LA DORMITION OU « MORT » DE MARIE



Publié le 22/06/2022 sur internet
Publié dans le N°653 de la publication papier du Courrier de Rome



1. Le mois de mai fut cette année encore le « Mois de Marie » et il a culminé avec la belle fête du 31e jour, la fête de Marie Reine, qui nous rappelle l’importance des mystères glorieux dans la vie de la Sainte Vierge. Parmi ceux-ci, le mystère de l’entrée de la Vierge Marie dans la gloire éternelle du ciel comporte plusieurs aspects qui restent formellement distincts, même s’ils ne sont pas séparés. L’on doit en effet distinguer: la mort avec la mise au tombeau et ses conséquences ; la résurrection ; l’assomption proprement dite, c’est-à-dire l’entrée triomphale en corps et en âme dans le lieu spécial appelé ciel où se trouve déjà le Christ. En ce qui concerne Marie, ces trois aspects sont-ils également réels et certains ? Sont-ils nécessairement liés ? Sont-ils également de nature dogmatique, c’est-à-dire formellement révélés et aptes comme tels à être proposés par le Magistère de l’Eglise à l’assentiment de la foi des fidèles ?

2. La définition à laquelle procéda le Pape Pie XII, le 1er novembre 1950, dans la Bulle Munificentissimus Deus, oblige à croire comme un dogme divinement révélé que « Marie, l'Immaculée Mère de Dieu toujours Vierge, à la fin du cours de sa vie terrestre, a été élevée en âme et en corps à la gloire céleste ». C’est là le mystère de l’Assomption proprement dite, formellement distincte tant de la mort que de la résurrection, éventuelles, de Marie. Comment s’est opérée cette élévation simultanée du corps et de l’âme de Marie à la gloire céleste ? A-t-elle été précédée de sa mort puis de sa résurrection corporelle ? Telles sont les questions encore débattues. En l’absence de toute affirmation du Magistère concernant la mort de Marie, on ne peut que vérifier si le fait de cette mort est affirmé dans les sources de la Révélation ou s’il peut bénéficier, sinon de l’argument du consensus des théologiens, du moins de quelque raison théologique.

3. Notre question se décomposera donc ainsi :

• Article 1 : la mort de Marie est-elle affirmée dans les sources de la Révélation ?
• Article 2 : la mort de Marie peut-elle bénéficier de l’argument du consensus des théologiens ?
• Article 3 : la mort de Marie peut-elle s’appuyer sur quelque raison théologique ?

4. L’avertissement du Père Jugie doit ici garder toute son importance et présider à notre réflexion :« C’est un fait aussi que la théologie mariale est encombrée depuis longtemps de tout un amas d’erreurs historiques, d’écrits apocryphes, de données légendaires dont ne savent pas toujours se préserver les meilleurs ouvrages. Il faut passer le fer de la critique dans ce fourré et écarter impitoyablement toute pièce de mauvais aloi. La Sainte Vierge n’a pas besoin de nos erreurs pour faire triompher ses privilèges. La doctrine de l’Assomption, comme les autres mystères mariaux, a été étayée parfois sur des arguments, des documents de nulle valeur. Les écrits apocryphes sur ce mystère sont particulièrement nombreux . Nous montrerons le parti qu’on peut légitimement en tirer, comme aussi ce qu’il ne faut pas leur demander » .
Article 1 : la mort de Marie est-elle affirmée dans les sources de la Révélation ?

5. L’Ecriture étant muette, il ne reste, pour étayer cette opinion, que la Tradition.

Les Pères.

6. Dans l’Eglise des six premiers siècles, il n’existe aucune tradition positive, constante et unanime, sur la manière dont la Mère de Dieu a quitté cette terre. Le fait même de cette mort n’apparaissait pas certain à tout le monde. Pour les trois premiers siècles, on ne trouve qu’une phrase d’Origène, d’authenticité douteuse : « Au sujet des frères de Jésus, beaucoup se demandent comment il les avait, attendu que Marie resta vierge jusqu’à sa mort » . C’est également incidemment et en passant que saint Ephrem, saint Jérôme, saint Augustin, saint Paulin de Nole déclarent ou laissent entendre que Marie soit morte. Saint Ambroise se contente de nier qu’elle soit morte de mort violente. Jusque vers la fin du sixième siècle, on ignore, à Jérusalem, l’existence d’un tombeau de la Vierge, bien qu’à partir de la fin du cinquième siècle, on montre à Gethsémani une maison de Marie, d’où la Mère de Dieu aurait été enlevée au ciel.

