La communion du prêtre – Perspectives actuelles



Publié le 30/12/2022 sur internet
Publié dans le N°657 de la publication papier du Courrier de Rome



Dans un précédent article, nous avons examiné la question de la communion du prêtre dans le cas d’un danger de mort consécutif à une allergie grave concernant l’une des saintes espèces.
Nous nous sommes appuyé, pour ce faire, presque exclusivement sur des ouvrages et documents parus avant le concile Vatican II (1962-1965). Et nous avons proposé, très modestement et à titre de participation à une « libre discussion scolastique », quelques conclusions et pistes de réflexion.
On pourrait toutefois objecter à notre travail le fait, important en lui-même, que le Siège apostolique est intervenu sur cette question, durant les trente dernières années, et a édicté des normes et des directives précisément en ce qui concerne les prêtres frappés d’allergie. Et donc que le problème serait par là réglé sans aucune ambiguïté : « Roma locuta est ».
Personne n’ignore, toutefois, les graves objections que nous formulons à l’égard « du concile Vatican II et après le concile de toutes les réformes qui en sont issues » (cf. Déclaration de Mgr Lefebvre le 21 novembre 1974). Il nous est impossible, en conscience et pour des motifs de foi, d’accepter comme Magistère obligatoire tous et chacun des documents émanés de la Rome actuelle, en raison de la « tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s’y manifeste » trop souvent (cf. même Déclaration).
Ce qui ne signifie pas, à l’inverse, que les documents venus de Rome soit, de ce seul fait, faux dans toutes leurs dimensions. Simplement, de façon habituelle, ces documents ne peuvent par eux-mêmes clore le débat et régler la situation, faute d’une autorité magistérielle réelle et certaine.
Nous voudrions donc, en ce second article, étudier à la lumière de la doctrine traditionnelle le contenu des documents romains concernant les prêtres sujets d’une allergie grave. Ces textes méritent qu’on s’y intéresse d’abord parce qu’ils portent très précisément sur la question que nous étudions ; ensuite parce que l’autorité au moins humaine des personnes qui les ont rédigés ne peut qu’attirer notre attention ; enfin, parce que les solutions proposées sont, dans certains cas tout à fait intéressantes, dans d’autres cas étonnantes et problématiques, en une question qui est tout de même de première importance, celle de la validité du sacrement de l’Eucharistie et de sa correcte célébration.

Les deux lettres de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi

Effectivement, à propos des allergies qui rendent impossible la consommation d’une des saintes espèces, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a envoyé deux lettres aux présidents des Conférences épiscopales du monde entier : la première le 19 juin 1995, la seconde le 24 juillet 2003, les deux étant signées par celui qui était alors le cardinal Joseph Ratzinger. Ces deux lettres ont, de plus, été confirmées par une lettre aux évêques de tout l’univers, envoyée le 15 juin 2017 par la Congrégation pour le Culte divin.
Ces lettres traitent, directement et en soi, de la matière du sacrifice eucharistique, et spécifiquement de l’usage d’un pain pauvre en gluten et de moût de raisin (jus de raisin sans alcool) : nous reviendrons plus loin sur ce point.
Mais la démarche spécifique de ces lettres amène leurs rédacteurs, par une conséquence naturelle, à traiter de la question de l’obligation de communier pour le prêtre célébrant. Nous examinerons donc d’abord la doctrine et les prescriptions pratiques de cette partie des lettres, en continuité directe de notre article précédent.
On peut trouver ces lettres, publiées sur le site du Vatican, aux adresses électroniques suivantes : « https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con... » (lettre de 1995). « https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con... » (lettre de 2003). « https://press.vatican.va/content/salastampa/it/bollettino/pubblico/2017/... » (lettre confirmatoire de la Congrégation du Culte).

