LA QUERELLE DES RITES CHINOIS, OU LA FOI AVANT TOUT



Publié le 11/01/2024 sur internet
Publié dans le N°667 de la publication papier du Courrier de Rome



1. Le touriste se promenant à Singapour dans Chinatown, le quartier chinois,ne manquera pas de s’étonner devant certains magasins peu habituels : entre fruits exotiques, remèdes traditionnels et nourriture locale, le regard du passant s’interrogesur ces étalages de dessins sur papier cartonné, vendus pour quelques dollars, représentant des objets en tout genre. Ici, sont dessinés des chemises, cravates, chaussures et pantalons ; là de la nourriture, des boissons ; plus loin, un téléphone portable, un iPad, une télévision, des médicaments, des pièces de monnaie ou des billets… voire des lingots d’or ! De quoi s’agit-il ? D’une coutume de l’antique religion chinoise, encore perpétuée de nos jours, consistant à brûlerles dits papiers afin de faire parvenir aux âmes trépassées, dans l’au-delà, l’objet qu’il représente. Votre défunt aura peut-être faim ? Faites-lui parvenirdu poulet impérial, du canard laqué ou des durians en brûlant à son intention les dessins représentant ces mets savoureux. Souhaite-t-il communiquer ? Brûlez pour lui un iPhone cartonné : cela fera son affaire. A-t-il besoin d’argent ? Le lingot d’or en papier règlera ses possibles dettes... Et ainsi de suite.Ce sont là des restes du paganisme antique que la coutume chinoise, très soucieuse du respect des traditions et de l’honneur dû aux ancêtres, a maintenu jusqu’à nos jours. A côté de ces rites clairement païens, qui ont pour but de s’attirer la bienveillance des trépassés,le respect dû aux aïeuls se manifesteraplus généralement par d’autres pratiques comme l’autel des ancêtres, orné de bougies, de fleurs et de brûleurs d’encens dans le but d’honorer des images ou des tablettes portant les noms des défunts de la famille. Dans ce cas-là, un doute se pose à la conscience catholique :s’agit-il d’un culte religieux ou simplement d’honorer la mémoire des défunts ? Le fidèle catholique chinois pourra-t-il honorer ses morts de cette manière-là, où cela lui sera-t-il rigoureusement interdit ?

2. Cette question ne date pas d’hier. Elle a même fait l’objet d’un long débat qui a divisé les missions d’Asie auxXVIIe et XVIIIe siècles, et qui ne trouva sa conclusion définitive qu’au XXe siècle : la querelle des rites chinois.Cette polémique,qui aura des conséquences dramatiquespour la chrétienté de Chine, a cependant eu le mérite de souligner l’un des grands principes de la pratique missionnaire de l’Église, dont les tenants actuels du dialogue interreligieux feraient bien de se souvenir :protégerà tout prix la pureté de la foi en évitant toute possible contamination du paganisme. Le présent article se propose dans un premier temps d´étudier l’origine de cette longue querelle et ses grandes lignes historiques. Nous examinerons ensuite lesquestionsde théologie morale posées par cette controverseen approfondissant les principesthéologiquesqui ont guidé les papes successifs dans leurs décisions.

Première Partie : Histoire de la controverse.

3. A la fin du XVIe siècle, les jésuites entreprirent, après une longue interruption, de faire de nouveau pénétrer le catholicisme en Chine.Après 30 ans d’essais infructueux, les PèresMichele Ruggieri (1543-1607) et Matteo Ricci (1552-1610) furent finalement autorisés àentrer dans le pays interdit en 1583.Le Père Matteo allait y passer le reste de sa vie, marquant,par ses travaux et sa connaissance approfondie de cet univers si différent, la voie aux missionnaires après lui. Découvrant progressivement les méandres de la culture, de la mentalité et des diverses coutumes religieuses chinoises, il développa une méthode particulière d’apostolat que l’on peut résumer ainsi :faire accepter à la pensée chinoise le dogme catholique et conserver, dans les coutumes et les rites nationaux, tout ce qui ne paraîtrait pas incompatible avec la foi et la morale de l'Évangile. De là toutes les règles de conduite que s'imposa le missionnaire :1°) Il publia d'abord un traité, La vraie idée de Dieu, Tien-tchou-che-i, où, suivant ses propres expressions, « il ne traita pas de toutes les vérités de notre sainte foi, mais seulement de quelques-unes des principales » n'ayant pour but que de préparer les voies. 2°) Il déclara une guerre ouverte au bouddhisme et au taoïsme, mais il n'attaqua point le confucianisme, et le loua plutôt ; il s'appliqua même à se servir de Confucius, docteur national, dans son apologétique, de la même manière que les apologistes et les théologiens des premiers siècles s'appuyaient sur Platon et sur Aristote. 3°)Il accepta que les Chinois convertis prissent part au culte des ancêtres, et même à celui que les mandarins rendaient à leur ancêtre spirituel, Confucius. Notons qu’il n’a jamais été question de tolérer chez les Chinois des cérémonies reconnues nettement idolâtriques. Ainsi il n’était nullement question d’observances taoïstes ou bouddhistes. Il s’agissait seulement des cérémonies très simples communes à tous les Chinois pour honorer les ancêtres familiaux dans leconfucianisme ou le néoconfucianisme et de celles que l’État chinois prescrivait aux Lettrés pour honorer Confucius. Aux yeux du P. Ricci et de ses successeurs,c’étaient là autant d’usages purement civils ou politiques, n’entraînant aucun caractère d’hommage religieux. Ils croyaient prendre suffisamment leurs précautions contre les abus possibles en n’autorisant que les honneurs semblables à ceux rendus à des vivants, les mandarins par exemple. 4°)Il appela Dieu Tien-Tchou (le Seigneur du Ciel), parce que, dans la langue chinoise, il ne trouvait pas de nom qui répondît au nom de Dieu et que le nom de Dieu mêmene pourrait bien se prononcer en cette langue, qui n'a pas la lettre D ; mais il permettait aussi de désigner Dieu par les noms de Chang-ti (Souverain Seigneur), ou Tien (Ciel), employés par Confucius et par les Lettrés pour désigner le principe du monde.Le P. Ricci et la quasi-totalité de ses successeurs estimèrent que ces noms n’offraient rien par eux-mêmes qui ne convînt à la majesté divine, et que, dans les King (livres canoniques chinois, transmis par Confucius et ses disciples), ils désignaient réellement le vrai Dieu. C’étaient, pour eux, comme des débris de la révélation primitive.