7. Seuls durant cette période deux Orientaux, deux Palestiniens de la seconde moitié du quatrième siècle, saint Epiphane et le prêtre Timothée de Jérusalem, prêtent à la mort de Marie une attention directe, le premier pour la déclarer incertaine, le second pour la nier catégoriquement et affirmer que la Mère de Dieu est restée immortelle et a été enlevée au ciel par son Fils. L’importance de ces témoignages est capitale, même si, de nos jours certains théologiens cherchent vainement à en minimiser la portée, tel le Père Merkelbach , qui, dans sa Mariologie, se contente d’affirmer sans aucune justification que « ces témoignages, comme d’autres semblables, ne sont nullement démonstratifs » (n° 141).

8. A partir de la fin du cinquième siècle commencent à circuler les récits apocryphes sur « le trépas de sainte Marie ». Ces récits se multiplient un peu dans toutes les langues dans le courant du sixième siècle. L’hypothèse la plus humainement vraisemblable sur la manière dont Marie avait dû quitter cette terre était évidemment celle de la mort naturelle. C’était aussi celle qui se prêtait le mieux à des développements variés et émouvants. Rien d’étonnant à ce que les auteurs de ces récits apocryphes se soient unanimement prononcés pour cette solution, quittes à se livrer à leur fantaisie personnelle pour encadrer l’événement d’épisodes plus ou moins vraisemblables. C’est grâce à ces récits, diffusés rapidement dans toutes les églises d’Orient et d’Occident, que l’opinion que Marie était morte, et morte de mort naturelle, devint commune et quasi universelle., malgré les déclarations de saint Epiphane et l’homélie de Timothée de Jérusalem, que les copistes continuèrent cependant à transmettre à travers les âges. Nous avons donc affaire ici, en faveur de l’opinion de la mort de Marie, non pas à l’argument dirimant d’une Tradition divine, mais à l’argument d’une pure tradition humaine, plus ou moins vraisemblable et sur lequel ni le Magistère de l’Eglise ni la théologie ne sauraient sérieusement s’appuyer.

La liturgie.

9. On ne peut nier que ces mêmes écrits n’aient suggéré à certaines églises orientales l’établissement d’une fête spéciale de la mort ou Dormition de Marie, fête qui remplaça, sous un titre nouveau, la fête mariale primitive, dont nous décelons l’existence dès le début du cinquième siècle dans la plupart des églises d’Orient et deux ou trois églises d’Occident. Cette fête primitive du 15 août avait pour but de célébrer le dies natalis de Marie, le jour de son entrée dans la gloire du ciel, mais, dans l’ignorance où l’on était de la manière dont Marie avait quitté cette terre, on ne faisait nulle allusion à sa mort ni même à son assomption proprement dite. On se contentait de célébrer sa maternité divine, son rôle de nouvelle Eve dans l’économie de la Rédemption, que l’on connaissait par les Evangiles. C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi les homélies patristiques qui nous sont restées de cette fête ont été parfois intitulées « Homélies pour l’Annonciation » ou « Homélies pour la Nativité du Seigneur ». La fête de la Dormition, qui remplace cette fête primitive du dies natalis, fit vraisemblablement sa première apparition dans l’église syrienne jacobite, dès la seconde moitié du sixième siècle. L’église copte monophysite ne tarda pas à l’adopter sous le patriarche Théodose (mort en 567). Allant même plus loin, sous l’influence de préoccupations doctrinales, elle transforma la fête mariale primitive en fête de la mort de Marie, fixée au 16 janvier, et créa au 9 août une solennité spéciale de la résurrection corporelle et de l’assomption glorieuse de Marie. L’église abyssine, vassale de l’église copte, reçut bientôt et a gardé jusqu’à nos jours cette double fête. L’église byzantine orthodoxe ou chalcédonienne ne devait pas tarder à avoir, elle aussi, sa fête de la Dormition. Ce fut l’empereur Maurice (582-602) qui prit l’initiative de l’établir en la fixant au 15 août. Elle rencontra d’abord quelques résistances en certaines églises, en raison de ses accointances indéniables avec les récits apocryphes et peut-être aussi parce que les églises monophysites avaient été les premières à la célébrer. Nous savons grâce à l’archevêque Jean de Thessalonique, qui vécut dans la première moitié du septième siècle, que ses prédécesseurs sur le siège de cette ville avaient refusé de l’adopter à cause des récits apocryphes du Transitus Mariae, falsifiés par les hérétiques et nous voyons l’église de Jérusalem, aux septième et huitième siècles, accepter certes la nouvelle fête mais en lui conservant son titre primitif de Mémoire de la sainte Théotokos. Ce ne fut que sur la fin du septième siècle que, par l’initiative du Pape saint Serge I (687-701) la fête orientale de la Dormition passa d’abord dans l’église romaine puis, par elle, dans les autres églises d’Occident et sous le titre oriental de Dormition de sainte Marie. Ce titre, cependant, avait déjà été remplacé à Rome, moins d’un siècle plus tard, par celui d’Assumptio sanctae Mariae. Cette nouvelle dénomination prévalut bientôt dans tout l’Occident, grâce à l’influence de la liturgie gallicane, modifiée selon le sacramentaire dit grégorien, envoyé par le Pape Adrien I à Charlemagne.