Doctrine de la première lettre, seulement à propos du vin

Dans la lettre du 19 juin 1995, la première phrase du passage consacré au moût de raisin (c’est le sujet même de la lettre, dont nous parlerons en deuxième partie) porte directement sur notre question de la non-communion (au moins partielle) du prêtre célébrant.
Cette première phrase nous dit en effet : « La solution à préférer demeure la communion per intinctionem ou sous la seule espèce du pain au cours de la concélébration ».
Le cas envisagé est donc celui d’un prêtre « affecté d’alcoolisme ou d’une autre maladie empêchant l’absorption d’alcool, même en quantité minime », et qui a pu présenter à ce sujet « un certificat médical ». Les supérieurs ecclésiastiques (« l’Ordinaire ») peuvent alors donner l’autorisation d’utiliser du moût de raisin, mais, nous dit la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, « la solution à préférer » serait plutôt « la communion sous la seule espèce du pain au cours de la concélébration ».
Cette lettre de 1995 n’envisage donc, pour la question de la communion du prêtre célébrant, que la communion au vin, et seulement dans le cadre de la concélébration.

Doctrine de la seconde lettre, à propos de la concélébration

La lettre du 24 juillet 2003 reprend toute la question de façon systématique, probablement à la suite de remarques provenant des évêques. Au lieu de se limiter à la communion au vin, elle envisage les deux types d’allergie possibles, celle concernant le pain et celle concernant le vin, et traite explicitement de la question de la « communion sous une seule espèce » pour le prêtre célébrant, tant dans le cadre de la concélébration que dans celle de la célébration « individuelle ».
Cette lettre examine d’abord le cas de la concélébration. Et, à ce propos, elle étend et enracine la règle fixée dans la lettre de 1995.
Pour le pain consacré, cette seconde lettre affirme, en effet : « Le prêtre qui ne peut communier sous l’espèce du pain, même partiellement privé de gluten, peut, avec la permission de son Ordinaire, communier uniquement sous l’espèce du vin quand il participe à une concélébration eucharistique ».
Pour le vin consacré, cette lettre déclare : « Le prêtre, qui ne peut absorber même une infime quantité de vin, peut avec la permission de l’Ordinaire communier uniquement sous l’espèce du pain quand il prend part à une concélébration eucharistique ».

Doctrine de la seconde lettre, à propos de la célébration « individuelle »

La lettre de 2003 va plus loin, puisqu’elle aborde aussi ce qu’elle appelle « la célébration individuelle de l’Eucharistie », c’est-à-dire une messe sans concélébration. Elle distingue alors deux cas.
Elle traite d’abord le cas d’une intolérance au gluten interdisant même la communion avec une hostie pauvre en gluten. En ce cas, la célébration de la messe est impossible : « Le prêtre qui ne peut communier sous l’espère du pain, même partiellement privé de gluten, ne peut célébrer de manière individuelle l’Eucharistie ». La Congrégation pour la Doctrine de la Foi n’envisage donc aucunement que, dans ce qu’elle appelle la « célébration individuelle », un autre que le prêtre célébrant (par exemple un prêtre, voire un laïc) puisse consommer le pain consacré, tandis que le célébrant ne le ferait pas.
Elle examine ensuite le cas d’une intolérance au vin. D’après elle, la célébration « individuelle » est possible, si le prêtre peut au moins absorber une infime quantité de vin consacré ; dans ce cas, un assistant peut consommer le reste du vin consacré : « Si le prêtre ne peut absorber qu’une infime quantité de vin au cours de la célébration individuelle, le fidèle [a fortiori un prêtre présent] qui participe à l’Eucharistie pourrait éventuellement consommer le reste de l’espèce consacrée ».
On peut toutefois, en passant, s’étonner que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi n’envisage pas la solution la plus simple, à savoir que le prêtre ne consacre que cette infime quantité de vin qu’il va absorber, lui évitant de recourir à un autre pour consommer le reste du vin ; et qu’il ne fasse ensuite les ablutions qu’avec de l’eau.

La Congrégation ne justifie pas les permissions qu’elle donne

Pour justifier les permissions qu’elle octroie, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi ne se réfère à aucune pratique antérieure de l’Église, ni à une pratique actuelle dans d’autres rites catholiques, notamment dans des rites orientaux.
Elle ne propose aucun argument théologique qui fonderait son choix, et n’articule aucune explication ni démonstration. Elle se contente exclusivement de donner des directives pratiques sur ce qu’il serait possible ou impossible de faire, d’un point de vue juridique. Sa seule incursion en théologie advient lorsqu’elle déclare que telle ou telle pratique rendrait le sacrifice eucharistique invalide pour défaut de matière apte.
En cela, d’ailleurs, elle se conforme à la coutume romaine : habituellement, les Congrégations romaines se contentent de trancher en pratique, par mode d’autorité, les cas qui leur ont été soumis, sans passer par une argumentation qui affaiblirait l’autorité suprême du Siège apostolique, et ouvrirait la voie à des discussions et des contestations.
Du fait de ce silence sur les arguments qui ont amené à la décision que nous commentons, nous en sommes réduits aux conjectures pour savoir ce qui fonderait et autoriserait ces choix de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.

