UN PEUPLE TOUJOURS ÉLU ?
Publié dans le N°675 de la publication papier du Courrier de Rome
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Une difficulté non révoquée
1.Comme l’a souligné le Pape émérite Benoît XVI, « la thèse selon laquelle l’Alliance de Dieu avec Israël, son peuple, perdure et n’a jamais été révoquée ne figure pas explicitement dans Nostra aetate, mais a été prononcée pour la première fois par Jean-Paul II à Mayence le 17 novembre 1980. Elle a ensuite été intégrée au Catéchisme de l’Eglise catholique (n° 121) et fait donc d’une certaine manière partie de la doctrine actuelle de l’Eglise catholique » .
2. L’enseignement explicite de Jean-Paul II est le suivant : « La rencontre entre le peuple de Dieu de l’Ancienne Alliance que Dieu n’a jamais dénoncée (Rm, XI, 29) et celui de la Nouvelle Alliance est en même temps un dialogue intérieur à notre Église, s’établissant pour ainsi dire entre la première et la deuxième partie de la Bible » et celui du Catéchisme est le suivant : « L’Ancien Testament est une partie inamissible de l’Écriture Sainte. Ses livres sont divinement inspirés et conservent une valeur permanente (cf. Dei Verbum n° 14) car l’Ancienne Alliance n’a jamais été révoquée ».
3. Mais au-delà de cette idée de la permanence de l’Ancienne Alliance, liée à la valeur permanente des livres inspirés, c’est surtout l’idée de la valeur permanente du peuple juif et de sa religion dans l’ordre du salut qui est évoquée. Jean-Paul II l’affirme à trois reprises. Premièrement, lors du discours à la communauté juive de Mayence, déjà cité : le judaïsme actuel, dit-il, continue d’être « le peuple de Dieu de l’Ancienne Alliance, Alliancequi n’a jamais été dénoncée ». Deuxièmement, lors du discours à la synagogue de Rome en 1986 : « La religion juive ne nous est pas extrinsèque mais d’une certaine manière elle est intrinsèque à notre religion ; nous avons donc envers elle des rapports que nous n’avons avec aucune autre religion » . Troisièmement, dans une lettre adressée au Grand rabbin de Rome en 2004 : « Vous continuez à être le peuple premier-né de l’Alliance » .
4. Il importe de ne pas se méprendre sur la véritable signification de ces propos tenus par Jean-Paul II et qui seront repris par ses successeurs. Comme en toute logique qui se respecte, la signification d’une énonciationlui vient de ce qu’on y attribue un prédicat à un sujet. Tout énonciation consiste de la sorte à parler de quelque chose (c’est son sujet) pour en dire quelque chose (c’est son prédicat). De quoi parle Jean-Paul II ? Ici, le Pape polonais n’évoque pas seulement « le peuple de Dieu de l’Ancienne Alliance » ni « l’Ancien Testament ». Il parle précisément – et c’est le sujet logique de son énonciation - du « judaïsme actuel », de la « religion juive » et - à travers l’apostrophe « vous » - des juifs dont le Grand rabbin de Rome est actuellement le responsable religieux. Et le prédécesseur de Benoît XVI parle de ce sujet logique pour en dire – c’est le prédicat de son énonciation – qu’il est toujours, encore actuellement, « le peuple de Dieu de l’Ancienne Alliance », qu’il constitue comme tel « une religion intrinsèque à la religion chrétienne », qu’il s’identifie au « peuple de la première Alliance ». Est donc énoncée ici une identité formelle entre le judaïsme d’avant le Christ et le judaïsme d’après le Christ, et, en conséquence de cette identité, la valeur permanente de l’Ancienne Alliance, « jamais dénoncée ».