4. C’est en 1635 que la grande controverse qui devait aboutir à de lourdes conséquences fut déclenchée.Quelques dominicains et franciscains, presque tous espagnols, débarqués en Chine en 1631 et expulsés par les mandarins en 1637, dénoncèrent à l’archevêque de Manille l’indulgence qu’ils estimaient outrée des jésuites pour les « superstitions chinoises ». La polémique allumée entre les grands ordres se poursuivit à coup de manuscrits d’abord, de dubia exposés à Rome ensuite. En 1643, le P. Morales, l’un des Pères dominicains espagnols ramenés à Manille par le décret d’expulsion, fit le voyage de Rome pour soumettre au Saint-Siège une série de questions qui, disait-il, étaient controversées entre jésuites d’une part, dominicains et franciscains de l’autre. Dix sur seize de ces questions avaient trait à la participation des chrétiens chinois aux cérémonies en l’honneur des ancêtres, de Confucius ou de l’empereur. A la date du 12 septembre 1645, un décret de la S. C. de la Propagande, approuvé par Innocent X, déclara que ces cérémonies, telles qu’elles étaient exposées dans le questionnaire, étaient condamnées et prohibées. Le pape enjoignait d’observer rigoureusement ces prescriptions « jusqu’à ce que Sa Sainteté ou le Saint-Siège apostolique en ordonnât autrement. » A cela les missionnaires jésuites objectèrent que les cérémonies, telles que les avait exposées Morales, n’étaient pas celles dont on usait en réalité, et le décret lui-même laissait en effet de côté la question de fait pour s’en tenir à la question de droit.

5. Les jésuites crurent devoir s’expliquer solennellement. Ils envoyèrent à Rome le P. Martin Martini, qui n’y parvint qu’en 1654. Celui-ci employa la même méthode que Morales ; il posa des questions, au nombre de quatre. De ces quatre questions, les deux dernières seulement se rapportaient au problème des rites chinois. Elles visaient ceux de ces rites qui se pratiquaient en l’honneur de Confucius à la collation des grades et ceux qui avaient lieu tant après les décès que dans les maisons et au tombeau des ancêtres. Toutes ces cérémonies étaient présentées comme dépourvues de toute signification religieuse et animées seulement de sentiments de respect et de reconnaissance. La réponse du Saint-Office fut publiée le 23 mars 1656, approuvée par Alexandre VIII. Voici les textes des 3ème et 4èmeréponses: « 3° La S. C., d’après ce qui a été proposé ci-dessus, a jugé qu’on doit permettre aux Chinois chrétiens les cérémonies susdites, parce qu’il semble que c’est un culte purement civil et politique... 4° Suivant ce qui a été proposé ci-dessus, la S. C. a jugé que l’on peut tolérer que les Chinois convertis pratiquent ces cérémonies à l’égard de leurs défunts, même en compagnie des païens, en retranchant toutefois toute superstition ; que même, tandis que les païens font des actions superstitieuses, ils peuvent encore être présents avec eux, surtout après avoir fait profession de leur foi, quand il n’y a pas de danger de perversion et s’ils ne peuvent autrement éviter des ressentiments et des inimitiés. » Ce décret favorisait donc l’école de la condescendance envers les rites. Mais on reprocha au P. Martini d’avoir fait un exposé unilatéral, supposant accordée une bonne part des points en discussion. Les siens répondaient qu’il avait décrit en fait, en toute sincérité, la pratique courante des jésuites, qui seule était en cause.

6. Le dernier décret semblait en contradiction absolue avec celui qui l’avait précédé. Le détruisait-il ? C’est la question que posa aussitôt le P. Polance, de l’ordre de saint Dominique. Un troisième décret du Saint-Office, approuvé par Clément IX, fut rendu le 20 novembre 1669. Il déclarait obligatoires les deux décrets antérieurs, mais s’en remettait à la conscience de chaque missionnaire pour juger, dans chaque cas donné, si les circonstances rentraient dans celles visées par le décret de 1645 ou dans celles du décret de 1656.

7. Vers le second tiers du XVIIe siècle, l'école de la condescendance envers les rites chinois semblait gagner du terrain et des deux parts on cherchait à aboutir à un accord. Tous voyaient bien en effet quel était le tragique enjeu des questions posées : il n'y allait de rien de moins que de la ruine des missions chinoises tout entières. Des dominicains éminents admirent la pratique approuvée par le décret de 1656 et les jésuites firent des concessions à leurs adversaires sur la question des noms divins. La grande persécution de 1665 réunit à Canton tous les missionnaires que l’on put arrêter. 23 d’entre eux passèrent cinq années dans la même maison. Dans des conférences qui ne durèrent pas moins de quarante jours, ils discutèrent point par point tous les problèmes en litige. Finalement, ils formulèrent un accord général en 42 points dont l’idée dominante était qu’« il ne faut point fermer la porte du salut aux innombrables Chinois qui seraient écartés de la religion chrétienne, si on leur défendait de faire ce qu’ils peuvent faire licitement et de bonne foi et ce qu'ils ne sauraient omettre sans de graves préjudices. » Le chef de la mission dominicaine, le P. Navarrete, avait reçu de son supérieur majeur mandat de faire l’union avec les jésuites et de signer les décisions de la majorité. Il signa en effet, mais fit ensuite effacer sa signature. En 1673, il arrivait à Rome et s’efforça de détruire l’effet de l’accord de Canton.

8. La controverse fut jetée dans le domaine public par un ouvrage du même P.Navarrete, publié à Madrid en 1676. D’autre part, le vicaire apostolique du Foukien, Mgr Maigrot, de la Société des Missions étrangères, par un mandement nettement prohibitif des rites controversés, contraignit en quelque façon le Saint-Siège à reprendre l’examen de la question. Une congrégation particulière fut instituée pour instruire l’affaire. Au cours même des débats, l'archevêque de Paris, Mgr de Noailles, apparemment peu favorable aux jésuites, sollicitait de la Sorbonne une censure contre la tolérance des rites reprochée aux missionnaires de la Compagnie. La censure fut effectivement prononcée, après trente séances de chaudes discussions, à la date du 18 octobre 1700.

9. Mais c’est seulement dans les derniers mois de 1704 que l’affaire fut conclue au Saint-Office. Le texte de la réponse fut approuvé par Clément XI dans la congrégation du 20 novembre de la même année. Dans ce décret, le terme Tien-tchou, « Seigneur du ciel », fut admis pour désigner le vrai Dieu ; ceux de Tien et Chang-tifurent prohibés. Les cérémonies, solennelles ou non, en l’honneur de Confucius et des ancêtres furent prohibées ainsi que les tablettes des ancêtres avec les inscriptions d’usage. Mais on insista sur la bonne foi des missionnaires qui précédemment avaient agi d’après des principes différents. « En fin de compte, c’était la méthode des jésuites qui était condamnée, et ce qui était plus grave, le décret de 1704 édictait une sorte de révolution dans les missions de Chine. Révolution nécessaire sans doute, puisque Rome en jugeait ainsi, mais combien difficile à réaliser sans désastres ! La très grande majorité des 300000 chrétiens de l’empire allaient, en effet, avoir à changer une habitude séculaire, où ils ne voyaient jusqu’à présent rien que de légitime, et pour la changer, ils devaient heurter les préjugés les plus invétérés, rompre avec les traditions les plus sacrées de leurs nationaux ; et comme suite nécessaire, se préparer aux persécutions les plus sensibles, à la perle de leur fortune, et peut-être de leur vie. » Qu’allait-il advenir des nombreux chrétiens de leurs missions ?Telle était l’angoissante question que se posaient les missionnaires en Chine.