Fondements possibles de l’autorisation donnée pour la concélébration

Dans ce cadre conjecturel, on peut se référer à certaines pratiques de la liturgie d’avant la réforme liturgique du concile Vatican II, pratiques qui ont peut-être inspiré ces décisions d’autoriser, dans des cas exceptionnels liés à des allergies graves, le prêtre célébrant à ne communier que sous une seule espèce.
Nous examinerons d’abord la règle énoncée à propos de la concélébration. Nous utiliserons dans cette présentation les éléments que nous avons mis au jour dans notre précédent article (que nous supposons donc connu) sur « La communion du prêtre », sans répéter tous les textes et toutes les références.
Comme nous l’avons alors noté, dans le rite d’ordination sacerdotale contenu dans le Pontifical d’avant la réforme liturgique de Vatican II, les nouveaux prêtres concélèbrent sacramentellement avec l’évêque consécrateur (ce point est officiel et incontesté). Mais le rite de communion est le suivant, et ceci depuis plusieurs siècles : l’évêque communie à l’hostie, puis consomme l’intégralité du vin consacré ; ensuite, il communie les nouveaux prêtres en leur donnant seulement du pain consacré, c’est-à-dire une hostie. Nous avons souligné qu’un tel rite se retrouvait le Jeudi saint dans le rite lyonnais tel qu’il a existé jusqu’au milieu du XXe siècle, aussi bien qu’à Blois, Chartres, Reims, etc. jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Dans ces Églises, des prêtres concélébraient ce jour-là avec l’évêque le Jeudi saint, mais ne communiaient que sous l’espèce du pain.
Nous avons proposé comme explication de ce choix de l’Église le principe donné par saint Thomas d’Aquin lorsqu’il parle de la concélébration : « Le prêtre, souligne-t-il, ne consacre pas personnellement, mais in persona Christi ; or, selon saint Paul, plusieurs sont “un seul dans le Christ” (Ga 3, 28) ; c’est pourquoi, il n’est pas important de savoir si ce sacrement est consacré par un seul ou par plusieurs, pourvu que soit observé le rite de l’Église » (Somme de théologie, Tertia pars, question 82, article 2).
Nous avons interprété cette affirmation doctrinale de la façon suivante : en vertu de l’unité du sacerdoce dans le Christ rappelée par saint Thomas, les concélébrants constituent en réalité « un unique prêtre célébrant », en sorte que ce que fait l’un des concélébrants est fait au nom de tous les autres ; et donc si au moins un des prêtres concélébrants consomme entièrement la victime du sacrifice (sous les deux espèces), il sera vrai de dire que « le prêtre célébrant » l’a fait, même si chacun des concélébrants ne l’a pas forcément fait.
En l’occurrence, alors que dans la liturgie traditionnelle il était prévu que certains des concélébrants ne communient qu’au pain consacré, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi pose comme règle que certains concélébrants peuvent omettre de consommer, soit le vin consacré, comme autrefois, soit le pain consacré (et c’est une nouveauté).

Fondements possibles de l’autorisation donnée pour la célébration « individuelle »

Le fondement de l’autorisation donnée pour la célébration dite « individuelle » est beaucoup plus facile à trouver.
Pour le pain consacré, la solution est claire : la Congrégation pour la Doctrine de la Foi ne donne tout simplement pas l’autorisation de célébrer à un prêtre qui ne pourrait absolument pas le consommer.
Pour le vin consacré, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi demande que le prêtre en consomme obligatoirement, ne fût-ce qu’une quantité infime. Pour le reste du vin consacré, elle demande qu’il soit consommé par un des assistants. Dans ce cas, cette communion au précieux sang par un des assistants constitue une simple variante de la communion sous les deux espèces, une pratique qui a existé dans l’Église depuis toujours, et existe effectivement dans les rites orientaux. Le seul point qui peut faire difficulté d’un point de vue traditionnel est la manière dont cette communion sous les deux espèces se réalise, mais non le fait même de cette communion.

