreurs, en reconnaissant une valeur proprement magistérielle aux enseignements du Concile et à ceux du post Concile. Ici, le choix n’est pas prudentiel mais véritablement dogmatique, et ce n’est donc pas prudentiellement, mais c’est bien dogmatiquement, oui, et à l’aune de la doctrine de toute la Tradition, que nous qualifions l’adhésion de ces fidèles aux erreurs graves signalées. Et nous jugeons ainsi les actes de l’adhésion, publics et notoires, non les personnes, dont nul ne connaît véritablement la bonne ou la mauvaise foi, et encore moins les intentions.

11. Enfin, l’évaluation que nous faisons de la position sédévacantiste correspond, quant à elle, à la réponse à la deuxième question, s’agissant du problème tout pratique de savoir comment réagir vis-à-vis d’autorités fautrices du modernisme. Nous écrivions précisément, dans un passage que Monsieur l’abbé Vernier cite en note 6 : « Le sédévacantisme affirme que de fait tel élu désigné évêque de Rome n’a pas reçu le souverain pontificat. Il ne nie pas qu’il puisse ensuite le recevoir ni que d’autres aient pu le recevoir et l’aient reçu en effet. […]. Une telle position n’est donc pas directement hérétique, de manière immédiate et formelle. Elle représente tout au plus un péché contre la prudence, non un péché contre la foi ». Sur le plan dogmatique, la position sédévacantiste n’implique pas directement et formellement la négation du dogme du Primat. Elle représente sur le plan pratique une faute grave contre la prudence, car elle peut conduire indirectement à la négation de l’indéfectibilité de l’Eglise, par l’affirmation de la privation habituelle de son chef visible. Et d’autre part, elle ne résout pas mais aggrave plutôt les difficultés suscitées par la crise de l’Eglise. Voilà pourquoi, en ces deux points, l’erreur du sédévacantisme représente d’abord et avant tout (non pas selon un ordre de gravité, mais selon un ordre de progression logique) une imprudence, c’est-à-dire une attitude dommageable sur le plan pratique. Alors que sur le plan dogmatique, cette attitude s’explique par le souci - intempestif certes - de se prémunir contre les erreurs, attitude louable en soi, et pour autant qu’elle ne soit pas intempestive, comme elle l’est avec le sédévacantisme. Lequel finit, en raison de cette imprudence, par verser, sur le plan dogmatique, dans l’erreur contre laquelle il voulait se prémunir, et aboutit à nier la nécessité d’un chef visible pour l’Eglise.

12. Voilà aussi pourquoi nous ne pouvons pas donner raison à Monsieur l’abbé Vernier lorsque celui-ci écrit que « la FSSPX ne se distingue que prudentiellement du sédévacantisme occulte revendiqué ». Car Monsieur l’abbé Vernier entend cela au sens où la FSSPX admettrait, à l’instar du sédévacantisme, que certaines des implications pratiques de l’indéfectibilité de l’Eglise peuvent cesser de s’appliquer en vertu de la prudence. Moyennant quoi, la FSSPX eût fait le choix prudentiel d’un sédévacantisme occulte, et se différencierait ainsi du sédévacantisme proprement dit, notoire et explicite, en raison de ce seul choix d’ordre pratique. Nous avons dit plus haut ce qu’il faut penser de cette imputation. Ajoutons seulement ici que, si l’on qualifie le sédévacantisme en disant qu’il est dans sa racine une erreur d’ordre pratique, cela ne signifie nullement qu’il n’implique pas (dans ses présupposés ou dans ses conséquences) des erreurs d’ordre dogmatique. Et, tout autant sinon plus que sur le plan pratique de la prudence c’est aussi à ce niveau dogmatique que la FSSPX se distingue de lui. Mgr Lefebvre disait en effet : « La question de la visibilité de l’Eglise est trop nécessaire à son existence pour que Dieu puisse l’omettre durant des décades ; le raisonnement de ceux qui affirment l’inexistence du pape met l’Eglise dans une situation inextricable » .

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Une résistance indue ?