5. Pourtant, l’Epître de saint Paul aux Hébreux - divinement inspirée elle aussi et conservant une valeur permanente - semble bel et bien prouver l’abrogation définitive de l’Ancienne Alliance. Au chapitre VII, verset 2, saint Paul affirme en effet que le changement d’Alliance est la conséquence du changement de sacerdoce et de sacrifice. Au verset 18 du même chapitre, il dit encore que ce changement s’explique du fait que le sacerdoce de l’ancienne Loi ne sert désormais plus à rien ; incapable de sanctifier par lui-même, il pouvait seulement faire connaître à l’avance le véritable sacerdoce qui aurait le pouvoir de sanctifier. Lorsque ce dernier advient, l’ancien sacerdoce est abrogé. Enfin, au verset 13 du chapitre VIII, saint Paul dit que les expressions dont se sert la Révélation désignent clairement cette abrogation. On appelle en effet l’Alliance de Moïse l’Alliance « ancienne » et on appelle l’Alliance de l’Evangile l’Alliance « nouvelle ». Or, la relation entre l’ancien et le nouveau est la relation entre ce qui est abrogé et ce qui le remplace. Il y a donc une contradiction manifeste entre ce qu’énonce saint Paul – l’Ancienne Alliance est abrogée – et ce qu’énonce Jean-Paul II – l’Ancienne Alliance n’a pas été abrogée.
6. D’autre part, le saint concile œcuménique de Florence impose à croire que « les prescriptions légales de l’Ancien Testament, parce quelles avaient été instituées pour signifier quelque chose de futur, bien qu’en ce temps-là elles aient été adaptées au culte divin, une fois venu notre Seigneur Jésus Christ qui était signifié par elles, ont pris fin » . Or, l’Ancienne Alliance consiste essentiellement dans ces prescriptions légales. Et c’est pourquoi elle a pris fin depuis le Christ.
7. Enfin, il convient aussi de rappeler quelle est la vraie signification que la doctrine catholique a toujours donnée à ces expressions problématiques du « judaïsme » ou de la « religion juive » ou des « juifs ». On peut entendre par « judaïsme » ou « juifs » : premièrement, une réalité ethnique et sociologique, la réalité du peuple juif, tel qu’il demeure uniment une race et une entité politique, avant comme après le Christ ; deuxièmement - et c’est aussi le sens de la « religion juive » - la religion de l'Ancien Testament ; troisièmement – et c’est encore le sens possible de la « religion juive » - la nouvelle religion apparue lorsque les chefs religieux du peuple juif ont refusé le Christ et avec lui la religion du Nouveau Testament, qui devait succéder à celle de l’Ancien Testament, dont elle était l’accomplissement. Au moment du concile, Mgr de Castro-Mayer fit remarquer que les juifs d’aujourd’huine sont pas le peuple de l’Ancienne Alliance, puisqu’ils refusent le Christ, qui était la raison d’être de toute cette Alliance. On ne saurait donc parler de la même manière, comme de deux réalités identiques, des « juifs » fidèles à Dieu et au Messie futur, avant l’Incarnation, et des « juifs » de notre époque. Les « juifs » de notre époque sont les successeurs de ceux qui ont livré le Christ à la mort et abandonné la justice, dans l’endurcissement de leur cœur , et ils ne sont pas les successeurs des « juifs » de la première Alliance.La mission confiée temporairement aux juifs de cette Ancienne Alliance se poursuit désormais jusqu’à la fin des siècles dans la nouvelle et seconde Alliance, avec l’Eglise fondée par Jésus Christ, le vrai Messie annoncé dans les Ecritures. Quant aux juifs qui refusent de reconnaître le Christ comme le Messie et s’obstinent à vouloir demeurer le vrai Peuple de Dieu de l’Ancienne Alliance, désormais abrogée, ilsconstituent une nouvelle religion, opposée à la religion chrétienne fondée par Jésus Christ, laquelle, et elle seule, accomplit désormais et continue la religion de l’Ancienne Alliance.
8. Les propos de Jean-Paul II semblent donc fort difficilement conciliables avec ceux de saint Paul dans l’Epître aux Hébreux, ceux du concile de Florence, ceux de la doctrine catholique, telle que la rappelait encore, au moment du concile Vatican II, l’un des pères du Coetus. Et cela constitue une sérieuse difficulté. La solution de celle-ci passe par une intelligence approfondie de la notion d’Alliance, telle que nous la fait connaître la théologie, dans la dépendance de la Révélation divine.
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Une double « Alliance » :
en quel sens ?
9. Saint Thomas explique que Dieu conclut une « alliance » avec les hommes lorsqu’il donne aux hommes une loi spéciale, une loi communiquée par Révélation, en plus de la loi naturelle, comme il le fit en donnant à Moïse la loi ancienne du peuple juif ou en donnant par le Christ aux apôtres la loi nouvelle de l’Evangile. Cette loi divine révélée est rendue nécessaire dans l’état concret de la nature humaine, où Dieu veut donner aux hommes la connaissance de leur destinée éternelle et des moyens qui y conduisent .