Petit aparté sur la réalité physique de la communion

La règle posée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi pour la communion au précieux sang dans le cadre de la célébration « individuelle » pose un problème plus général, qui n’est pas l’objet de notre étude, et qui n’est donc pas, en soi, un reproche adressé à la doctrine de la Congrégation. Nous voulons simplement, en aparté, attirer l’attention sur un point qui mérite réflexion.
La communion consiste, très précisément, à manger le corps du Christ et à boire son sang. Cette action de manger et de boire est une réalité physiologique, mécanique même, peut-on dire, qui est celle de l’alimentation et de l’hydratation. Pour qu’existe le fait de « manger » et de « boire », il faut que l’aliment ou la boisson passe la gorge pour se diriger vers l’estomac. C’est d’ailleurs un problème qui se pose au prêtre lorsqu’il porte le viatique à un malade qui ne peut plus déglutir.
Pour une personne qui bénéficie d’une santé à peu près normale, le fait de mettre dans la bouche un aliment solide, même en faible quantité, aboutit quasi inéluctablement à lui faire passer le cap de la gorge, donc à le manger au sens propre. En revanche, ce n’est pas le cas pour un liquide : s’il est pris en vraiment trop faible quantité, il va simplement humecter la bouche sans être bu au sens propre, selon le processus physiologique de la boisson (l’absorption de la salive n’étant pas considérée comme une alimentation).
La Congrégation pour la Doctrine de la Foi parle d’une « infime quantité de vin » que le prêtre allergique consommerait dans le cas d’une célébration individuelle. Encore faut-il, pour qu’il y ait communion au sens réel, que cette quantité infime soit réellement bue, absorbée à titre de boisson, et ne se restreigne pas à humecter la bouche.
Le rédacteur de ces lignes est particulièrement attentif à cette question, dans la mesure où il prend lui-même, durant la messe, une faible quantité de vin. Cependant, il veille à ce que cette quantité même petite soit suffisante pour qu’il la boive au sens propre, pour qu’il sente qu’il l’avale réellement et en tant que telle.
Nous laissons la discussion de ce point à la réflexion des lecteurs, sans y entrer davantage, dans la mesure où les textes de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi n’ont aucunement pour but de traiter cette question.

La Congrégation traite directement de la matière de l’Eucharistie

Comme nous l’avons dit au début du présent article, les lettres de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de 1995 et de 2003 traitent directement, primo et per se, de la matière valide du sacrifice eucharistique, qui est donc l’objet essentiel de leurs réflexions : ce n’est qu’incidemment et en conséquence, secundum quid, qu’elles évoquent les divers modes possibles de communier en cas d’intolérance, sur lesquels nous venons de nous arrêter.
Nous nous intéresserons donc maintenant aux normes que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a proposées concernant la validité du pain et du vin utilisés pour la messe.

Le pain eucharistique pauvre en gluten

Concernant le pain destiné à l’Eucharistie, il semble que, dans les dernières décennies, des techniques aient été mises au point pour réaliser un vrai pain de froment, de blé, réellement panifié, et pourtant pauvre en gluten (tout en en contenant un peu). L’autorisation donnée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi d’utiliser ces pains (hosties) pauvres en gluten, qui resteraient de véritables pains de froment, semble alors fondée et raisonnable.
Voici les affirmations de la Congrégation à ce sujet : « Les hosties spéciales “quibus glutinum ablatum est” sont une matière invalide ; elles sont en revanche une matière valide si elles contiennent la quantité de gluten suffisante pour obtenir la panification, et si on n’y a pas ajouté des matières étrangères, étant entendu que le procédé utilisé pour leur confection ne soit pas à même de dénaturer la substance du pain » (lettre de 1995). « Les hosties totalement privées de gluten sont une matière invalide pour la célébration de l’Eucharistie. Sont, par contre, matière valide, les hosties partiellement privées de gluten et celles qui contiennent la quantité de gluten suffisante pour obtenir la panification, sans que l’on y ajoute des matières étrangères, et qui n’ont pas été confectionnées selon des procédés susceptibles de dénaturer la substance du pain » (lettre de 2003).