10. A l’origine, les textes liturgiques latins sont très explicites sur la mort. Ils affirment aussi très clairement que le corps de la Vierge a été préservé de la corruption du tombeau. Quant à l’Assomption proprement dite, ils restent en général obscurs. Ils ne disent pas nettement si l’entrée de Marie dans la gloire a eu lieu avec ou sans son corps, si son assomption au ciel doit s’entendre de son âme seule, ou de son âme réunie à son corps par la résurrection glorieuse. De fait, nous constatons que, sur ce point précis et capital, des doutes, non des négations, persistent en Occident durant tout le Moyen-âge et jusqu’au seizième siècle, sinon dans les esprits, du moins dans certains documents liturgiques officiels.

11. C’est de cette manière que le fait même de la mort de Marie, qui restait douteux pour les fidèles des premiers siècles et dont l’Eglise ne soufflait mot en célébrant la fête primitive de la Mémoire de sainte Marie, a été très communément affirmé partout, à partir du septième siècle. Il ne pouvait guère en être autrement, après l’institution de la fête du 15 août. Nous constatons cependant qu’en Occident, où l’idée de l’assomption a primé de bonne heure l’idée de la dormition, il y a eu quelques rares tenants de l’immortalité de fait de Marie. Cette opinion a pris une certaine consistance à partir du jour où le privilège de l’Immaculée Conception a prévalu contre ses adversaires. Elle s’est affirmée surtout après la définition du privilège par Pie IX en 1854. Rien d’étonnant à cela puisque le privilège de l’Immaculée Conception donne à Marie un droit certain à l’immortalité. Cependant, il s’agit de savoir si le fait a répondu ou non au droit, compte tenu du rôle spécial que Marie a été appelée à jouer dans l’œuvre du salut des hommes.

Valeur de ces données.

12. Nous avons vu que les données de la Tradition patristiques sont inexistantes, en faveur de la mort et que les données qui l’appuient sont celles d’une tradition humaine, véhiculée par les apocryphes. « En dehors de la Tradition patristique proprement dite, la principale preuve positive sur laquelle on s’appuie pour établir le fait de la mort de la Sainte Vierge est la solennité même de la Dormition ou de l’Asssomption » . Quelle en est la valeur ?