10. Dès avant la publication du décret de 1704, le pape avait envoyé un visiteur apostolique, Charles-Thomas Maillard de Tournon, avec pouvoirs de légat a latere, pour travailler en Chine même à l’exécution des décisions qui devaient être prises. Le visiteur apostolique arriva à Canton, puis à Pékin, en avril 1705. L’empereur Kang-hi, dès qu'il comprit le but de sa mission, changea radicalement ses dispositions envers les missionnaires. Il leur enjoignit, sous peine d’expulsion, de venir lui demander un diplôme (le piao) les autorisant à prêcher l’Évangile, et ceux-là seuls l’obtiendraient qui s’engageraient à ne pas combattre les rites. Aussitôt le légat imposa aux mêmes missionnaires, lorsqu’ils seraient interrogés par l’autorité chinoise, de déclarer, sous peine d’excommunication latæ sententiæ, qu’il y avait « plusieurs choses », dans la doctrine et les coutumes chinoises, qui ne s’accordaient pas avec la loi divine, et que tels étaient, notamment, les « sacrifices de Confucius et des ancêtres » et « l’usage des tablettes des ancêtres » ; de même, que Chang-ti et Tien n’étaient pas « le vrai Dieu des chrétiens ».Sur ce, Kang-hi fit reconduire le légat à Macao et divers missionnaires opposants hors de ses frontières. Il chargeait en même temps des Pères jésuites de porter au pape ses objections contre la mesure envisagée. Un assez grand nombre de missionnaires, des religieux de divers ordres, avaient, dans l’intervalle, demandé et obtenu le piao de Kang-hi.

11. Clément XI maintint néanmoins les dispositions du précédent décret. Il défendit de publier désormais quoi que ce fut sur les rites chinois sans une permission spéciale de la S. C. de l’Inquisition et, pour couper court à tous les subterfuges et à toutes les tergiversations, publia la Constitution Ex illa diedu 19 mars 1715. Ce document condamne solennellement l’usage des noms Tien et Chang-ti ; il déclare qu’on ne doit permettre aux chrétiens, sous aucun prétexte, d’assister aux sacrifices ou aux offrandes des équinoxes, pas plus qu’à celles de la nouvelle lune ou de la pleine lune ou à celles de la collation des grades en l’honneur de Confucius ; qu’ils ne doivent pas non plus prendre part aux cérémonies traditionnelles devant les tablettes des ancêtres, à leur tombeau ou avant la sépulture, même après une profession de foi, car elles sont inséparables de la superstition ; enfinil décrète que les tablettes des ancêtres ne doivent être admises dans les maisons des chrétiens que si elles ne portent pas d’autre inscription que le nom du défunt. Les peines les plus sévères sont prévues contre ceux qui n’observeraient pas ou ne feraient pas observer entièrement ces dispositions, entre autres l’excommunication latæ sententiæ. Enfin, tous les missionnaires en fonction ou près d’y entrer durent prêter le serment solennel d’être fidèles aux prescriptions de la constitution.

12. Les conséquences de ce document pontifical furenttrès douloureuses pour la chrétienté de Chine : « La constitution Ex illa die parvint à Canton au mois d’août 1716, et le procureur des missions de la Propagande en envoya secrètement des copies dans toutes les provinces. Tous les missionnaires, sans exception, prêtèrent le serment imposé, et, en somme, ceux qui, jusque-là, avaient cru licites les cérémonies défendues, firent tout ce qui était humainement possible pour en détacher leurs chrétiens. Mais il aurait fallu que ceux-ci fussent héroïques ; malheureusement, ils en étaient bien loin ; d’ailleurs ceux qui avaient été formés par des missionnaires ennemis des rites, ne le furent pas davantage. A la notification du précepte de Clément XI, les uns aimèrent mieux se voir refuser les sacrements que de promettre d’obéir, les autres donnèrent la promesse et la violèrent tout de suite après ; beaucoup allèrent jusqu’à l’apostasie. Le nombre de ceux qui, de fait, renoncèrent aux rites, fut minime, et ne se recruta que dans les plus basses classes de la population. La vieille haine des païens, surtout des lettrés, contre le christianisme n’en fut pas moins réveillée, et put exploiter plus aisément que jamais le grand grief, mépris des devoirs à l’égard des parents et ancêtres et du maître de la nation. Les vexations, puis de véritables persécutions surgirent bientôt de tous côtés pour les malheureux néophytes, tandis que leurs protecteurs habituels, les missionnaires, étaient de plus en plus réduits à l’impuissance, par leur petit nombre, par la diminution de leur influence, par les entraves que les dernières mesures de Kang-hi mettaient à leur ministère. L’empereur, naguère si favorable au christianisme, qu’il avait donné occasion de rêver d’un Constantin chinois, s’aigrissait de jour en jour contre la religion et ses sujets chrétiens. Quand il connut la constitution de 1715, il déclara plus haut que jamais qu'il ne lui était pas possible de laisser prêcher à ses sujets une doctrine si opposée aux lois et aux coutumes fondamentales de la Chine. S’il ne donna pas cours aussitôt à tout son ressentiment, ce fut en considération de tant de services que lui avaient rendus les missionnaires. Encore, quand les neuf plus grands tribunaux de l’empire rendirent, le 16 avril 1717, une sentence, d’après laquelle tous les missionnaires devaient être expulsés, la loi chrétienne prohibée, les églises détruites et les chrétiens chinois contraints d’abjurer la foi, Kang-hi, non seulement ne fit rien pour les retenir, mais signa cette cruelle sentence, un mois plus tard.(…) Pour comble de malheur, l’unité de vues et d’action que Clément XI avait voulu établir entre les ministres de l’Évangile en Chine, par le moyen de son Précepte, n’était nullement réalisée. Après avoir constaté tant de fois l’impossibilité d’obtenir de la plupart des néophytes une sincère soumission au décret pontifical, et le peu de sûreté des promesses qu’ils faisaient pour obtenir le baptême ou l’absolution, les missionnaires durent se demander s’ils pouvaient en conscience continuer à conférer des sacrements si exposés désormais à la profanation, Beaucoup crurent qu’ils ne le pouvaient pas, et s’abstinrent de les administrer en dehors des cas d’extrême nécessité. D’autres, plus nombreux, ne purent se résoudre à laisser à l’abandon même ces âmes d’une disposition si douteuse ; mais parmi ceux-ci encore, plusieurs tantôt administraient, tantôt, troublés par les scrupules, quittaient le ministère sacré, pour le reprendre quelque temps après. Dans l’application même de la constitution Ex illa die, les directions n’étaient pas uniformes. Le papeadmettait expressément qu’entre les usages établis chez les Chinois pour honorer les morts, il pouvait s’en rencontrer qui ne tombaient pas sous ses prohibitions, et il laissait aux prélats des missions le soin de les déterminer. Mais cette concession, dont il était naturel de profiter, pouvait s’interpréter de plus d’une manière. Ceux qui avaient été les plus ardents à demander l’interdiction des rites, et qui en sentaient maintenant les conséquences comme les autres, ne lui donnèrent pas l’interprétation la moins large dans leur pratique.Les lettres des missionnaires de cette époque respirent, avec la soumission résignée, mais complète, aux ordres du vicaire de Jésus-Christ, une poignante tristesse, presque le désespoir : eux-mêmes emploient ce terme pour caractériser le sentiment qui les oppresse, en voyant, témoins impuissants, s’accomplir la ruine de leur belle mission : comme le marin qui sentirait son navire s’enfoncer sous ses pieds, en vue de la terre désirée. »

