– 1 –
L’argument de l’unanimité de l’épiscopat
1. « Nous désirons et nous souhaitons que l’on continue et que l’on encourage les recherches en vue de préparer la définition du dogme de Marie Médiatrice de toutes grâces, qui fait déjà partie de la profession de foi du peuple chrétien, avec l’office du bréviaire et le missel » [1]. Ce vœu de Son Eminence le cardinal Clément Roques, pour lors archevêque de Rennes, en France, fut envoyé, au cours de l’été 1959, à la Commission pontificale antépréparatoire, en réponse à une lettre du 18 juin demandant aux évêques français leurs avis et leurs vœux, en vue du prochain concile annoncé par le Pape Jean XXIII le 25 janvier précédent. Sur les 106 évêques français qui répondirent, 9 évêques résidentiels et un évêque auxiliaire demandèrent la définition dogmatique de la Médiation universelle de la Sainte Vierge. Citons parmi eux : Mgr Mathieu, évêque d’Aire [2], Mgr Megnin, évêque d’Angoulême [3], Mgr Flynn, évêque de Nevers [4], Mgr Girbeau, évêque de Nîmes (celui-ci demandant de surcroît la définition dogmatique de Marie corédemptrice) [5], Mgr Courbe, évêque auxiliaire de Paris [6]. En tout état de cause, ces évêques demandent tous que soit définie comme un dogme de foi divine et catholique, c’est-à-dire comme une vérité formellement révélée par Dieu, la « Médiation universelle » de Marie prise dans un sens élargi, c’est-à-dire comme incluant non seulement la Médiation universelle au sens strict (c’est-à-dire la vérité selon laquelle la Très Sainte Vierge Marie distribue à tous les hommes toutes les grâces acquises de la Rédemption) mais aussi la Corédemption (c’est-à-dire la vérité selon laquelle la Très Sainte Vierge Marie a acquis avec le Christ, par sa compassion au pied de la croix, toutes les grâces de la Rédemption).
2. Ces « vota » ont toute leur importance, qui est beaucoup plus que celle de simples « desiderata ». Les évêques sont en effet « les vrais docteurs et les vrais maîtres des fidèles confiés à leurs soins » [7]. Leur consensus unanime représente même un critère infaillible, le signe qui atteste sans erreur possible que la doctrine qu’ils retiennent à l’unanimité est bien révélée par Dieu [8] : tel est le critère du Magistère ordinaire universel. Le Pape peut d’ailleurs y recourir avant de procéder à une définition solennelle. Nous en avons un exemple célèbre, lorsque dans la bulle Magnificentissimus Deus du 1er novembre 1950, définissant le dogme de l’Assomption, le Pape Pie XII fait allusion à la consultation qui avait eu lieu précédemment, le 1er mai 1946, et où, en adressant à tous les évêques de la terre par la lettre Deiparae virginis Mariae, il s’était efforcé de vérifier que la vérité de l’Assomption faisait l’objet de la prédication actuelle unanime des pasteurs dans l’Eglise. « Cet accord remarquable des évêques et des fidèles catholiques, […] comme il Nous offre l’accord de l’enseignement du Magistère ordinaire de l’Église et de la foi concordante du peuple chrétien – que le même Magistère soutient et dirige – manifeste donc par lui-même, et d’une façon tout à fait certaine et exempte de toutes erreurs, que ce privilège est une vérité révélée par Dieu et contenue dans le dépôt divin, confié par le Christ à son Épouse, pour qu’elle le garde fidèlement et le fasse connaître d’une façon infaillible » [9]. Les « vota » remis au Saint Siège à la veille du concile œcuménique, s’ils ne vont pas jusqu’à représenter le critère du Magistère ordinaire universel, attestent du moins l’état de la prédication unanime de l’épiscopat, en faveur d’une vérité qui mérite d’être définie comme un dogme de foi.
3. Or cette unanimité est parfaitement constatable. Car les évêques de France n’étaient pas les seuls à émettre ce vœu de voir définies la Médiation universelle et la Corédemption de la Très Sainte Vierge Marie. La collection des Acta du concile Vatican II, dans la série des textes préparatoires au Concile, recense la totalité des vœux présentés par les évêques du monde entier. En Europe, 80 évêques demandent la définition, dont 41 pour l’Italie, 11 pour la Pologne, 9 pour l’Espagne et 5 pour l’Irlande. Partout ailleurs dans le monde la définition est demandée dans tous les diocèses : aux Etats-Unis d’Amérique, 19 évêques la demandent, aux Philippines ce sont 4 évêques et en Inde 5. Mais au-delà des chiffres, ce qu’il importe de constater, ce sont les considérations qui accompagnent l’expression du souhait de la définition, et qui entendent en justifier la demande. On retrouve toujours les mêmes considérations : la définition est plus qu’opportune car elle ne fera que proclamer ce qui apparaît suffisamment comme partie intégrante du dépôt de la foi ; la définition éclairera les âmes de bonne volonté.
