UNE ECCLÉSIOLOGIE EN GERME
Publié dans le N°669 de la publication papier du Courrier de Rome
1. Le docteur commun de l’Eglise n’a pu envisager le mystère du neuvième article du Credo dans toute son intégrité. Pas plus, d’ailleurs que les Pères d’avant le concile de Nicée n’ont pu envisager dans toute son intégrité le mystère de la Sainte Trinité ou ceux d’avant le concile de Chalcédoine le mystère de l’Incarnation . Il y a là comme une loi nécessaire, qui affecte non la vérité des mystères mais l’intelligence que les fidèles ont de cette vérité. Cette intelligence est progressive et ce sont les attaques de l’hérésie qui donnent occasion aux saints docteurs de mettre en relief les différentes facettes de la vérité révélée et d’en faire ensuite la synthèse définitive.
2. Saint Thomas a vécu en un temps où tous les aspects relatifs à la visibilité de l’Eglise et à sa nature hiérarchique faisaient l’objet d’une possession pacifique. Les canonistes s’en occupaient suffisamment, dans leurs conséquences pratiques, pour que les théologiens se crussent dispensés d’en donner la justification spéculative. Le mystère de l’Eglise exerçait plutôt leur réflexion dans sa dimension théologale et mystique et leur attention se portait davantage sur la communication de la grâce, qui constitue comme telle la communion des saints, cause finale de l’économie ecclésiale.
3. La révolte des prétendus réformateurs du seizième siècle devait sans doute pousser un saint Robert Bellarmin à mener une réflexion plus approfondie sur la nature de l’Eglise, mais déjà, avant Luther et Calvin, le dominicain Jean de Torquemada avait entrepris, en 1449, la composition d’un traité d’ecclésiologie, la Summa de Ecclesia, pour défendre les positions acquises dix ans plus tôt par le concile de Florence à l’encontre des idées conciliaristes. Et un peu plus d’un demi-siècle plus tard, en 1512, Cajetan devait lui aussi composer son traité Sur l’autorité du Pape comparée àcelle du concile, pour dénoncer les mêmes erreurs. Nous observons ainsi, durant le dernier tiers du Moyen-âge, le point de départ d’une réflexion qui devait travailler à mettre en relief la nature essentiellement visible et sociale de l’Eglise. Durant les siècles qui suivront, le Magistère, appuyé sur ces lumières de la théologie, mettra de mieux en mieux en lumière cet aspect de la Révélation divine demeuré jusqu’ici implicite. Et en 1870, le premier concile du Vatican, avec la constitution dogmatique Pastor aeternus,consacrera la définition du Corpsmystique conçu comme une société visible et hiérarchique, reposant sur Primat du Pape, pierre d’angle de l’Eglise.
4. Il n’appartenait pas à Frère Thomas de préparer ces voies. Du moins les aura-t-il rendues possibles, en léguant le meilleur de lui-même à son plus fidèle disciple, le cardinal Cajetan, auquel le concile Vatican I attribuera lemérite d’avoir préparé cette définition .
Abbé Jean-Michel Gleize