13. Malgré lesévènements dramatiques ayant fait suite à la constitution de 1715, faudra-t-il affirmer que la question des rites futlaraison profonde de ce revirement de Kang-hi envers la foi chrétienne ? Il semble qu’elle n’en fut que l’occasion. En effet, l’Empereur « ne semblait pas avoir pleinement compris ce qu’était la hiérarchie catholique et il n’est pas prouvé que, même sans l’affaire des Rites, il eût admis dans son empire l’action d’une autorité religieuse étrangère.(…) Sans qu’on puisse parler de xénophobie, l’attitude des mandarins à l’égard des Européens se faisait extrêmement réticente et, pour ce qui regarde les missionnaires, les preuves abondent qu’on ne voulait voir en eux que les fourriers intéressés du commerce européen ou, pire encore, des agents politiques du Portugal et de l’Espagne. (…)Le Père Colombel écrit nettement : ‘On ne saurait trop le redire, la question des rites fut à peine l'occasion de la persécution en Chine.’ La vraie raison était l’impossibilité pour Kang-hi d’admettre‘une autorité qui liât ses sujets hors de lui’. » Quoiqu’il en soit des raisons profondes de cette volte-face, il n’en est pas moins vrai que la Chrétienté de Chine, dès lors, peina beaucoup à se développer, particulièrement chez les élites : « Les témoignages sont unanimes : la chrétienté chinoise est presque uniquement composée d’humbles gens. Malgré des conversions individuelles, la classe des lettréss’est refusée à l’Évangile. (…) En 1726, le P. Gaubil mentionne un fait, qui a la valeur d’une explication : ‘Les lettrés et gens de place qui voudraient se faire chrétiens nous quittent dès lors que, selon les ordres du Saint Père, nous leur publions les décrets, même avec les permissions que laissa M. le patriarche Mezzabarba.’ »

14. En 1735, Clément XII, pour en finir avec cette difficile affaire, ordonna une grande enquête qui se prolongea jusque sous Benoît XIV. C’est le 11 juillet 1742 que fut rendu le jugement définitif, dans la bulle Ex quo, par laquelle Benoit XIV confirme pleinement la Constitution de 1715. Il y enjoint sous les peines les plus rigoureuses l’observation intégrale de cette constitution et il imposera à tousles missionnaires un nouveau serment contenant, en plus du précédent, la promesse de travailler de tout son pouvoir à persuader les néophytes d’obéir rigoureusement aux ordonnancespontificales.« En terminant, le pape exprime ‘l’espoir que, Dieu aidant, les missionnaires chasseront de leurs cœurs la vaine crainte que par l’exacte observation des décrets apostoliques la conversion des infidèles ne soit entravée. Celle-ci dépend en effet principalement de la grâce de Dieu, qui ne manquera pas à leur ministère, s’ils prêchent intrépidement la vérité de la religion chrétienne, aussi pure qu’ils l’ont reçue du Siège apostolique.’ Cette bulle, dont les termes sont parfois durs pour les missionnaires qui avaient autrefois défendu les rites, rencontra chez eux toute la soumission qui lui était due. L’un d’eux, missionnaire à Pékin depuis 1739 et qui allait être nommé par l’empereur président du tribunal astronomique, écrit à son frère à Vienne, le 6 octobre 1743 : ‘Vous demanderez sans doute quelle impression a faite ici la nouvelle constitution du pape Benoit XIV sur les rites chinois ? Je réponds, celle qu’elle devait faire. Nous l’avons reçue, nous avons juré, nous l’observerons. Et de fait il n’y a plus tant de difficultés, cette chrétienté de Chine étant presque réduite aux pauvres gens, qui eux-mêmes ont à peine de quoi manger et de quoi se loger, bien loin d’être en état de faire des oblations et des sacrifices aux défunts leurs ancêtres, ou de leur construire des temples. »

15. La situation en resta là pendant près de 200 ans. Les missionnaires appliquèrent les mesures de 1715 confirmées en 1742, et prêtèrent généreusement le serment d’allégeance aux directives romaines. Ce n’est que sous le pontificat du Pape Pie XII que les choses évoluèrent à nouveau. Le 8 décembre 1939, La Sacrée Congrégation de la Propagande publia une « Instruction visant certaines cérémonies pratiquées en Chine », dont voici l’essentiel : « La difficile question des rites chinois qui souleva de longues controverses au XVIIIe siècle trouve un aboutissement tardif dans la présente instruction.L’on sait parfaitement qu’en Extrême-Orient, certaines cérémonies autrefois liées à des rites païens n’ont plus aujourd’hui, par suite des changements apportés par les siècles dans les mœurs et les idées, qu’une signification purement civile de piété envers les ancêtres, d’amour pour la patrie, ou de politesse dans les rapports sociaux. (…) Après avoir pesé attentivement le pour et le contre et demandé l’avis des personnes prudentes et expertes, les éminentissimes Pères ont décidé de faire les déclarations suivantes :
a. Étant donné qu’à plusieurs reprises le gouvernement chinois a explicitement proclamé que chacun est libre de professer la religion de son choix et qu’il n’a aucunement l’intention de porter des lois ou des ordonnances en matière religieuse et que, par conséquent, les cérémonies prescrites ou accomplies par les autorités publiques en l’honneur de Confucius n’ont pas pour but de rendre un culte religieux, mais uniquement de promouvoir et de rendre l’honneur qui convient à un personnage illustre, ainsi que l’hommage dû aux traditions des ancêtres, il est permis aux catholiques d’assister aux cérémonies qui s’accomplissent devant l’image ou la tablette de Confucius, dans les monuments élevés en son honneur ou dans les écoles.
b. C’est pourquoi il n’est pas défendu de placer dans les écoles catholiques, surtout si les autorités l’ordonnent, l’image de Confucius ou la tablette qui porte son nom, ni de la saluer d’une inclination de tête. Si jamais l’on craignait le scandale, le catholique aura soin de déclarer la droiture de son intention.
c. On peut admettre que les fonctionnaires et les élèves catholiques, ayant reçu l’ordre d’assister à des cérémonies publiques qui paraissent être des actes de superstition, y assistent pourvu que, conformément au canon 1258, ils se comportent d’une manière passive et ne participent qu’à l’hommage qu’on peut, à bon droit, regarder comme purement civil. Ils déclareront, comme plus haut, leur intention, chaque fois que la chose paraîtra nécessaire pour écarter toute fausse interprétation de leur geste.
d. On tiendra pour licites et honnêtes les inclinations de tête et autres manifestations de respect civildevant les défunts ou les images des défunts et même devant la tablette qui porte le nom du défunt. »
Le texte pontifical se termine en dispensant désormais du serment requis par Benoit XIV.

16. Ce texte de Pie XII apporta doncun point final à la question des rites chinois. Il eut également le mérite de rappelerles principes théologiquesilluminant cette querelle multiséculaire, que nous allons maintenant essayer de mettre en lumière et développer.