10. Et dans cette « alliance », Dieu a voulu distinguer deux étapes. Il n’y a donc, en un certain sens, qu’une seule « alliance », non révoquée, à travers ces deux étapes. La loi divine est de la sorteune,dans sa définition essentielle, laquelle se tire de son but. Mais il y a une distinction et une dualité, selon le degré de perfection que cette loi communique aux hommes. La loi divine, et avec elle l’alliance, se divise en deux étapes, une étape imparfaite et une étape parfaite.En un autre sens, il y a donc deux « alliances ».« On trouve deux manières », dit le docteur angélique, « dont les choses peuvent être distinctes. La première est celle qui porte sur les choses totalement diversifiées par leur espèce, telles que le cheval et le boeuf. La seconde peut se rencontrer entre ce qui est parfait, et ce qui est imparfait dans la même espèce, comme l'homme et l'enfant. C'est ainsi que la loi divine se divise en loi ancienne et loi nouvelle. Voilà pourquoi dans l'épître aux Galates, chapitre III, verset 24, saint Paul compare l'état de la loi ancienne à celui d'un enfant qui se trouve encore soumis à un surveillant, tandis qu'il assimile l'état de la loi nouvelle à celui d'un homme parfait qui n'est plus sous la tutelle du surveillant » .
11. La raison fondamentale de cette imperfection de la première Alliance est que la loi ancienne devait donnerle salut seulement en promesse et en figure, et non en réalité. La première Allianceétait ainsi une économie essentiellement provisoire, toute tournée vers un événement qui, en réalisant son attente, la rendrait inutile. Par le Christ, la première Alliance devait être révoquée, au sens où tout ce qui était en elle préparation allait s’effacer devant l’accomplissement.
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Le peuple élu
12. Il y a donc eu, dans le dessein providentiel de Dieu, un peuple élu; nous trouvons en effet, à l’origine du peuple juif, une famille, dont le chef Abraham est appelé par Dieu pour faire alliance avec Lui et dont la descendance va devenir un peuple d’origine surnaturelle, le peuple de Dieu, élu pour donner le principe du salut au reste de l’humanité .
13. Ce point a d’ailleurs été mis en évidence par le Pape Jean-Paul II lui-même.« À l'origine de ce petit peuple », dit-il, « peuple situé entre de grands empires de religion païenne qui l'emportent sur lui par l'éclat de leur culture, il y a le fait de l'élection divine. Ce peuple est convoqué et conduit par Dieu, Créateur du ciel et de la terre. Son existence n'est donc pas un pur fait de nature ni de culture, au sens où par la culture l'homme déploie les ressources de sa propre nature. Elle est un fait surnaturel. […] C'est pourquoi ceux qui considèrent le fait que Jésus fut Juif et que son milieu était le monde juif comme de simples faits culturels contingents, auxquels il serait possible de substituer une autre tradition religieuse dont la personne du Seigneur pourrait être détachée sans qu'elle perde son identité, non seulement méconnaissent le sens de l'histoire du salut, mais plus radicalement s'en prennent à la vérité elle-même de l'Incarnation » . Ce n’est donc pas sur ce point que la théologie du Pape polonais pourrait susciter d’éventuelles réserves. Au contraire, nous trouvons ici l’expression de la pensée traditionnelle de l’Eglise, telle qu’elle a trouvé son expression dans le livre du Père Julio Meinvielle, Le Judaïsme dans le mystère de l’histoire, ou dans celui du cardinal Charles Journet, Destinées d’Israël - A propos du salut par les juifs.
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Le peuple jadis élu
14. Mais la vérité est aussi que cette élection divine du peuple juif n’a pas seulement cessé, comme elle aurait dû cesser d’une manière ou d’une autre ; elle a été perdue, car elle a cessé dans une circonstance très précise, qui fut l’infidélité du peuple juif. Cependant, cette infidélité fut seulement la circonstance – ou l’occasion – de la cessation de l’élection. La véritable cause, nécessaire et suffisante, de cette cessation fut autre, et ce fut l’avènement même du Christ.