13. Rappelons ici quellessont les différentes valeurspossiblesde l’argument tiré de la liturgie. Il représente un argument de Tradition divine s’il fait état de données dont les autres critères de la Tradition (les Pères de l’Eglise, les docteurs de l’Eglise et les théologiens) et le Magistère indiquent par ailleurs qu’il s’agit de données divinement révélées. En revanche, ce même argument tiré de la liturgie ne représente plus un argument de Tradition et équivaut tout au plus à une preuve historique lorsqu’il fait état de données qui ne sont attestées ni par le Magistère, ni par les critères de la Tradition (Pères et docteurs de l’Eglise). En ce qui concerne la liturgie de la Dormition, les données qui y sont présentes proviennent toutes exclusivement de la source des récits apocryphes. La difficulté n’est pas que ces récits soient apocryphes, car le fait qu’ils le soient signifie ni plus ni moins que l’auteur auquel ils sont attribués n’est pas leur véritable auteur (par exemple, le Protévangile de saint Jacques n’est pas de saint Jacques). Mais ce fait ne signifie pas nécessairement que les faits relatés par ces récits soient faux. Ils peuvent l’être et le travail critique du Père Antoine Wenger a prouvé qu’ils l’étaient pour une certaine part en ce qui concerne l’attestation de la mort de Marie. Cependant, même véridiques, ces récits me sauraient représenter davantage qu’une source historique, et nullement une source de la Révélation . Or, ce qui nous intéresse ici, ce n’est pas que la mort de Marie soit un fait historique vrai, mais c’est que ce fait soit révélé. Dans le premier cas, il ne saurait être que l’objet d’une pieuse opinion, tandis que dans le second cas il peut être l’objet d’une vérité dogmatique certaine, voire définie. L’argument tiré de la liturgie possède la valeur d’un argument de Tradition divine en ce qui concerne l’Assomption et il prouve que cette vérité est divinement révélée, tandis que le même argument possède seulement – en tout cas tout au plus - la valeur d’une preuve historique en ce qui concerne la mort de Marie et il ne prouve pas que cette vérité soit révélée.
14. Dans son livre de synthèse sur les dogmes mariaux, Journet résume fort bien les recherches du Père Jugie en ce qui concerne l’historique des fêtes liturgiques de l’Immaculée Conception et de l’Assomption et montre comment se précise la signification de cette dernière fête, de façon à représenter l’argument de Tradition en faveur du mystère .

15. Dans tous ces textes liturgiques, la mort de la Vierge est sans doute clairement affirmée, mais on constate, par l’ensemble de l’office divin, que l’objet direct et principal de la fête n’est pas la mort mais l’Assomption, l’entrée de Marie dans la gloire céleste et aussi son intercession pour les hommes auprès de Dieu. A la veille de la définition de Pie XII, après les remaniements successifs qu’il a subis, le rite romain, aussi bien à la messe qu’à l’office de la vigile et de la fête, et durant l’octave, ne contenait d’affirmation ou d’allusion claire à la mort que dans les leçons du second nocturne de la fête et du second nocturne du quatrième jour de l’octave. Ces leçons sont empruntées à saint Jean Damascène et à la légendaire Histoire euthymiaque, faussement mise sous le nom de ce docteur. Or, dans ces parties de sa liturgie, l’Eglise n’a pas l’intention de proposer l’objet direct du culte et de manière générale, lorsqu’elle évoque un fait historique, elle n’entend pas engager son infaillibilité à moins que ce fait ne soit par ailleurs consigné dans les sources de la Révélation ou nécessairement connexe avec une vérité révélée . Le Père Jugie fait à cet égard une remarque intéressante : « Il semble que l’on puisse rapprocher l’une de l’autre, sous le rapport de leur origine, les deux fêtes mariales de la Présentation au temple et de la Dormition. C’est l’apocryphe connu sous le nom de Protévangile de Jacques qui a suggéré à l’Eglise byzantine, vers le septième ou le huitième siècle, l’établissement de la fête de la Présentation de Marie au Temple. Le fait de cette Présentation n’est rien moins que garanti historiquement et il est sûrement légendaire dans les circonstances de temps, de lieu, etc. dont l’entoure l’apocryphe. L’Eglise byzantine, pourtant, a retenu ces circonstances dans ses offices et les a prises apparemment pour de l’histoire authentique. La fête primitive de la Dormition paraît bien, elle aussi, avoir été introduite sous l’influence des récits apocryphes du Transitus Mariae. En fait, dans les offices de l’Eglise byzantine et des autres Eglises orientales pour la fête du 15 août, les allusions à ces récits sont fort nombreuses. On voit que l’Eglise a pris occasion de ces récits plus ou moins vraisemblables pour promouvoir le culte de la Vierge et multiplier les fêtes en son honneur » .