Deuxième Partie : Analyse théologique

17. Comme toute question prudentielle, la querelle des rites peut se ramener à un syllogisme moral, dont la majeure sera un principe de droit, tiré de la Révélation ou des lois de l’Église, et la mineure une question de fait, fruit de l’examen attentif de la réalité en question et des circonstances. A la lumière des faits évoqués ci-dessus, nous pouvons énoncer le syllogisme qui a conduit à la condamnation des rites de la manière suivante :

Majeure : Toute formule ourite entaché de superstition doit être condamné.
Mineure : Or certaines formules etritesutilisés par les chrétiens de Chineétaiententachés de superstition.
Conclusion : Donc certaines formules et ritesutilisés par les chrétiens de Chine devaient être condamnés.

Étudede la majeure : la question de la superstition

18. L’examen des textes pontificaux publiés tout au long de la querelle révèle que le nœud théologique de la question des rites est l’interdiction formelle de toute pratique superstitieuse ou de tout ce qui pourrait s’apparenter à de la superstition. Citons quelques exemples : « La Sacré Congrégation a jugé qu’on peut tolérer que les Chinois convertis pratiquent ces cérémonies à l’égard de leurs défunts, même en compagnie des païens, en retranchant néanmoins toute superstition. » De même : « Il ne faut plus permettre aux chrétiens de faire les oblations, rites ou cérémonies usités en l’honneur de morts (…) devant les tablettes des ancêtres, dans les maisons particulières ni aux tombeaux de ces ancêtres (…) toutes les choses qui précèdentétant inséparables de la superstition, selon ce qui a été exposé dans les questions, ne doivent pas être permises aux chrétiens, même s'ils protestaient auparavant, en public ou en secret, qu’ils ne prétendent par tout cela que rendre aux morts un culte civil et politique et non religieux, et qu’ils ne leur demandent rien, et n’en attendent rien. » Le pape Benoit XIV l’affirme clairement, dès le début de la Constitution de 1742, lorsqu’il résume les origines de la querelle: « Ce qui donna lieu à ces dissensions furent certains rites et cérémonies en usage parmi les Chinois pour honorer le philosophe Confucius ainsi que leurs ancêtres : quelques-uns des missionnaires prétendant que ces rites et cérémonies étaient purement civils, voulaient qu’on les permît à ceux qui, abandonnant le culte des idoles, embrassaient la Religion chrétienne ; d’autres missionnaires, au contraire, affirmaient qu’on ne pouvait en aucune façon, sans faire un grave tort à la Religion, tolérer ces mêmes rites et cérémonies, commesentant la superstition. Cette controverse occupa, pendant plusieurs années, les soins et la sollicitude du Siège apostolique, toujours extrêmement attentif à empêcher que l’ivraie ne prenne racine dans le champ du Seigneur, ou à l’arracher au plus tôt, si cela avait déjà eu lieu. C’est pourquoi cette cause fut d’abord déférée au Saint-Siège par ceux qui croyaient ces cérémonies et rites chinois entachés de superstition. »En plus des deux expressions mentionnées, la Constitution de Benoit XIV utilise d’ailleurs treize autres fois le terme « superstition »en l’appliquant aux rites, sous des formules différentes : prohibant les rites « imbus de superstition » ou ne pouvant être « séparés de la superstition », permettant certains rites « pourvu qu’on n’y metterien qui ne ressente la superstition »ou « qui n’aient point l’apparence de superstition ».Les règles du Saint-Siègefurent publiées pour « éviterle danger de superstition », principe que le Saint-Office souligna clairement dans son décret du 20 novembre 1704 : « Dans cette affaire, M. le patriarche d’Antioche, aussi bien que les autres à qui sera commise l’exécution des réponses ci-dessus, devront faire en sorte quetoute apparence de superstition païenne, et la trace même de son souffle, suivant le mot de Tertullien, soit écartée. » Voilà qui est clair.

19. Comprendre la solution romaine concernant la question des rites se ramène donc à comprendre la gravité du péché de superstition que les papes successifs ont inlassablement fustigé. De quoi s’agit-il ? Saint Thomas d’Aquin la définit comme« un vice qui s’oppose à la religion par excès ; non que l’on rende à Dieu plus d’hommage que ne fait la vraie religion, mais par le fait qu’on rend le culte divin à qui on ne le doit pas, ou d’une manière indue. » Ce vice de superstition pourra se diviser de plusieurs manières :« Nous pouvons en effet rendre le culte divin au vrai Dieu à qui nous le devons, mais d’une manière indue : ce sera la première espèce de superstition. Mais nous pouvons aussi rendre ces mêmes honneurs à qui n’y a pas droit : une créature quelconque. Voilà une autre forme de superstition, qui est elle-même un genre, que nous allons diviser en de nombreuses espèces en considérant cette fois les diverses fins du culte divin. Son premier but c’est d’honorer Dieu : ce point de vue nous permet de distinguer une première espèce : l’idolâtrie, qui se propose indûment de rendre à la créature l’hommage dû à Dieu. En rendant son culte à Dieu, l’homme cherche aussi à recevoir de lui quelque enseignement. Nous aurons, par rapport à cette seconde fin du culte, la divination superstitieuse, qui interroge les démons, concluant avec eux des pactes tacites ou exprès. Le culte nous offre enfin certaines règles d’action prescrites par Dieu, qu’il honore. A cette finalité se rattacheront certaines pratiques superstitieuses. » Culte indu du vrai Dieu, idolâtrie, divination ou pratiques superstitieuses seront donc les diverses espèces du vice de superstition.

20. Traitant du culte indu du vrai Dieu, saint Thomasdonne d’importantes précisions : « Saint Augustin dit que le mensonge le plus pernicieux est celui qui touche à la religion chrétienne. Qu’est-ce donc que le mensonge ? Mentir c’est signifier extérieurement le contraire de la vérité. Or, on se sert de la parole pour s’exprimer, mais aussi de l’action ; et c’est cette sorte de signification qui constitue, nous l’avons dit, le culte extérieur de religion. Donc, si le culte vient à exprimer quelque chose de faux, il sera pernicieux. » On objectera peut-être que :« Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. » (Joël2, 32) Or, lorsqu’on rend un culte à Dieu, de quelque manière qu’on le fasse, on invoque son nom. Donc tout culte rendu à Dieu nous est salutaire, et aucun n’est pernicieux. » Mais saint Thomas répond :« Dieu est vérité. Ceux-là l’invoquent qui lui rendent leur culte « en esprit et vérité », comme il est dit en S. Jean (4, 24). C’est pourquoi un culte mêlé de fausseté ne se rattache pas à l’invocation de Dieu qui nous sauve. » Voilà énoncé un important principe pour juger de la bonté d’un rite religieux. Un rite mêlé de fausseté ne plaira jamais à Dieu et ne sera jamais salutaire.Il tombera dans la catégorie des rites superstitieux et il faudra l’éviter à tout prix.