– 2 –
Les principaux témoignages
4. L’évêque auxiliaire de Malte, Mgr Emmanuel Galea [10], écrit en son nom et au nom de son archevêque, Son Excellence Monseigneur Mikiel Gonzi [11] : « Pour attirer au centre de l’unité catholique les chrétiens qui s’en sont séparés, une définition dogmatique de Marie, Mère de Dieu, Médiatrice universelle de toutes les grâces, aux côtés de son Fils Jésus lui-même unique Médiateur auprès de Dieu, pourrait être d’un très grand secours. En effet, les sectes schismatiques orientales gardent encore une vénération pour la Très Sainte Vierge. Quant aux protestants, comme on le sait, ils ont en grande partie abandonné leurs anciennes opinions. L’on doit donc grandement espérer que cette vérité, si elle est expliquée comme il convient, sera reçue de tous les chrétiens comme la voix de la Mère céleste qui veut ramener tous ses fils à l’unité » [12].
– 3 –
Les évêques espagnols
5. Les évêques espagnols comptent parmi les plus fervents défenseurs des privilèges de la Mère de Dieu. Mgr Angel Riesco Carbajo [13] écrit que tout le monde désire voir défini comme un dogme que Marie est Médiatrice de toutes grâces. Mgr Vicente Enrique y Tarancón [14] demande que l’on définisse : la sainteté initiale de la Sainte Vierge ; sa dormition, qui ne doit pas être entendue comme une mort mais comme une « passage » (« transitus ») ; sa Corédemption ; sa maternité spirituelle ; sa Médiation universelle [15].
6. Selon Mgr Léopold Eijo y Garay [16], « venant du Concile, une définition dogmatique ou du moins une déclaration doctrinale concernant Marie Médiatrice de toutes grâces aurait beaucoup d’efficacité pour susciter chez tout le peuple fidèle une dévotion fervente envers la bienheureuse Vierge Mère de Dieu, et à travers elle envers Notre Seigneur Jésus Christ, dans la mesure où il serait affirmé que, » selon la volonté de Dieu, rien ne nous est attribué du grand trésor de toutes les grâces sinon par l’intermédiaire de Marie, en sorte que, de même que personne ne peut s’approcher du Père Souverain sinon par son Fils, ainsi, personne ne peut s’approcher du Fils sinon par sa Mère » (Léon XIII) ; » c’est d’elle qu’est né Jésus, sa vraie mère et pour cette raison elle mérite d’être Médiatrice auprès du Médiateur et elle est acceptée de Dieu comme telle » (Léon XIII) ; » en effet, elle l’emporte sur tous en sainteté et dans l’union au Christ et appelée par le Christ à prendre part à l’œuvre du salut des hommes, elle est la première des ministres pour distribuer les grâces » (saint Pie X) » [17].
7. Mgr Rafael Balanzá y Navarro [18] demande que l’on définisse que la doctrine selon laquelle la très bienheureuse Vierge est Médiatrice de toutes grâces est divinement révélée [19]. Mgr Alfonso Rodenas Garcia [20] fait remarquer que la vérité de la Médiation universelle de la Très Sainte Vierge Marie devient de jour en jour plus claire, et combien plus serait-elle claire si le futur Concile s’occupait de la mettre en évidence [21].
8. Mgr Gregorio Modrego y Casaus [22] observe que « la doctrine concernant la bienheureuse Vierge Marie s’est beaucoup développée ces derniers temps et c’est pourquoi le Concile œuvrerait de la meilleure manière en faveur de cette doctrine de la mariologie s’il soumettait à révision tous les développements que nos mariologues ont pu exprimer à notre époque et qui semblent parvenus à maturité, en les proposant aux pères conciliaires pour qu’ils en fassent la matière de leurs définitions, par exemple pour définir que la Vierge Marie est Médiatrice de toutes grâces. Ce qui le réclame, c’est la gloire et c’est l’honneur qui sont dus à la Mère de Dieu, qui est aussi notre Mère. Et d’autant plus qu’aujourd’hui il ne manque pas de personnes qui voudraient déprécier une si grande Mère, sous prétexte que le Christ est le centre unique de toute la religion chrétienne, et comme si l’honneur rendu à la Mère diminuait le Fils, alors qu’en réalité c’est le contraire qui est vrai puisque celui qui honore la Mère honore également le Fils » [23].