16. La valeur de ces données n’est donc qu’historique et ne saurait représenter un argument de Tradition. Le Père Laurentin le souligne clairement, en faisant la distinction entre le caractère plus ou moins commun et général d’une tradition et sa valeur :« La tradition affirme communément que Marie est morte : cette affirmation est même beaucoup plus ancienne que celle de l’Assomption. Reste à peser la valeur de cette tradition. Dans quelle mesure est-elle affirmation de foi ? Dans quelle mesure est-elle une extension irréfléchie d’une commune servitude de l’humanité au cas singulier de Marie ? Les premiers auteurs qui ont affirmé la mort de Marie n’ont-ils pas cédé à la même facilité que ceux qui ont mis en elle le péché ? Cette affirmation ne procéderait-elle pas de deux méprises : le crédit accordé aux apocryphes de la dormition et la méconnaissance de l’Immaculée Conception ? » .

17. Avec ceci, le Père Laurentin reste indécis et frappé par l’affirmation commune de la mort. Mais il ajoute en note cette remarque décisive : « Je n’hésiterais pas à donner à cette affirmation commune, où percent si peu d’exceptions, une valeur absolue sans un précédent impressionnant. Jusqu’au huitième siècle, chez les Grecs, puis jusqu’au douzième chez les Latins, nul n’exemptait Marie de la loi commune du péché originel, Impressionnés par cette apparente unanimité, les théologiens du treizième siècle ont massivement rejeté la doctrine de l’Immaculée Conception, lancée au douzième siècle. Et pourtant, avec Duns Scot et Guillaume Ware, cette idée s’est imposée » .

Article 2 : la mort de Marie peut-elle bénéficier de l’argument du consensus des théologiens ?

18. Nous tâchons ici de vérifier l’argument que pourrait représenter le poids du nombre, avant de vérifier à l’article suivant celui que pourrait représenter le poids des raisons.

19. La plupart des théologiens qui examinent cette question de la mort de Marie ne l’envisagent pas pour elle-même mais ils en traitent en même temps qu’ils traitent de l’Assomption, et ils le font très brièvement. D’autres traitent séparément de la mort et de l’assomption. Parmi ceux-ci, les uns considèrent la mort comme faisant pratiquement corps avec la doctrine de l’assomption . Les autres font remarquer qu’au point de vue théologique on ne saurait confondre les deux questions et que l’Eglise pourrait définir l’assomption proprement dite, sans se prononcer sur le fait même de la mort. Et c’est d’ailleurs ainsi que Pie XII a procédé, donnant raison à ces derniers.Les théologiens ne sont donc pas unanimes sur le point précis de la mort, même si les partisans de la mort sont en plus grand nombre.

20. Beaucoup, comme Suarez et Billuart, tiennent que le fait de la mort représente une vérité certaine et indubitable. D’autres, comme le Père Tanquerey , se contentent de dire que c’est l’opinion commune de l’Eglise à laquelle il faut se tenir. Le Père Bellamy, dans l’article « Assomption » du Dictionnaire de théologie catholique dépasse la mesure dans le sens affirmatif en écrivant : « On ne saurait révoquer en doute la mort de la Vierge comme manifestement contraire à la tradition patristique, à l’enseignement commun des théologiens et à la liturgie catholique » . Prise à la lettre ces affirmations équivaudraient à faire de du fait de la mort de Marie une certitude de foi, ce que Suarez et Billuart se gardent bien d’affirmer. Le Père Neubert rejoint le Père Bellamy lorsqu’il écrit que l’opinion qui nierait la mort de Marie lui paraît « évidemment erronée parce que contraire à une tradition à peu près unanime » . Le Père Merkelbach atténue l’opinion de Billuart en disant que la mort de Marie « paraît indubitable » (n° 141). Plusieurs autres théologiens nient catégoriquement le fait de la mort de Marie . D’autres, comme le Père Vermeersch, restent dans le doute. D’autres encore se taisent .