21. Sans trop nous étendre, disons également quelques mots concernant les autres espèces de superstition, ce qui nous aidera à en comprendre la gravité. L’idolâtrie, par laquelle l’homme rend l’honneur divin à une créature quelconque, est « d’une gravité suprême ». Elle « inclut un grand blasphème, car elle soustrait à Dieu le caractère unique de sa seigneurie. » Elle est « pratiquement une attaque contre la foi. » Elle est induite par les démonsdans le but de se faire honorer des hommes :« Une autre cause, qui donne à l’idolâtrie son définitif achèvement, est l’influence des démons. C’est eux qui dans les idoles s’offrirent au culte de ces hommes plongés dans l’erreur, en répondant à leurs questions et en faisant ce qui leur paraissait des prodiges. C’est pourquoi le Psaume (96, 5) nous dit : « Tous les dieux des païens sont des démons. » La divination, quant à elle, qui consiste à honorer une créature afin d’en obtenir une connaissance des évènements futurs contingents « est toujours un péché ». Elle est une « usurpation indue des droits de Dieu ». Elle vient « de procédés vains et trompeurs, dus aux démons, qui veulent se jouer des hommes. » Enfin, les pratiques superstitieuses, qui regroupent enchantements, magie et maléfice, sont toutes gravement illicites, car « l’homme n’a pas reçu de pouvoir sur les démons pour les employer licitement à tout ce qu’il veut. Au contraire, il est avec eux en guerre déclarée. Aussi ne lui est-il aucunement permis d’utiliser leur aide par des pactes tacites ou exprès. » On le voit clairement, saint Thomas établit un lien très net entre pratiques superstitieuses et influence des démons.

22. Il n’est donc pas étonnant que l’Église ait toujours été d’une grande rigueur sur la question de la superstition. Cette intransigeance se manifeste tout particulièrement dans les directives touchant la participation des fidèles à des rites non-catholiques. Le canon 1258 du Code de 1917, mentionné dans le décret du 8 décembre 1939 cité ci-dessus, résume ainsi les lois de l’Église : “§1. Il n’est pas permis aux fidèles d’assister activement ou de prendre part, sous quelque forme que ce soit, aux rites sacrés non-catholiques. §2. La présence passive ou simplement matérielle aux cérémonies d’un culte hétérodoxe peut être tolérée pour un motif d’honneur à rendre ou d’obligation de politesse. Ce motif doit être sérieux et, en cas de doute, soumis à l’appréciation de l’Ordinaire. Il est ainsi permis de prendre part aux funérailles et au mariage des non-catholiques, ainsi qu’aux solennités analogues, mais pourvu que tout danger de perversion et de scandale soit écarté.” Telles sont les règles traditionnelles à appliquer à la Communicatio in sacris, ou participation aux rites non-catholiques : interdiction formelle de toute participation active et tolérance d’une participation passive, en cas de cause grave et proportionnée.Concernant la participation active, le canoniste Raoul Naz donne des précisions intéressantes : « Une telle participation active et formelle est interdite sous n'importe quelle forme, quovis modo, parce qu'elle implique profession d'une fausse religion et par conséquent reniement de la foi catholique. Si par une interprétation bienveillante on arrivait à exclure toute idée de reniement, il resterait dans la pratique d'un culte dissident un danger de perversion pour celui qui le professerait, un danger de scandale pour les catholiques fidèles, et une approbation extérieure des croyances erronées qui inspirent et animent le culte dissident. »

23. Voilà donc les principes théologiques qui guidèrent les papes successifs dans la question des rites chinois.Convaincus de l’extrême gravité du péché que constituent les rites superstitieux, ils en déduisaient que toute formule ourite entaché de superstition devait être réprouvé comme favorisant l’erreur, honorant les démonset s’opposant gravement au salut éternel de ceux qui les pratiquent.

Étude de la mineure : Les formules et les rites chinois étaient-ils entachés de superstition ?

24. La question est maintenant de savoir si les principes que nous avons vus, touchant le grave devoir d’éviter tout rite ou formule superstitieuse, s’appliquaient aux rites chinois et aux noms divins utilisés ou tolérés par les missionnaires de Chine. Il est clair qu’il ne nous reviendra pas de porter de jugement catégorique sur des questions débattues par d’éminents experts et sanctionnées par de nombreux papespendant plus d’un siècle ! Contentons-nous de donner quelques éléments de réflexion grâce au recul historique que nous pouvons désormais avoir. Pour faciliter notre réponse, il nous faut distinguer la question des noms divins et celle des rites.

A. Les noms divins

25. Comme nous l’avons dit plus haut, le seul nom divin qui sera finalement autorisé par le Saint-Siège pour signifier le vrai Dieu, en chinois, est Tien-tchou, « Seigneur du ciel ».Son emploi par les missionnaires n’alla pas sans poser certaines difficultés, car ils ne tardèrent pas à se rendre compte que ce nom était affecté en Chine à diverses idoles du bouddhisme ou du taoïsme populaires. Ils estimèrent cependant que cet abus d’une appellation qui, dans son sens propre et naturel, ne convenait qu’au vrai Dieu, n’était pas une raison suffisante de ne pas la maintenir à celui-ci. Le Saint-Siège leur donnera raison.

26. Mais, à côté de Tien-tchou et moins couramment, nous avons vu que les anciens missionnaires de Chine employèrent d'autres noms, dont les principaux sontTien, « Ciel » et Chang-ti, « Souverain Seigneur », lesquels prêtèrent à des objections plus graves. Même si ces noms semblaient convenir à la majesté divine, les difficultés venaient de la signification qu’ils avaient ou paraissaient avoir dans l’usage chinois. Le Père Ricci et ses compagnons d’apostolat les avaient utilisés, après mûr examen, parce qu’ils leur paraissaient désigner le vrai Dieu, dans les King (livres canoniques).Ces vieux textes, en effet, sous les noms de Tien et de Chang-ti, parlaient d’un souverain maître des esprits et des hommes, être spirituel, connaissant tout ce qui se passe dans le monde, source de toute puissance et de toute autorité légitime, régulateur suprême et défenseur des lois morales, récompensant ceux qui les gardent, et châtiant ceux qui les violent. Mais cette interprétation des King, à la vérité, n’était pas celle des commentateurs en vogue à l’époque, qui prêchaient un néoconfucianisme progressiste, athée et matérialiste, selon les interprétations de Tchou-hi(1130-1200) dont l’influence fut malheureusement énorme. Les missionnaires ne l’ignoraient pas mais ils croyaient pouvoir montrer qu’ils avaient pour eux les interprètes les plus anciens et surtout le maître respecté par-dessus tous, Confucius :« Pour exorciser le tchouhisme, Ricci se reporta aux textes les plus anciens. Il chercha à prouver que la pensée confucianiste authentique et la philosophie chrétienne ne se contredisent pas, que l’on peut interpréter certains textes douteux dans un sens qu’un chrétien peut admettre, mais que la pensée confucianiste ne va pas assez loin et qu’il faut la dépasser en s’appuyant sur elle, la dépasser pour arriver à la philosophie chrétienne. (…) Ainsi les Pères expliqueraient en Chine Confucius et ses commentateurs, comme ils expliquent en Europe Virgile et Cicéron. Ils formeraient des lettrés chrétiens ou sympathisants et ces lettrés multiplieraient la bonne semence. »

27. Ces interprétations du Père Ricci et de la presque totalité de ses successeurs pouvaient réellement se soutenir. Même si elles ne furent pas acceptées à l’unanimité parmi les missionnaires, y compris jésuites, elles aidèrent puissamment à la diffusion de l’Évangile auprès des Lettrés : « Ces rapports entre les doctrines confuciennes et le christianisme, habilement mis en lumière, contribuèrent certainement à diminuer la répulsion comme innée aux Chinois, et particulièrement développée chez les Lettrés, pour toute nouveauté venant de l’étranger. Puis ils fournissaient encore un point d’appui précieux dans la lutte contre l'athéisme et le matérialisme, par laquelle devait habituellement débuter l’apostolat des hautes classes en Chine. » C’est pourquoi l’évêque de Béryte n’hésitera pas à affirmer que « beaucoup de Chinois s’étaient convertis en voyant dans leurs livres antiques le fondement de ce qu’affirment les chrétiens ».