15. L’élection devait cesser, car sa raison d’être, propre et immédiate, était la Promesse adressée par Dieu au peuple juif. Or, une promesse est par définition quelque chose de provisoire, qui finit par cesser lorsque la chose promise advient. L’Ancienne Alliance a donc cessé, et avec elle l’élection du peuple juif, lorsqu’a cessé la Promesse, du fait même que celle-ci a trouvé sa réalisation. Or, la venue du Christ constitue la réalisation de la Promesse. En effet, celle-ci était celle d’une postérité en laquelle toutes les nations devaient être bénies. L’expression de cette Promesse se trouve dans le chapitre XXII du livre de la Genèse, aux versets 16-18. Son explication se trouve dans le chapitre III de l’Epître de saint Paul aux Galates, au verset 16. Les Pères de l’Eglise et saint Thomas en ont explicité le sens : il s’agit de la promesse de l’Eglise, Corps mystique du Christ, dans son chef et dans ses membres.La réalisation de cette promesse, avec la venue du Christ et de l’Eglise, entraîne donc pour conséquence la cessation de l’AncienneAlliance, et avec elle la cessation du lien formel qui constituait jusqu’ici comme tel le peuple élu, quoi qu’il en soit des individus qui le composaient matériellement, et qui peuvent s’obstiner à observer la Loi désormais abrogée.
16. Soulignons ce point d’importance : la cessation de l’Ancienne Alliance et de l’élection du peuple juif est formellement indépendante de l’attitude adoptée par les juifs à l’égard de Jésus de Nazareth. Cette attitude fut celle d’un rejet et d’une infidélité, accompagnée du déicide. Mais ce rejet ne fut qu’une circonstance, accompagnant la cessation de l’Alliance et de l’élection, non leur véritable cause. La cause en fut la venue du Christ, aboutissement de la Promesse. Il ne suffit pas de nier l’infidélité du peuple juif pour pouvoir nier que l’AncienneAlliance a été révoquée et affirmer que le judaïsme actuelcontinue d’être le peuple de cette Ancienne Alliance, le peuple élu de Dieu. L’Alliance et l’élection ont cessé en s’effaçant devant le Christ, comme la promesse lors de sa réalisation ou comme la figure devant la réalité figurée.
17. Voilà d’ailleurs pourquoi les expressions utilisées par les Papes ont toujours eu soin de faire référence à cette cessation de l’élection, tout autant, sinon même davantage, qu’à l’infidélité ou qu’au déicide. Ils parlent en effet du peuple juif comme du peuple « jadis élu ». Par exemple, condamnant l’antisémitisme, l’ancien SaintOffice a précisément défini celui-ci comme « la haine de la race jadisélue par Dieu » et la liturgie du Vendredi Saint parle du peuple juif comme de « celui qui a été autrefois votre peuple élu». Le Pape émérite Benoît XVI en témoigne lui-même, lorsqu’il s’inscrit en faux contre cette doctrine traditionnelle, encore rappelée par son prédécesseur Léon XIII dans l’Acte de consécration du 11 juin 1899. « La théorie de la substitution », dit-il, « qui a jusqu’ici dominé la pensée théologique sur cette question est à rejeter. Cette théorie dit qu’après le rejet de Jésus Christ Israël a cessé d’être le porteur des promesses de Dieu, de sorte qu’il peut être désormais nommé " le peuple qui fut si longtemps élu " (Prière de consécration du genre humain au Sacré Cœur de Jésus) » .
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Le nouveau Vade-mecum
des évêques français
18. L’ouvrage élaboré sous la direction des évêques de France et intitulé « Déconstruire l’antijudaïsme chrétien » condense en ses vingt chapitres le reniement explicite et absolu de la doctrine traditionnelle de l’Eglise . Les deux points culminants de ce reniement sont formulés aux deux chapitres 6 et 19. L’ancienne et première Alliance n’a pas été révoquée (chapitre 6) et le christianisme ne s’est pas substitué au judaïsme (chapitre 19). « Beaucoup ont même pensé », précise ce chapitre 19, « que le judaïsme d’après Jésus avait perdu toute signification historique et religieuse, comme si le Christ y avait mis fin. C’est ce que l’on appelle aujourd’hui la théorie de la substitution » . Qu’en dit l’Eglise aujourd’hui ? « Fondement de l’antijudaïsme chrétien, la théorie de la substitution est dénoncée avec force par l’Eglise depuis Vatican II » . Pour que l’on ne s’y méprenne pas, le texte a soin de préciser quelques lignes plus loin : « Le judaïsme doit être regardé par les chrétiens comme une réalité non seulement sociale et historique, mais surtout religieuse : non pas comme la relique d’un passé vénérable et révolu, mais comme une réalité vivante à travers le temps » . Et en lien logique avec tout le reste de l’ouvrage, le chapitre 9, intitulé « L’antijudaïsme » dénonce tous les faux clichés qui ont pu entretenir l’hostilité des chrétiens envers les juifs et contribuer à la Shoah. Parmi ces clichés communément véhiculés figure l’idée selon laquelle « les juifs sont dépouillés de leur élection » . Voilà qui rejoint très exactement les propos de Jean-Paul II, énoncés plus haut : le judaïsme actuelcontinue d’être le peuple de Dieu de l’Ancienne Alliance, Alliancequi n’a jamais été dénoncée et les juifs d’aujourd’hui continuent à être le peuple premier-né de l’Alliance.