9. Mgr Abilio del Campo y de la Bárcena [24] demande que soit définie la thèse selon laquelle « la bienheureuse Vierge Marie est Médiatrice, dans le Christ, de toutes les grâces » [25]. Mgr José Bascunana Llopez [26] demande la définition solennelle de la bienheureuse Vierge Marie Médiatrice de toutes grâces [27]. Mgr Manuel Llopis Ivorra [28] demande que la Médiation universelle de la bienheureuse Vierge Marie soit déclarée comme un dogme catholique. « La dévotion et l’amour filial envers Marie notre Mère a pris toujours plus de force, à la grande satisfaction de toute l’Eglise », écrit-il. « Ces derniers temps, la proclamation des deux dogmes de l’Immaculée Conception et de l’Assomption ont causé une très grande joie à l’Eglise universelle. Pourquoi le Souverain Pontife n’insérerait-il pas, à l’occasion de cet événement si favorable, une nouvelle perle à la couronne d’or de la Mère de Dieu, en proposant, comme une dogme catholique universel, la vérité catholique selon laquelle Marie intervient toujours dans la distribution de toutes les grâces ? » [29].
– 4 –
Les évêques irlandais
10. Les évêques irlandais développent leur argumentation en faveur de la définition.
11. Celle de Mgr Patrick O’Boyle, évêque de Killala [30] a d’autant plus de force qu’elle ressuscite pour nous tous les enseignements magistériels des Papes des deux derniers siècles. Le prélat demande que la Médiation universelle de la bienheureuse Vierge Marie soit définie comme divinement révélée et devant être tenue de foi. « Cette doctrine », dit-il, « est non seulement rapportée dans un grand nombre de prières et dans les pieux exercices des simples fidèles, mais encore on l’observe dans les œuvres des auteurs spirituels et chez les théologiens les plus qualifiés et aussi, ces dernières années, on la rencontre souvent dans les discours des Souverains Pontifes. Voilà pourquoi on peut affirmer que la Médiation universelle de la bienheureuse Vierge Marie est une doctrine commune dans l’Eglise. Dans son Encyclique Ineffabilis Deus, le Pape Pie IX a conclu son propos en invoquant Marie comme la Médiatrice et la réconciliatrice de tout le genre humain et après lui ses successeurs dans le Souverain Pontificat ont indiqué avec plus de profondeur et de soin la portée de ce titre de Médiatrice. Léon XIII, en tout premier lieu, a expliqué que l’on ne peut accéder à Notre Seigneur Jésus Christ sinon par Marie sa Mère (Lettre Encyclique Octobri mense, de 1891). Le Pape saint Pie X enseigne que la bienheureuse Vierge Marie est Médiatrice de toutes grâces (Lettre Encyclique Ad diem illum de 1904). Benoît XV, dans sa Lettre apostolique Inter sodalicia de 1918 n’utilise sans doute pas le mot même de co-rédemptrice mais en exprime clairement l’idée. Pie XI, au terme de l’Année Sainte 1933 a invoqué publiquement Marie sous le titre de co-rédemptrice. Enfin, dans sa Lettre Encyclique Mystici corporis de 1943, le Pape Pie XII d’illustre mémoire a exprimé avec élégance et densité ce qu’il faut entendre de la prérogative de Marie, à la fois médiatrice et rédemptrice. Cela étant, le prochain concile œcuménique semble offrir une occasion opportune pour vérifier si cette doctrine déjà commune pourrait être définie. Sur ce point, il n’est pas du tout hors de propos de remarquer que d’un point de vue historique il existe une ressemblance entre la doctrine de l’Immaculée Conception et celle de la Médiation universelle de la bienheureuse Vierge Marie. Bien qu’elle ait fini par être définie, la doctrine de l’Immaculée Conception a longtemps semblé non acceptable aux yeux de certains théologiens et non des moindres – comme saint Bonaventure, saint Albert le Grand et saint Thomas – car ceux-ci ne voyaient pas encore comment la concilier avec le dogme du péché originel. De manière semblable, même si la doctrine de la Médiation universelle est disputée, compte tenu du très grand zèle avec lequel les fidèles veulent embrasser aujourd’hui cette belle vérité, on doit bien se demander si la divine Providence ne fraierait pas la voie, surtout en ces temps, à la définition solennelle de la Médiation universelle de la bienheureuse Vierge Marie » [31].
– 5 –
Les évêques italiens
12. Les évêques italiens, qui demandent tous la définition, s’appuient sur le fait que la doctrine de la Médiation universelle de la Sainte Vierge est une vérité qui fait déjà partie de la profession de la foi catholique. Mgr Perini [32] déclare qu’il s’agit d’une doctrine reçue dans toute l’Eglise [33]. Mgr Galeazzi [34] estime qu’il s’agit d’une doctrine presque commune [35]. Mgr Pieri [36] considère que cette doctrine est fermement retenue par l’Eglise tout entière et le peuple chrétien [37].