L’utilisation du moût de raisin (dans le sens donné par la Congrégation)

La Congrégation pour la Doctrine de la Foi examine ensuite la matière valide pour la consécration du précieux sang, en rapport avec une allergie grave à l’alcool. Mais sur ce point, les normes proposées apparaissent réellement problématiques.
Pour le comprendre, il convient de reprendre d’abord les règles traditionnelles suivies dans les cas où l’usage d’un vin « normal » est difficile voire impossible. Ces règles sont rappelées par plusieurs des ouvrages évoqués dans notre précédent article.

Le vin « reconstitué » à partir de raisins secs

« Le Saint-Office, en date du 7 mai 1879, à la question : “Est-il permis de célébrer la messe avec du vin fait à partir de raisins secs ?”, a répondu : “Cela est permis, pourvu que le liquide qui en résulte soit reconnu par sa couleur et son goût comme du vrai vin”. Car les missionnaires vivant dans des régions où ils ne peuvent obtenir du raisin frais, et pour qui il serait difficile de faire venir du vin d’une autre région éloignée, peuvent facilement se procurer du vin fait à partir de raisins secs, pourvu cependant qu’ils attendent la fermentation du moût obtenu » (Dominique Prümmer, Manuale theologiæ moralis, 1928, III, p. 132).
« Le vin eucharistique peut être fait avec des raisins secs, pourvu qu’il ait bien la couleur, le goût et l’odeur du vin (S. Office, a. 1889) » (L. Muller, Somme de théologie morale, 1937, p. 269).
« Le Saint-Office, en 1706, a autorisé l’emploi d’un vin fait avec des raisins secs réhydratés. Cf. Brouillard, NRT, juin 1926 et janvier 1935. (…) Le vin doit être suffisamment fermenté et convenablement purifié » (Jean-Benoît Vittrant, Théologie morale, 1942, p. 371).
« Il est permis de faire gonfler dans l’eau des raisins secs et de les presser ensuite. Mais le vin ainsi obtenu doit, par sa couleur, son odeur et son goût, être reconnu pour du vin » (Heribert Jone, Précis de théologie morale catholique, 1958, p. 495).
D’après ces auteurs, s’appuyant sur diverses décisions du Saint-Office (ancêtre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi), il est donc permis, en cas de réel besoin, de célébrer la messe avec le jus provenant de raisins secs réhydratés et dont on a attendu au moins un début de fermentation. Ce liquide doit néanmoins être reconnu comme du vin par sa couleur, son goût, son odeur.
Même si, a priori, ce liquide ne sera sans doute pas un vin bien goûteux, il s’agira d’un véritable vin (comme le prouvent ses apparences, à savoir couleur, odeur et goût). Il n’y a donc pas de problème pour cette possibilité, que n’évoque d’ailleurs pas la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dans la mesure où il y aura (même à un moindre degré) de l’alcool dans ce vin « reconstitué » : ce qui ne pourrait convenir en cas d’allergie absolue à l’alcool.

L’usage du moût de raisin, vin commençant

Autre chose, évidemment, est l’usage du moût, c’est-à-dire très exactement d’un jus de raisins frais qui vient d’être pressé, dont la fermentation vient ainsi juste de commencer et n’a donc pu produire tous ses effets.
Dans la mesure où la fermentation dépend du contact avec l’oxygène de l’air et commence dès que les raisins sont pressés, le moût laissé au contact de l’air et n’ayant pas subi de traitement contraire participe forcément d’un processus de transformation qui l’amènera à devenir (à un instant non défini) du vin au sens propre.
On peut donc dire que le moût, participant de ce processus naturel et inévitable de vinification, est un vin « inchoatif », un début de vin, un vin commençant. Après tout, un vrai vin peut avoir une faible teneur en alcool, tout en restant un vin.
C’est la raison pour laquelle le moût, donc le jus de raisin récemment pressé mais participant déjà activement d’un processus de vinification, était reconnu traditionnellement comme une matière potentiellement valide de l’Eucharistie, tout en étant gravement illicite, en raison des doutes possibles. C’est ce que nous affirme Vittrant : « Le moût (jus de raisins non fermenté) est au moins une matière illicite. Cf. Missale, de Defectibus IV, 2 » (Jean-Benoît Vittrant, Théologie morale, 1942, p. 371).
Effectivement, le Missel romain, dans le De defectibus in celebratione missæ occurrentibus, au numéro IV, paragraphe 2, affirme que « l’usage d’un moût fait de raisins tout juste pressés » est une matière gravement illicite (« graviter peccat »), mais apparemment pas invalide, puisqu’il reconnaît : « conficitur Sacramentum », c’est-à-dire « le sacrement est réalisé ».

