Baptisé par un hérétique



Publié le 30/12/2022 sur internet
Publié dans le N°658 de la publication papier du Courrier de Rome



Un lecteur nous écrit : « Mon fils a été baptisé l’an passé à l’âge de deux mois. À l’époque, je ne connaissais pas la Tradition. J’ai donc fait baptiser mon enfant dans la paroisse de mon village de X. Je suis certain, la vidéo en fait foi, que le prêtre a bien versé l’eau sur la tête du nouveau-né tout en prononçant la formule trinitaire : Je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Cependant,juste avant la cérémonie, le prêtre nous a adressé quelques mots. Il a notamment expliqué :“Ne croyez pas que le baptême va effacer une quelconque tache dans l’âme de cet enfant. Le seul effet du baptême est de faire entrer dans la communauté chrétienne. Le reste n’est que mensonge moyenâgeux. Ce qu’on appelait péché originel n’est qu’une fable”.
Mon épouse et moi-même avons été choqués par ces propos. Néanmoins, notre indignation n'a pas eu de suite, jusqu’à ce que nous suivions un cours de catéchisme pour adultes chez la Fraternité Saint-Pie X. Là, nous avons découvert que l’existence du péché originel était un dogme de foi , ce qui nous a conduits à penser que notre curé était hérétique. Nous avons aussi appris que le ministre d’un sacrement devait avoir l’intention de faire ce que fait l’Église lorsqu’il administre ce sacrement. Sans une telle intention, le sacrement serait invalide. Mon épouse et moi-même sommes donc inquiets au sujet de la validité du baptême de notre enfant. Notre inquiétude est d’autant plus vive que le baptême est la porte du paradis et des sacrements. Sans lui, notre enfant ne pourrait recevoir validement aucun sacrement et, toujours souillé par le péché originel, il ne pourrait pas entrer au ciel. C’est pourquoi nous demandons au Courrier de Rome si nous devons faire rebaptiser notre enfant, au moins sous condition ».
Le Courrier de Rome remercie ce lecteur de sa question fort pertinente et va y répondre avec joie. Remarquons d’abord que la question de la validité du baptême administré par un hérétique n’est pas nouvelle.
Un débat très ancien
Au 3e siècle, une violente controverse opposa saint Cyprien de Carthage au pape saint Étienne Ier. La question était la suivante : lorsque des hérétiques, baptisés dans l’hérésie, demandent à entrer dans l’Église catholique, faut-il les baptiser à nouveau, ou bien est-ce inutile parce que leur baptême est valide ? Saint Cyprien pensait qu’il fallait les rebaptiser. Personne ne peut donner ce qu’il n’a pas. Celui qui est hors de l’Église ne peut y faire entrer, disait-il. Le pape saint Etienne, au contraire, enseignait, conformément à l’usage de Rome, d’Alexandrie et de Palestine, qu’il n’était pas nécessaire de les rebaptiser, parce que leur baptême reçu dans l’hérésie était valide. L’argument était le suivant : l’efficacité du baptême tient au rite et non pas au ministre. La validité du baptême provient de l’efficacité de la formule trinitaire, abstraction faite de la personne qui l’administre. Cet argument est juste, contrairement à celui de saint Cyprien. Il sera explicité plus tard par le Docteur angélique :« L’homme qui baptise apporte seulement son ministère extérieur. Mais celui qui baptise intérieurement, c’est le Christ, qui peut, lui, utiliser n’importe quels hommes comme instruments de n’importe quelles œuvres. Ainsi ceux qui n’ont pas reçu le baptême peuvent cependant le donner parce que, dit le pape saint Nicolas, ce n’est pas leur baptême qu’ils donnent, c’est le baptême du Christ » .
C’est pourquoi, plusieurs siècles après la querelle des rebaptisants, le concile de Trente définira solennellement cet enseignement dans son décret sur les sacrements.
Il est donc de foi divine et catholique que le baptême des hérétiques est valide. « Si quelqu’un dit que le baptême, même donné par des hérétiques au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, avec l’intention de faire ce que fait l’Église, n’est pas un vrai baptême, qu’il soit anathème » (Dz 1617).
En l’an 866, le pape saint Nicolas Ier écrivit au prince Boris de Bulgarie :« Vous demandez si les hommes qui ont reçu le baptême de ce pseudo-prêtre sont chrétiens ou s’ils doivent être baptisés à nouveau. Mais s’ils ont été baptisés au nom de la Trinité très haute et indivisible, ils sont réellement chrétiens, et quel qu’ait été le chrétien par qui ils ont été baptisés, il ne convient pas qu’ils soient baptisés à nouveau » (Dz 644).
Saint Pie V enseigna la même chose : « Les calvinistes ne se trompent pas sur la forme du baptême, mais sur ses effets. Il ne faut donc pas rebaptiser les calvinistes » .
L’intention du ministre