13. Mgr Longo Dorni [38] demande que soit définie la coopération toute particulière de la Vierge Marie à la Rédemption des hommes, avec le Christ et par le Christ, c’est à dire le fait que Marie est Corédemptrice et Médiatrice de toutes grâces. Car, ajoute-t-il, il semble bien que ce soit là une vérité mûrement éprouvée et universellement reçue et d’une certaine façon elle est étroitement reliée aux dogmes déjà définis de l’Immaculée Conception et de l’Assomption. Et de plus, elle semble toute indiquée pour mettre en lumière la nature de l’homme et la noblesse de sa destinée, rendue possible par la Rédemption et la grâce [39].
14. Mgr De Cicco [40], évêque de Sessa Aurunca demande que la Médiation de la Vierge Marie soit proclamée par une définition infaillible de l’Eglise, car c’est une vérité qui est enseignée par les Pères et les docteurs de l’Eglise, par saint Ephrem, saint Jean Chrysostome, saint Jean Damascène, et par d’autres encore, ainsi que par le Magistère des Souverains Pontifes, spécialement par Pie IX dans la Bulle Ineffabilis Deus du 8 décembre 1854, par Léon XIII dans l’Encyclique Adjutricem populi du 5 septembre 1895, par Pie XI dans l’Encyclique Miserentissimus Redemptor du 8 mai 1928 [41].
15. Mgr Carraro [42] estime que le temps est venu de se poser la question de savoir s’il ne serait pas opportun de déclarer et définir la Médiation universelle de la Vierge Marie, au sens où cette vérité est l’objet de la foi du peuple chrétien et est déjà célébrée liturgiquement dans un grand nombre de diocèses [43].
16. Mgr Katkoff [44] fait remarquer que ce point de la doctrine dogmatique catholique ne fut jamais aussi clairement et éminemment proposé au genre humain qu’à notre époque, aussi bien par les Souverains Pontifes que par les plus illustres docteurs des écoles catholiques. La Médiation universelle de Marie ne semble pas être opposée à la tradition ni à l’esprit de l’église d’Orient [45]. Mgr Severi [46] nourrit l’espérance que les schismatiques orientaux reviennent à l’unité de l’Eglise, et comme cela semble humainement difficile, voire impossible, il souhaite que le premier acte du prochain concile soit pour définir la Médiation universelle de la Sainte Vierge [47].
– 6 –
Les évêques polonais
17. Les évêques polonais sont de loin les plus éloquents. Mgr Czajka [48] affirme qu’il est nécessaire de proclamer le dogme de la Médiation universelle de Marie pour les raisons suivantes : premièrement, cette vérité fait partie du trésor de la doctrine divinement révélée, ainsi que l’atteste toute la Tradition dogmatique de l’Eglise ; deuxièmement, la proclamation de ce dogme mettra mieux en lumière le caractère surnaturel de la Maternité de la bienheureuse Vierge Marie envers les hommes ; troisièmement, cette définition dogmatique donnera encore plus d’importance au culte que réclame pour elle la Mère de Dieu, en signalant encore mieux son rôle dans l’économie divine du salut et par conséquent elle donnera aux fidèles une intelligence et une piété plus profonde envers le don de la grâce de Dieu ; quatrièmement, ce dogme excitera une plus grande confiance dans la Médiation de Marie, spécialement chez les âmes tombées dans le péché ; cinquièmement, une telle définition serait en accord avec la tournure que prend aujourd’hui la vie de l’Eglise, et elle fera apparaître avec évidence l’opération du Saint Esprit, apportant au monde le remède du salut [49].
18. Mgr Jasinski [50] demande que le Concile explique et déclare la doctrine de la Médiation universelle de la bienheureuse Vierge Marie, qui a été enseignée et qui a été crue des fidèles durant tant de siècles ; il réclame aussi que la fête déjà établie en l’honneur de la bienheureuse Vierge Marie Médiatrice de toutes grâces soit étendue à l’Eglise universelle [51].