19. La conséquence – inévitable – de tous ces présupposés n’est pas éludée. Elle est assumée au chapitre 18 de l’ouvrage, qui pose la question suivante : « Les chrétiens ont-ils pour mission de convertir les juifs ? » . La réponse entend s’appuyer sur les propos tenus par le Pape Jean-Paul II, lors du discours à la synagogue de Rome en 1986 : « La religion juive ne nous est pas extrinsèque mais d’une certaine manière elle est intrinsèque à notre religion ; nous avons donc envers elle des rapports que nous n’avons avec aucune autre religion » . De là peut découler l’idée selon laquelle les chrétiens ne doivent pas convertir les juifs. Cette idée est explicitée par le Pape François, dans l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium, que cite l’ouvrage des évêques de France en ce chapitre 18 : « Un regard très spécial s’adresse au peuple juif, dont l’Alliance avec Dieu n’a jamais été révoquée, parce que " les dons et les appels de Dieu sont sans repentance" (Rm XI, 29). L’Église, qui partage avec le judaïsme une part importante des Saintes Écritures, considère le peuple de l’Alliance et sa foi comme une racine sacrée de sa propre identité chrétienne (cf. Rm XI, 16-18). En tant que chrétiens, nous ne pouvons pas considérer le judaïsme comme une religion étrangère, ni classer les juifs parmi ceux qui sont appelés à laisser les idoles pour se convertir au vrai Dieu (cf. 1Th I, 9) » .
20. Le collectif épiscopal s’appuie également sur le document publié, le 10 décembre 2015, par la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme, organe du Conseil pontifial pour la promotion de l’unité des chrétiens, et intitulé « Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables ». Au numéro 40, il est dit : « On comprendra facilement dès lors que la notion de " mission aux juifs" est une question extrêmement délicate et sensible pour les juifs car, à leurs yeux, elle touche à l’existence même du peuple juif. C’est aussi une question problématique pour les chrétiens pour qui le rôle salvifique universel de Jésus Christ et donc la mission universelle de l’Église ont une importance fondamentale. Pour cette raison, l’Église a été amenée à considérer l’évangélisation des juifs, qui croient dans le Dieu unique, d’une manière différente de celle auprès des peuples ayant une autre religion et une autre vision du monde. En pratique, cela signifie que l’Église catholique ne conduit et ne promeut aucune action missionnaire institutionnelle spécifique en direction des juifs. Mais alors que l’Église rejette par principe toute mission institutionnelle auprès des juifs, les chrétiens sont néanmoins appelés à rendre témoignage de leur foi en Jésus Christ devant les juifs, avec humilité et délicatesse, en reconnaissant que les juifs sont dépositaires de la Parole de Dieu et en gardant toujours présente à l’esprit l’immense tragédie de la Shoah » .
21. « L’Église catholique ne conduit et ne promeut aucune action missionnaire institutionnelle spécifique en direction des juifs ». Pourtant, « le rôle salvifique universel de Jésus Christ et donc la mission universelle de l’Église ont une importance fondamentale ». Comment résoudre dès lors la difficulté qui apparaît d’autant moins surmontable que les juifs eux-mêmes continuent à voir dans le catholicisme l’antithèse de l’Alliance contractée par Dieu avec Israël et la négation même de leur élection ? Au point que les rabbins d’Israël aient pu voir dans la conversion d’Aaron Lustiger au christianisme un mal pire que la Shoah ?
Abbé Jean-Michel Gleize