13. La troisième de ces méprises survient lorsque Monsieur l’abbé Vernier pense voir une contradiction dans l’exemple que nous alléguons. « Pour nous rappeler la gravité de la crise que traverse actuellement l’Église », écrit-il, « l’abbé Gleize mentionne un bon nombre de prélats ou de théologiens dominicains, en communion visible avec le Pape François et la hiérarchie ecclésiastique, qui ont fait part respectueusement de leurs doutes ou de leurs critiques concernant des nouveautés introduites par quelques documents romains, d’inégales valeurs magistérielles ou disciplinaires ». […] « Le théologien de la FSSPX », conclut-il, « reconnait donc dans les faits que l’on peut être reconnu par la hiérarchie ecclésiastique et lui obéir par principe, sans pour autant nécessairement être complice de ses éventuelles déficiences ».

14. La conclusion de Monsieur l’abbé Vernier dépasse ici les prémisses. En effet, l’exemple allégué est là pour indiquer, du moins dans l’intention et le contexte de notre propos, la gravité des erreurs qui réclament une réaction. En effet, si, même des prélats et des théologiens pourtant censés cautionner le supposé « magistère » de Vatican II, finissent par réagir d’une manière critique, n’y a-t-il pas là l’indice que les erreurs signalées sont à prendre en considération et cela ne donne-t-il pas raison à la réaction de la FSSPX, qui ne s’en trouve plus isolée dans son analyse des problèmes doctrinaux suscités à la suite du Concile ?

15. Il y a seulement là un exemple, qui atteste ni plus ni moins ceci : d’autres que les membres de la FSSPX prennent conscience des déviances doctrinales, telles qu’elles sont fomentées par les hommes revêtus de l’autorité dans l’Eglise, et par le premier d’entre eux, le Pape lui-même. Autre est la question de savoir si cette prise de conscience, lorsqu’elle s’exprimerait seulement à travers des remarques critiques – et malheureusement à travers des propos sans lendemain – suffirait pour échapper à la complicité. Sur les points signalés, il n’est pas vrai que, en se contentant d’émettre de simples critiques, l’on puisse « obéir par principe, sans pour autant nécessairement être complice des éventuelles déficiences », déficiences de l’enseignement proposé par les membres de la hiérarchie. De deux choses l’une. Soit la critique refuse la complicité et elle aboutit nécessairement à refuser aussi l’obéissance : telle est d’ailleurs l’attitude des Conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar , à propos de la Déclaration Fiducia supplicans, exprimée dans un document de synthèse publié à la demande du cardinal Ambongo, le 11 janvier 2024, et où il est dit sans ambages : « Il n’y aura pas de bénédiction de couples homosexuels dans les églises d’Afrique, car de telles unions sont contraires à la volonté de Dieu ». Autre exemple d’une attitude critique incompatible avec l’obéissance : l’archevêque majeur de Kiev-Galitzia, primat de l’Eglise gréco-catholique ukrainienne, Mgr Sviatoslav Chevtchouk, a publié une déclaration le vendredi 22 décembre 2023 pour dire que la déclaration Fiducia supplicans ne sera pas appliquée dans son Eglise . Quant à la Conférence épiscopale des Pays-Bas, elle a tout simplement décidé de n’apppliquer cette même Déclaration qu’à la condition d’en corriger les intitulés, pour en éliminer tout ce qui s’y opposerait à la volonté de Dieu . Enfin, l’article publié dans la Revue thomiste tire la conclusion suivante : « Lorsque les supérieurs se délestent de leur responsabilité sur les inférieurs, les inférieurs se retrouvent seuls à porter toute la charge ». Les prêtres devront, à chaque cas difficile, « porter sur leur conscience le poids de la décision qu’ils auront été obligés de prendre seul » . Il faut bien reconnaître que, même relativement discrète par rapport à celles des prélats déjà mentionnés, cette réaction des Pères Dominicains ne saurait être entendue comme un encouragement à l’obéissance. L’autre alternative serait d’émettre des réserves et néanmoins d’obéir : mais en obéissant, comment ne pas échapper à la complicité ?

16. L’argumentation de Monsieur l’abbé Vernier nous paraît ici, comme sur les deux autres points signalés, littéralement sans objet.

Abbé Jean-Michel Gleize

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