19. Mgr Czerniak [52] est celui qui développe le plus l’argumentation, en invoquant les témoignages de la Tradition du Magistère et en faisant appel au raisonnement théologique, lui-même développé par les Papes. Il estime que la Médiation universelle de la bienheureuse Vierge Marie doit être déclarée comme un dogme par le Magistère ecclésiastique. Depuis que le Pape Pie XI dans son Encyclique Miserentissimus Redemptor du 8 mai 1928 a invoqué la Médiation toute-puissante de la bienheureuse Vierge Marie, ce concept de la Médiation universelle de la bienheureuse Vierge Marie a de plus en plus été au centre de la réflexion chez les théologiens, dans les congrès, les conférences, les pieuses unions et il est devenu de plus en plus clair. Cette formulation de Pie XI, qui ne fait que reprendre l’objet de la Révélation divine, semble bien avoir été très souvent mise en lumière par la Tradition de l’Eglise. En effet, le Souverain Pontife ne fait que répéter et défendre une doctrine que l’Eglise a explicitement professée dans sa foi, doctrine déclarant que la bienheureuse Vierge Marie est Médiatrice de toutes grâces. Les données les plus importantes de cette doctrine ont déjà été examinées en détail avec soin aujourd’hui, on le voit, par un grand nombre d’auteurs. Et il devient de plus en plus évident que cette doctrine de la Médiation universelle de la bienheureuse Vierge Marie s’appuie sur un double fondement : sa maternité divine d’une part et d’autre part le fait qu’elle ait été associée au Christ dans l’œuvre de notre salut. Tout récemment, le Pape Pie XII, dans les Encycliques bien connues qu’il a voulu consacrer au mystère de la Vierge Marie, a pris soin d’expliquer ce double fondement. Car le double fait que la bienheureuse Vierge Marie ait pris part à l’œuvre de notre salut et qu’elle soit Médiatrice de toutes les grâces, loin de détruire la Médiation du Christ, se subordonne plutôt à celle-ci. Et donc, puisque la vérité de cette Médiation universelle de la bienheureuse Vierge Marie est transmise dans l’enseignement du Magistère ordinaire de l’Eglise, dans la Tradition catholique constante et dans la sentence commune des théologiens, il reste encore à ce que, jusqu’ici sentence proche de la foi, elle fasse désormais l’objet de la profession de foi catholique en ces termes mêmes : la bienheureuse Vierge Marie doit être déclarée Médiatrice de toutes grâces non seulement parce qu’elle nous a engendré le Christ mais aussi parce que la volonté de Dieu l’a créée comme Médiatrice universelle et parce qu’elle exerce sans interruption ce rôle de miséricorde envers le hommes [53].
20. C’est en vertu d’un désir très pressant, observe Mgr Blecharczyk [54], que nous souhaitons voir déclarée par, une définition infaillible comme un dogme de foi catholique, la doctrine qui tient que la très bienheureuse Vierge Marie est Médiatrice pour répandre toutes les grâces du salut. Car cette vérité demeure très profondément ancrée dans l’esprit de nos fidèles, qu’ils soient ignorants ou savants. Tous croient que la très bienheureuse Vierge Marie a été exaltée par Dieu au-dessus de toutes les créatures, car Dieu l’a choisie pour qu’elle devienne la Mère du Verbe incarné et sa coopératrice dans l’œuvre de la Rédemption et c’est pourquoi elle est la Mère du Corps mystique du Christ et la Médiatrice de toutes les grâces qui découlent de la Rédemption comme de leur source. Ces derniers temps, dans notre patrie, de très graves dangers ont fait apparaître cette vérité dans la plus grande lumière possible, car dans leurs nécessités tant corporelles que spirituelles, les fidèles se sont réfugiés avec une confiance toute particulière, auprès de la Reine du ciel et de la terre et celle-ci les a merveilleusement exaucés. Nous avons donc une ferme confiance que, si cette vérité est définie, notre peuple en concevra une vive joie et rendra à sa Médiatrice un culte d’autant plus ardent et ira se réfugier avec une confiance d’autant plus grande sous sa protection. Et la Vierge Mère de Dieu, qui est la seule à avoir exterminé toutes les hérésies dans le monde entier, une fois que l’Eglise l’aura ornée d’une nouvelle couronne, nous récompensera en nous obtenant la grâce de voir les chrétiens séparés de l’unité de l’Eglise se réconcilier avec celle-ci et triompher à nouveau notre foi catholique[55].
21. Mgr Pekala [56] redit la même chose que son confrère de Tarnow lorsqu’il estime « opportune » la définition dogmatique de la Médiation universelle de la bienheureuse Vierge Marie. « Il nous a semblé opportun », dit-il, « de demander que soit déclaré par une définition infaillible que la doctrine qui tient que la très bienheureuse Vierge Marie est Médiatrice dans la distribution de toutes les grâces nécessaires au salut est un dogme de foi catholique. Car cette déclaration nous laissera un témoignage perpétuel de piété et de vénération et aussi de reconnaissance envers l’admirable et toujours vénérable Mère de Dieu, pour tous les bienfaits que celle-ci nous a obtenus – bienfaits qui en ces temps présents suscitent déjà de la part des pasteurs suprêmes, des pères du Concile et de tout le troupeau des fidèles la piété filiale envers cette Vierge Mère de Dieu. Cette même déclaration obtiendra aussi de la bienheureuse Vierge Marie, elle qui est la seule à exterminer toutes les hérésies dans le monde entier, qu’elle nous réconcilie avec son Fils et qu’elle rétablisse la paix et l’unité de l’Eglise en y ramenant les frères égarés loin d’elle. Car nous croyons tous, pasteurs et peuple fidèle, que la très bienheureuse Vierge Marie a été exaltée par Dieu au-dessus de toutes les créatures et choisie pour devenir la Mère du Verbe incarné et sa coopératrice dans l’œuvre de la Rédemption. Et c’est pourquoi nous croyons aussi qu’elle est la Mère du Corps mystique du Christ et la Médiatrice de toutes les grâces qui découlent de la Rédemption comme de leur source » [57].