28. En fin de compte, « l’emploi des termes Tien et Chang-ti, comme noms du vrai Dieu, pouvait se justifier par de sérieuses raisons ; il restait néanmoins que, par suite de la signification tout autre qu’y attachaient beaucoup, sinon la plupart des Lettrés modernes, ils n’excluaient pas toute équivoque et pouvaient prêter à une conception fausse des doctrines chrétiennes. C’est cette considération qui a finalement déterminé le Saint-Siège à les interdire. » Les termes Tien et Chang-ti pouvaient, certes,être utilisés correctement, mais ils pouvaient également être entendus selon les interprétations matérialistes de Tchou-hi.Le Saint-Siège choisit la voie de la prudence et en défendit l’usage afin d’éviter toute possible fausseté et toute possible contamination de superstition dans la manière de s’adresser à la Trinité Sainte.

B. La question des rites

29. Si la question des noms divins chinois soulevait des problèmes assez épineux, la question des cérémonies en l’honneur de Confucius et des parents défunts était encore bien plus complexe. Rappelons de nouveau, et cela semble particulièrement opportun de nos jours, « qu’il ne s’est jamais agi de permettre ou tolérer chez les chrétiens chinois des observances reconnues comme idolâtriques ou superstitieuses. Jamais aucun missionnaire n’a autorisé, en quelque manière que ce soit, des pratiques qu’il savait être de cette nature. (…) La controverse n’a jamais roulé sur les observances des sectes bouddhistes et taoïstes, qui se montrent partout, en Chine, à côté du confucianisme officiel. » Tous les missionnaires de l’époque connaissaient et approuvaient les principes que nous avons cités concernant la superstition et sa gravité. Ils n’auraient jamais eu la prétention, voire la simple idée de les enfreindre en permettant des rites clairement idolâtres. Comme nous l’avons dit, il s’agissait seulement des cérémonies que la coutume antique et les lois de l’État chinois prescrivaient aux lettrés pour honorer leur premier maître, Confucius, et à tous les Chinois pour honorer leurs ancêtres ou parents défunts. Ces cérémonies étaient-elles des actes religieux, au sens propre ? Constituaient-elles un culte de Confucius et des ancêtres, semblable à celui qui n’appartient qu’à Dieu et à ses saints ? Nous l’avons compris, toute la controverse sur les rites chinois se résume à cette question. Et elle était loin d’être facile à résoudre : « L’extérieur ou, pour ainsi dire, l’être matériel de ces cérémonies ne fournissait que peu de lumières. De ce point de vue, la plupart pouvaient justement être considérées comme indifférentes. Cela d’autant mieux qu’elles ne se pratiquaient pas seulement en l’honneur des morts, mais aussi des vivants, et n’avaient évidemment, dans ce dernier cas, rien de religieux. De fait, les missionnaires jésuites, en tolérant ces rites dans leurs chrétientés, avant les décisions pontificales, avaient pour règle de ne permettre à l’égard de Confucius et des ancêtres que les honneurs qu’on rendait aussi aux mandarins, maîtres, parents ou amis vivants. Pour juger du caractère véritable de ces pratiques, il importait donc, presque uniquement, de savoir dans quel sentiment et à quelle fin les Chinois s’en acquittaient : c’est-à-dire quelle conception ils avaient des morts qu’ils honoraient de cette manière ; s’ils leur attribuaient quelque caractère divin et quelque pouvoir surnaturel ; s’ils leur demandaient et espéraient d’eux quelque chose. » Se former une idée exacte de la mentalité chinoise concernant ces rites n’était certainement pas chose facile, vu les innombrables fluctuations religieuses au cours des siècles, au gré des différents régimes politiques. Du XXIVe au XIIe siècle avant notre ère, ce fut l’époque du culte au « Ciel souverain » avec honneurs rendus au mânes et croyance à la survivance de l’âme. Puis cette religion primitive fut progressivement altérée, avec, entre autres choses, la diffusion de la sorcellerie et de pratiques superstitieuses venues de l’Inde. Au VIe siècle avantJ.C. sont introduits le Ying et le Yang, théorie philosophique dualiste. Puis vient le temps de Confucius et Lao-tse (VI-Ve siècle av. J.C.), qui vont profondément marquer les esprits. Il faut attendre le Ier siècle de notre ère pour que le bouddhisme pénètre également en Chine, mais il ne pourra se diffuser largement qu’à partir du IVe siècle.Ces différents systèmes se relayeront,se combattront ou s’entre mélangeront tour à tour dans les pratiques populaires,trouvant alternativement leurs heures de gloire et de misère au cours des siècles.

30. Qu’en était-ildes convictions religieuses à l’époque de la querelle des rites chinois ? Le XIIe siècle vit l’apparition du disciple de Confucius que nous avons déjà cité, et dont la pensée fut le système officiel jusqu’au XXe siècle : Tchou-hi.Or« quant à la signification moderne du culte rendu à Confucius, nous savons à quoi nous en tenir. D’après Tchou-hi, exégète officiel, l’âme d’un homme s’éteint d’autant plus vite après sa mort, que cet homme avait été plus sage durant sa vie. Or Confucius étant le Sage parfait, il s’ensuit que son âme est retournée dans le néant, il y a de cela plus de vingt-trois siècles, et que le culte qu’on lui rend ne s’adresse qu’à son nom et à sa mémoire, que cet hommage doit glorifier et perpétuer. Des pièces toutes récentes ne laissent aucun doute à ce sujet. Elles montrent aussi combien la Chine tient à cet hommage extérieur. Dans son Kiao-ou-ki-liao, bref recueil des questions religieuses, publié pour servir de guide aux mandarins peu versés dans cette matière, Tcheou-fou , gouverneur du Chan-tong et depuis vice-roi des deux Koang, expose d’abord au long une consultation du Tribunal des Rits de l’an 1701, adressée à l’empereur Kang-hi, laquelle porte en toutes lettres ces mots : « Nous vos serviteurs ayant délibéré, sommes d’avis que se prosterner devant Confucius, c’est le vénérer comme le maître et le modèle des hommes, ce n’est pas lui demander fortune, talent ou dignités. » (…) « Depuis l’origine des temps, c’est l’usage en Chine de se prosterner pour honorer. Ce n’est pas Confucius qui a institué cette manière de saluer. On n’en use pas que pour lui. Ce n’est pas un acte de religion, mais un rit déterminé par le gouvernement. C’est un rit des plus importants, qui oblige tous les officiers et gens du peuple. Quiconque le refuserait, serait réfractaire à la loi. »