La nouvelle définition du « moût » par la Congrégation de la Foi

La Congrégation pour la Doctrine de la Foi aurait pu autoriser l’usage d’un tel moût : cette décision serait certes troublante, mais après tout elle pourrait au moins s’appuyer sur l’affirmation explicite du Missel traditionnel : : « conficitur Sacramentum ».
Mais en fait, elle va beaucoup plus loin, et franchit un pas qui ne peut que susciter un grave doute, pour ne pas dire plus, sur la validité du sacrifice eucharistique réalisé selon sa permission. Elle autorise, en effet, l’usage d’un moût qui n’est pas celui dont nous venons de parler, à savoir le jus de raisin dont la fermentation vient juste de commencer. Elle définit très précisément, en effet, le moût dont elle parle comme un jus de raisin dont on a suspendu la fermentation.
Voici ce qu’elle affirme : « L’autorisation d’utiliser le moût peut être accordée par les Ordinaires (…). Par mustum, on entend le jus de raisin frais ou conservé, dont on suspend la fermentation (par congélation ou d’autres méthodes qui n’altèrent pas la nature) » (lettre de 1995). « Le moût, c’est-à-dire le jus de raisin, frais ou conservé, dont on suspend la fermentation grâce à des procédés qui n’en altèrent pas la nature (par exemple dans le cas de la congélation), est une matière valide pour l’Eucharistie » (lettre de 2003).

Ce qui est formellement du jus de raisin n’est évidemment pas du vin

Ce qui autorisait à considérer comme potentiellement valide (quoique gravement illicite) l’usage du moût défini selon les normes antérieures, à savoir un jus de raisin qui commence à fermenter, c’était précisément le fait que ce début de fermentation permettait de considérer le moût comme un vin « inchoatif », un début de vin, un vin commençant.
Il serait donc intrinsèquement contradictoire de vouloir utiliser un jus de raisin dont on a stoppé la fermentation, qui ne peut donc plus, de ce fait, être considéré comme un vin « inchoatif », un vin commençant, mais qui doit être considéré, et qui sera considéré par n’importe qui, comme un simple jus de raisin, en tant que cela se distingue d’un vin.
Tout le monde, en effet, en faisant ses courses, sait distinguer le jus de raisin, qui n’est pas du vin et ne deviendra jamais du vin, de cet autre produit, différent, qui s’appelle le vin.
Tout le monde admet que le vigneron dise, même juste après les vendanges : « J’ai mis mon vin en barrique », bien que ce qu’il vient d’y mettre ne soit encore qu’un jus de raisin qui a commencé de fermenter et qui ne deviendra du vin au sens technique, légal et commercial que dans un certain nombre de semaines ou de mois.
Tout le monde l’admet, car effectivement ce jus de raisin est un vin « inchoatif », un vin commençant. Mais personne ne l’admettrait si le vigneron avait stoppé définitivement la fermentation de ce jus de raisin, qui ne deviendrait donc jamais du vin. Dans ce cas, le vigneron devrait dire : « J’ai mis du jus de raisin en barrique », jus de raisin qui restera tel et ne se transformera jamais en vin.
Un jus de raisin n’ayant pas fermenté et ne pouvant plus fermenter ne peut, en aucune manière, être considéré comme du vin, fût-ce « inchoatif », commençant ou tout ce qu’on voudra. C’est seulement un jus de raisin, en tant que ce produit se distingue réellement et définitivement du vin.
On ne voit donc vraiment pas comment la Congrégation pour la Doctrine de la Foi peut définir comme un vin, sous quelque rapport que ce soit, un « jus de raisin, frais ou conservé, dont on suspend la fermentation ». Pourtant, il est certain que la seule matière valide du sacrifice eucharistique est le vin. Le « jus de raisin, frais ou conservé, dont on suspend la fermentation » n’étant a priori pas du vin, précisément parce qu’il ne peut aucunement le devenir, il semble très difficile, et même plutôt impossible, de concevoir qu’une messe célébrée avec ce produit soit valide.

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