– 7-
« Et alibi aliorum » :
et ailleurs aussi …
22. Nous n’avons donné jusqu’ici qu’une partie, certes notable, des « vota » des évêques. Énumérer tous les témoignages de tous les évêques de la catholicité, en faveur de la définition de la Médiation universelle de Marie et de sa Corédemption, dépasserait les colonnes de ce journal [58]. Nous nous sommes malheureusement limités à l’Europe. Il conviendrait de produire les demandes venant des évêques de l’Asie, de l’Afrique, des deux Amériques. Les quelques extraits suivants peuvent en donner un bref aperçu.
23. En Amérique centrale, au Nicaragua, Mgr Niedhammer y Yaeckle [59] développe une longue argumentation. « Il nous semble », précise-t-il, « que Marie a coopéré de manière immédiate à la Rédemption objective, en sorte, comme l’a enseigné saint Pie X (dans Ad diem illum du 2 février 1904) que » Marie a mérité de congruo ce que le Christ a mérité pour nous de condigno [60]. […] « Notre vœu est également que le Concile définisse clairement la doctrine de Marie Médiatrice de toutes grâces, entendue au sens où Marie coopère à notre Rédemption subjective, c’est-à-dire en distribuant toutes les grâces que le Christ a méritées avec elle au Calvaire. C’est ce qu’enseigne Léon XIII lorsqu’il affirme que de ce grand trésor de grâces que le Christ nous a apporté, rien ne nous est donné sinon par Marie, car telle est la volonté de Dieu (Octobri mense du 22 septembre 1891) » [61].
24. Aux Etats-Unis, Mgr Caillouet [62] estime que le Pape devrait définir que Marie est « Corédemptrice du genre humain et Médiatrice de toutes les grâces, car l’Ecriture sainte et la Tradition semblent renfermer d’abondants témoignages de ces prérogatives de la Mère de Dieu » [63]. On rencontre la même demande chez Mgr Rummel [64] : Marie doit être déclarée « Corédemptrice du monde entier » et « Médiatrice de toutes grâces » [65].
25. En Afrique du Nord, Mgr Mercier [66] compte sur la définition pour faciliter l’apostolat des missionnaires : « Pour aider puissamment au succès de nos Missions en terre d’Islam, c’est le vœu de tous les Missionnaires qu’une définition dogmatique, si tous les éléments doctrinaux en sont solidement établis, proclame la Bienheureuse Vierge Marie Médiatrice universelle de toutes les grâces, de celles surtout qui agrégeront un jour au troupeau de son Divin Fils ses brebis les plus rebelles ! » [67].
– 8-
Le critère infaillible
d’un dogme de foi catholique
27. Que conclure, sinon que la double vérité de la Corédemption et de la Médiation universelle de Marie est suffisamment attestée par l’enseignement unanime de l’épiscopat catholique et qu’elle l’est infailliblement ?
28. La meilleure synthèse de cet enseignement unanime de l’épiscopat au début des années soixante se trouve chez Son Eminence le cardinal Paul Richaud [68]. Juste avant le Concile, celui-ci s’exprima en ces termes : « Une définition concernant la Médiation la bienheureuse Vierge pour la distribution des grâces ainsi que sa qualité de Corédemptrice me semble très souhaitable. En cette matière dogmatique, bien des points ont fait récemment l’objet d’études approfondies et d’un grand nombre de thèses, à l’occasion de plusieurs congrès et dans le cadre de maints travaux théologiques et il en est résulté un consensus assez unanime. Certes, une telle définition pourrait présenter un obstacle de poids à l’unité tant désirée de la sainte Eglise, spécialement en ce qui concerne les protestants et certains schismatiques. Cependant, on peut bien se demander si les précisions et les explications qui seraient fournies lors de la promulgation de ce dogme, en mettant une fois de plus en lumière la Maternité divine de la bienheureuse Vierge Marie sur laquelle tout le monde s’accorde et qui s’avère être comme l’origine et le fondement des prérogatives signalées, la Médiation et la Corédemption, n’apporteraient pas aux hérétiques et aux schismatiques un éclairage opportun en ce domaine » [69].