31. C’est doncà la lumière de la pensée de Tchou-hi que les missionnaires crurent devoir permettre les manifestations de respect aux morts et à Confucius : « Les missionnaires qui ont permis ces rites, avec certaines restrictions et conditions, l’ont fait parce qu’ils n’ont cru autoriser en cela rien qui eût un caractère religieux. Ils avaient jugé, en effet, que ces rites, de par leur institution primitive et les lois qui les prescrivaient, comme d’après la pratique commune des classes éclairées de la nation, n’étaient que des manifestations du respect et de la reconnaissance que les disciples doivent à leurs maîtres et les enfants à leurs parents : en un mot, suivant la formule connue, c’étaient des usages purement civils ou politiques. Cette opinion n’avait pas été formée à la légère ; elle s’appuyait sur une longue et consciencieuse étude des livres qui sont comme la Bible des Chinois, sur les informations prises auprès de nombreux lettrés, et des plus compétents en la matière, enfin sur l’observation directe des faits, continuée pendant bien des années, dans toutes les provinces de la Chine, par des missionnaires de toute nationalité, auxquels on ne peut refuser ni des connaissances et des qualités scientifiques remarquables, ni un sincère désir d’atteindre la vérité et de la suivre, une fois connue, dans une question où leur responsabilité d’apôtres et le salut des âmes étaient si gravement engagés. »

32. Notons également que la tolérance appliquée par les missionnaires n’était pas sans limites, car dans la pratique la tentation chez les fidèles de mêler quelques rites superstitieux aux rites purement civils pouvait exister : « Les missionnaires n’ont pas ignoré que, pratiquement, aux cérémonies traditionnelles, licites en elles-mêmes, les Chinois païens en mêlaient souvent de moins pures ou même de franchement superstitieuses, empruntées au bouddhisme ou au taoïsme : telle la coutume de brûler des monnaies de papier en l'honneur des morts. Les adjonctions de ce genre étaient signalées et rigoureusement interdites aux chrétiens. En outre, les missionnaires ne manquaient pas d’instruire avec un soin particulier leurs néophytes de ce que la foi enseigne sur l’état des morts et de ce qu’elle permet de faire pour eux. D’ailleurs, ils n’autorisaient pas tous les rites licites en eux-mêmes, mais seulement ceux dont les chrétiens ne pouvaient se dispenser sans grave préjudice. (…) Aussi bien, quelque justifiée que leur parût cette tolérance, dans les limites où ils la renfermaient, les missionnaires ne la considérèrent jamais que comme une concession provisoire, destinée à prendre fin dès que le développement de la chrétienté et le progrès de la liberté religieuse en Chine le permettraient. Ils s’appliquèrent, dès les débuts de la mission, à préparer le jour où les néophytes chinois ne feraient plus pour leurs défunts que les cérémonies en usage dans l’Église universelle. »

33. Fallait-il donc condamner l’usage de ces coutumes ? L’exposé des commentateurscontemporains incite à voir dans les rites tolérés par les missionnaires des cérémoniespurement civiles. Le dernier document romain que nous avons cité, du 8 décembre 1939,adoptera également cette interprétation.Pourquoi donc les avoir condamnés, et ce avec une telle fermeté ? Cette remarque de Mourretnous fournira notre conclusion : « Beaucoup de récents sinologues n’hésitent pas à reconnaître que le fond des cérémonies domestiques chinoises est religieux, à peu près identique à ce culte des Pénates et des Lares, qui fut la base de la religion romaine. Ces rites n’eussent-ils été que suspects, l'Église avait le droit de les interdire aux convertis pour dissiper toute équivoque. » Lavigilance de l’Égliseà éviter « l’apparence » et « le souffle même dela superstition » l’emporta,évitant ainsi toute possible ambiguïté et montrant de ce fait la suprême importance qu’elle attache à l’orthodoxie de son culte. Cette ambigüité ayant disparu au fil des siècles, comme l’indique le décret de 1939,la condamnation n’avait plus lieu d’être.

Conclusion

34. L’histoire de la querelle des rites chinois montre que l’Église ne lésine pas en ce qui concerne la pureté de ses rites religieux, même au prix de graves répercussions. Face aux conséquences dramatiques de la condamnation romaine de 1715 pour la chrétienté de Chine, notre monde relativiste et indifférentiste aurait tendance à penser que ce fut une grave erreur, que le jeu n’en valait pas la chandelle. Pourquoi, dira-t-on, faire tant de problèmes pour quelques inclinations et quelques batônnets d’encens en l’honneur de Confucius et des défunts ? Telle n’a jamais été la pensée traditionnelle de l’Église, pour qui la foi et la pureté doctrinale passent avant tout. C’est pourquoi nous faisons pleinement nôtre la conclusion du Père Bruckerà la fin de sa remarquable étude :« Loin de nous la pensée d’élever l’ombre d’une récrimination contre les décisions que le Saint-Siège s’est cru obligé de prendre pour sauvegarder la pureté de la religion parmi les chrétiens chinois. Nous ne voulons au contraire que faire sentir combien l’Église catholique tient à cette pureté. Aux adversaires de la papauté, qui l’ont si souvent accusée de compromissions avec la superstition, de calculs politiques et intéressés dans la propagation de l’Évangile, il n’est pas de démenti plus éloquent à opposer que sa conduite dans la controverse touchant les rites chinois. »

35. Telle est donc la leçon qu’il nous faut tirer de cette étude, leçon qui ne manque pas d’actualité. Il semble, en effet, que cette vigilance à protéger la foi et à éviter toute fausseté dans le culte n’est plus au goût du jour. Les derniers pontificats nous ont donné de tristes exemples à ce sujet. Qui aurait pu imaginer le Vicaire du Christhonorant un temple bouddhistede sa visite , faisant la louange du bouddhisme ou laissant même une statue du bouddha être installée sur le tabernacle d’un autelcatholique afin d’y être idolâtré ? Qui aurait pu imaginer le cœur même de l’Église, le Vatican, devenu le théâtre de cultes païens ? De tels faits auraient été impensables pour les papes et les missionnaires des siècles passés.Ce relâchementa même été transcrit dans le Droit Canon de 1983, où laCommunicatio in sacrisest désormais autorisée au canon 844 . Elle avaitpourtant été condamnée fréquemment et avec force pendant près de 2000 ans d’Église comme « contenantun mensonge dans un domaine très grave, et impliquant un reniement virtuel de la foi, avec l'offense la plus grave à Dieu et le scandale pour le prochain. » Devant cette perte de la foi venant la plus haute autorité, la querelle des rites chinois constitue un puissant rappel de la pastorale de l’Église : la protection de l’orthodoxie du culte et la préservation de l’erreur devra toujours être l’absolue priorité car, selon la phrase de Saint Paul, « sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu » (Heb. 11, 6).

Abbé Jean-Michel Gomis

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