Pourtant, notre lecteur a raison de dire que, pour la validité d’un sacrement, l’intention de faire ce que fait l’Église est absolument requise, sous peine d’invalidité . Alors comment admettre que les hérétiques veuillent faire ce que fait l’Église, alors qu’ils n’ont pas la même doctrine que l’Église sur les effets du baptême ? C’est qu’il faut bien comprendre ce que signifie « Faire ce que fait l’Église ». Cela ne veut pas dire « Faire ce que veut l’Église ».
Saint Thomas d’Aquin explique : « Supposons que le ministre n’a pas la foi, précisément au sujet du sacrement dont il célèbre le rite : il ne croit pas que l’action extérieure qu’il accomplit soit suivie d’aucun effet intérieur ; malgré cela, il n’ignore pas que l’Église catholique a l’intention en accomplissant cette action extérieure de produire le sacrement ; il peut donc, en dépit de son incroyance, avoir l’intention de faire ce que fait l’Église, tout en croyant que cela ne sert de rien (licetexistimet id nihil esse). Une telle intention suffit, car le ministre du sacrement agit comme représentant de toute l’Église dont la foi supplée à ce qui manque dans la sienne » .
Le Saint-Office, le 30 janvier 1830, a donné cette précision intéressante : « Pour la validité du sacrement n’est pas nécessaire une intention qu’on appelle expresse ou déterminée. Il suffit d’une intention seulement générique, à savoir l’intention de faire ce que fait l’Église, ou de faire ce que le Christ a institué, ou de faire ce que font les chrétiens » .
Il n’est donc pas requis, pour la validité du baptême, que le ministre ait précisément l’intention d’effacer le péché originel. Peu importent ses idées fausses sur ce sacrement. D’où l’affirmation du Catéchisme du concile de Trente :« En cas de nécessité, peuvent administrer le baptême tous les humains, hommes et femmes, de quelque religion qu’ils soient. En effet, Juifs, infidèles, hérétiques, quand la nécessité l’exige, tous peuvent baptiser, pourvu qu’ils aient l’intention de faire ce que fait l’Église en administrant ce sacrement ».
Ces choses étant clarifiées, comment savoir si le curé de paroisse a bien eu l’intention requise, telle qu’elle est décrite ci-dessus ? Seul Dieu connaît les secrets des cœurs. Il serait vain de vouloir obtenir une certitude métaphysique. Mais le comportement extérieur est le signe des dispositions intérieures.
Comment connaître l’intention du ministre ?
Le pape Léon XIII, dans sa lettre Apostolicaecurae du 13 septembre 1896 sur les ordinations anglicanes, donne la clé de réponse : « De l’intention en tant que, par soi, elle est quelque chose d’intérieur, l’Église ne juge pas. Mais en tant qu’elle se manifeste extérieurement, elle doit en juger. Lorsque donc quelqu’un a employé sérieusement et régulièrement la matière et la forme exigées pour produire et conférer le sacrement, du fait même il est considéré comme avoir eu l’intention de faire certainement ce que fait l’Église. Sur ce principe se fonde la doctrine qui affirme qu’il y a vrai sacrement même quand celui-ci est conféré par le ministère d’un hérétique ou d’une personne qui n’a pas été baptisée dans l’Église catholique, pourvu que ce soit selon le rite catholique ».
Pour savoir si le ministre avait l’intention requise, il faut donc regarder s’il a employé la matière et la forme prescrites. Certes, ce signe n’est pas infaillible. Par exemple, au théâtre, si un acteur simule l’administration du baptême, l’emploi de la matière et de la forme ne signifiera pas la présence de l’intention interne. Le seul acte externe ne suffit pas.Il doit correspondre à un acte de volonté de baptiser vraiment. Malgré l’usage du rite convenable, une intention contraire peut exister, qui invalide le sacrement.C’est pourquoi Alexandre VIII a condamné la proposition suivante : « Est valide le baptême conféré par un ministre qui observe tout le rite extérieur et la forme du baptême et qui pourtant a décidé à part soi, intérieurement, dans son cœur : je n’ai pas l’intention de faire ce que fait l’Église » .
Cependant, une telle simulation ne peut pas être présumée.Par conséquent, une fois le rite accompli, on peut juger de la validité du sacrement d’après la façon dont le rite a été conféré, compte tenu non seulement de la matérialité du rite, mais encore des circonstances dans lesquelles il a été administré et qui donnent toute certitude morale que le sacrement a été conféré en vue de la fin objective pour laquelle il a été institué .
Réponse à la question
Le curé de paroisse, bien que niant un dogme catholique, a bien employé la matière et la forme du sacrement de baptême. Il faut donc le considérer comme ayant certainement eu l’intention de faire ce que fait l’Église. Que les parents se rassurent donc : leur enfant est bien baptisé, un nouveau baptême sous condition n’est pas requis. Ce qui est très préoccupant en revanche, c’est la croyance de ce prêtre soi-disant catholique. Mais ceci est une autre affaire.
Abbé Bernard de Lacoste

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