29. Avec celui du cardinal Roques, cet avis du cardinal Richaud doit retenir toute notre attention, car il synthétise les deux grandes idées qui reviennent sans cesse dans les « vota » des évêques, lorsque ceux-ci réclament la définition des deux privilèges de Marie, sa Corédemption et sa Médiation universelle. Première idée : ces deux vérités sont suffisamment attestées dans les sources de la Révélation et font sans aucun doute possible partie de la profession de foi de l’Eglise. Deuxième idée : la définition solennelle de ces deux vérités, qui en ferait autant de dogmes de foi catholique, loin de mettre un obstacle au retour des hérétiques et des schismatiques séparés de la vraie Eglise, aurait plutôt de quoi les convaincre de revenir à l’unité.
30. La récente « Note doctrinale » du cardinal Fernandez en reçoit ici des coups assez durs.
Abbé Jean-Michel Gleize
[1] Acta concilii oecumenici vaticani secundi, series I antepraeparatoria, vol. II, pars I, p. 381.
[2] Acta, ibidem, p. 168.
[3] Acta, ibidem, p. 190.
[4] Acta, ibidem, p. 190.
[5] Acta, ibidem, p. 356.
[6] « Que soit proclamé comme une vérité s’imposant à notre foi que la Très Sainte Vierge Marie est Médiatrice universelle, dans l’obtention et la distribution des grâces divines, médiation subordonnée à la médiation de Jésus, le seul Médiateur » – Acta, ibidem, p. 491.
[7] Code de Droit canonique de 1917, canon 1326. La même chose est affirmée dans le nouveau Code de 1983, au canon 753.
[8] P.A. Liégé, Initiation théologique, t. I « Les sources de la théologie », Cerf, 1962 ; J. M. Hervé, Manuale theologiae dogmaticae, vol. I « De revelatione christianae ; De Ecclesia Christi ; De fontibus revelationis », 1952 ; Jean-Baptiste Franzelin, La Tradition, Courrier de Rome, 2008, thèse 23, n° 498, p. 350 ; thèse 24, n° 502, p. 354 et n° 504, p. 355.
[9] Pie XII, Constitution apostolique Munificentissimus Deus du 1er novembre 1950 dans Les Enseignements Pontificaux de Solesmes, Notre Dame, n° 492.
[10] Emanuel Galea (1891-1974), fut nommé en 1942 évêque auxiliaire de Malte. Paul VI le nomma Assistant au trône pontifical, en 1965 à l’occasion du cinquantième anniversaire de son ordination sacerdotale.
[11] Michael Count Gonzi (1885-1984) fut archevêque de Malte de 1943 à 1976.
[12] Acta, ibidem, vol. II, pars II, p. 632.
[13] Angel Riesco Carbajo (1902-1972) fut nommé en 1957 vicaire général du diocèse d’Astorga puis fut évêque auxiliaire de Pampelune de 1958 à 1969.
[14] Vicente Enrique y Tarancón (1907-1994) fut évêque de Solsona de 1945 à 1964 puis archevêque d’Oviedo de 1964 à 1969 et enfin archevêque de Tolède de 1969 à 1971. Créé cardinal en 1969, il est transféré en 1971 à l’archidiocèse de Madrid-Alcalá.
[15] Acta, ibidem, vol. II, pars I, p. 334.
[16] Léopold Eijo y Garay (1878-1963) fut évêque de Tuy (1914-1917), de Vitoria (1917-1922) de Madrid-Alacalà (1922-1963) et Patriarche des Indes Occidentales (1946-1963).
[17] Acta, ibidem, vol. II, pars II, p. 218.
[18] Rafael Balanzá y Navarro (1880-1960) fut évêque auxiliaire de Tolède (1924-1928) puis évêque de Lugo (1928-1960).
[19] Acta, ibidem, vol. II, pars II, p. 212.
[20] Alfonso Rodenas Garcia (1895-1965) fut évêque de Almería de 1947 à sa mort.
[21] Acta, ibidem, vol. II, pars II, p. 130.
[22] Gregorio Modrego y Casaus (1890-1972) fut évêque auxiliaire de Tolède en 1936, évêque titulaire d’Aezani (1936-1942), puis évêque (1942-1952) et archevêque (1952-1967) de Barcelone et enfin archevêque titulaire de Mons en Numidie (1967-1970).
[23] Acta, ibidem, vol. II, pars II, p. 151.
[24] Abilio del Campo y de la Bárcena (1908-1980) fut évêque auxiliaire de Calahorra y La Calzada (1952-1953) puis évêque de ce même siège (1953-1959) et enfin évêque de Calahorra y La Calzada-Logroño (1959-1976).
[25] Acta, ibidem, vol. II, pars II, p. 163.
[26] José Bascunana Llopez (1905-1979) fut évêque de Ciudad Rodrigo de 1955 à 1964 puis de Solsona, de 1964 à 1977.
[27] Acta, ibidem, vol. II, pars II, p. 166.
[28] Manuel Llopis Ivorra (1902-1981) fut évêque de Coria-Caceres de 1950 à 1977.
[29] Acta, ibidem, vol. II, pars II, p. 168.
[30] Patrick O’Boyle (1887-1971) – à ne pas confondre avec le cardinal archevêque de Washington du même nom (1896-1987) – fut évêque de Killila de 1950 à sa mort en 1971.
[31] Acta, ibidem, vol. II, pars II, p. 89.
[32] Norberto Perini (1888-1977) fut évêque de Fermo de 1942 à 1976.
[33] Acta, ibidem, vol. II, pars III, p. 257.
[34] Paolo Galeazzi (1885-1971) fut évêque de Grosseto de 1932 à 1963.
[35] Acta, ibidem, vol. II, pars III, p. 314.
[36] Francesco Pieri (1902-1961) fut évêque d’Orvieto de 1942 à 1961.
[37] Acta, ibidem, vol. II, pars III, p. 479.
[38] Mario Longo Dorni (1907-1985) fut évêque de Pistoie de 1954 à 1981.
[39] Acta, ibidem, vol. II, pars III, p. 544-545.
[40] Gaetano De Cicco (1880-1962) fut évêque de Sessa Aurunca de 1939 à 1962.
[41] Acta, ibidem, vol. II, pars III, p. 612.
[42] Giuseppe Carraro (1899-1980) fut évêque auxiliaire de Trévise de 1952 à 1956, évêque de Vittorio Veneto de 1956 à 1958 puis évêque de Vérone de 1958 à 1978.
[43] Acta, ibidem, vol. II, pars III, p. 738.
[44] Andrei Apollon Katkoff (1916-1995) fut évêque titulaire de Nauplia de 1958 à 1977 et visiteur apostolique pour les fidèles russes de l’église gréco-russe catholique, de rite byzantin
[45] Acta, ibidem, vol. II, pars III, p. 884.
[46] Pietro Severi (1903-1984) fut évêque auxiliaire de Palestrina en 1948, évêque de Segni de 1953 à 1957, évêque titulaire de Pergame de 1957 à 1966, et enfin évêque de Palestrina de 1966 à 1975.
[47] Acta, ibidem, vol. II, pars III, p. 889.
[48] Stanislaw Czajka (1897-1965) fut évêque auxiliaire de Czestochowa de 1944 à 1965.
[49] Acta, ibidem, vol. II, pars II, p. 692.
[50] Wlodzimierz Bronislaw Jasinski (1873-1965) fut évêque de Sandomierz de 1930 à 1934, évêque de Lodz de 1934 à 1946 puis évêque titulaire de Drizipara de 1946 à 1965.
[51] Acta, ibidem, vol. II, pars II, p. 708.
[52] Jan Czerniak (1906-1999) fut évêque auxiliaire de Gniezno de 1958 à 1999.
[53] Acta, ibidem, vol. II, pars II, p. 714.
[54] Michal Blecharczyk (1905-1965) fut évêque auxiliaire de Tarnow de 1958 à 1965.
[55] Acta, ibidem, vol. II, pars II, p. 723.
[56] Karol Pekala (1902-1968) fut évêque auxiliaire de Tarnow, de 1946 à 1968.
[57] Acta, ibidem, vol. II, pars II, p. 769-770.
[58] Je tiens à remercier ici mon confrère Monsieur l’abbé Philippe Lovey, pour m’avoir apporté son aide précieuse dans le recensement de ces « vota ».
[59] Matteo Aloisio Niedhammer y Yaeckle (1901-1970) fut vicaire apostolique de Bluefields, au Nicaragua, de 1943 à 1970.
[60] Acta, ibidem, vol. II, pars VI, p. 629.
[61] Acta, ibidem, vol. II, pars VI, p. 628-630.
[62] Louis Abel Caillouet (1900-1984) fut évêque auxiliaire de Nouvelle-Orléans (en Louisiane) de 1947 à 1976.
[63] Acta, ibidem, vol. II, pars VI, p. 511.
[64] Joseph Francis Rummel (1876-1964) fur évêque de Omaha (en Nebraska) de 1928 à 1935 puis archevêque de Nouvelle Orléans de 1935 à 1964.
[65] Acta, ibidem, vol. II, pars VI, p. 383-384.
[66] Georges-Louis Mercier (1902-1991) fut évêque de Laghouat en Algérie, de 1955 à 1991.
[67] Acta, ibidem, vol. II, pars V, p. 110.
[68] Paul-Marie Richaud (1887-1968) fut évêque auxiliaire de Versailles de 1933 à 1938, évêque de Laval de 1938 à 1950 et archevêque de Bordeaux de 1950 à 1968.
[69] Acta, ibidem, vol. II, pars I, p. 229-230.