21. Le Père Laurentin a pris acte de cette absence d’unanimité : « Faut-il s’arrêter au problème de la mort de Marie, cette mort si particulière qu’il semble également vrai de dire, avec un premier groupe d’auteurs, que Marie est morte et, avec un autre (beaucoup plus restreint) que Marie n’est pas morte ? Sa fin est pleine de mystère, comme observait déjà saint Epiphane. Et les Grecs usaient de formules enveloppées, pour exprimer ce mystère : ils appelaient sommeil [κοίμησις ou dormitio] ou passage [μεταρτασις ou transitus] cette transition par laquelle la Mère de Dieu passa de la vie terrestre à la vie céleste » . Le Père Marie-Joseph Nicolas, autre grand spécialiste de la mariologie, au vingtième siècle, fait de même . Nous nous en tiendrons ici à la règle classique énoncée par Franzelin, dans la thèse XVII de son traité sur la Tradition divine : « Le désaccord montre qu’on ne saurait régler la question en s’appuyant sur un argument d’autorité et que l’on doit s’en tenir à des raisons pour adopter l’explication qui semble la plus conforme que les autres à l’analogie de la foi, c’est-à-dire qui s’accorde davantage avec l’enseignement de l’Ecriture, les enseignements des Pères, la prédication de l’Eglise, le sentiment et le consensus des fidèles » .

22. L’argument du consensus théologique en faveur de la mort de Marie est donc inexistant. Reste alors à vérifier le poids des raisons.

Article 3 : la mort de Marie peut-elle s’appuyer sur quelque raison théologique ?

23. L’on doit partir de ce principe avéré que la grâce de l’Immaculée Conception avait toute la vertu de la justice originelle . Cela signifie 1° que, tout comme Adam dans l’état de justice originelle, Marie pouvait mourir, et 2° que si Marie devait mourir de fait, cela ne serait pas en raison de la peine du péché originel, mais pour une autre raison, tirée ici de son rôle d’associée à l’œuvre de l’Incarnation rédemptrice.

24. Toute la réflexion théologique des partisans de la mort de Marie se donne alors pour tâche de justifier ce type de raison. Or, Marie, Nouvelle Eve, a été réellement assimilée au Christ dans la mort par sa Compassion au pied de la Croix, par ce martyre de l’âme que lui avait annoncé Siméon. Sa Compassion a été de la sorte à la hauteur de la Passion. Cette assimilation a-t-elle été suffisante ? Est-ce que sa mission de Nouvelle Eve exigeait davantage, à savoir une mort subséquente ?

25. Le Père Jugie répond : « Il ne semble pas. En tout cas, il est difficile de le démontrer par une raison convaincante. En effet, après la mort du Nouvel Adam, l’œuvre de la Rédemption était achevée. Jésus l’avait dit en prononçant son Consummatum est. Ce qui pouvait arriver à la Nouvelle Eve après cette consommation ne pouvait avoir qu’une importance secondaire. Elle avait fourni sa contribution à l’acte capital du drame, y avait été associée d’une manière très réelle. Que pouvait ajouter, plus tard, la séparation de son âme et de son corps à une œuvre déjà parfaite ? Surtout si on nous dépeint cette séparation, ce court trépas, cette dormition, comme un doux sommeil d’amour entre les bras de son Fils bien-aimé, venu à son chevet pour rendre sa mort encore plus douce et lui enlever jusqu’au moindre vestige de ce qui rend si pénible à nous le terrible passage de la terre au ciel, du temps à l’éternité. Qu’on réclame pour Marie une pareille mort à d’autres titres, cela peut se concevoir et se discuter. Mais on ne voit vraiment pas qu’on puisse faire valoir le titre de Nouvelle Eve, de coopératrice à la Rédemption, de corédemptrice, comme disent quelques-uns, pour exiger une mort de cette sorte. Un pareil trépas, loin de rendre semblable la Mère au Fils dans la mort, établit au contraire entre eux une complète dissonance, un contraste parfait. […] Où est la configuration ? Où est la participation de la Nouvelle Eve à la satisfaction pour le péché, satisfaction qui suppose la peine, la douleur physique et morale ? » .

26. Mais le Père Marie-Joseph Nicolas objecte que la mort de Marie, si elle n’est nullement nécessaire pour associer Marie au Christ dans l’œuvre de la Rédemption, reste nécessaire à un autre titre :« Si l’état glorieux de Marie est une participation à celui du Christ ressuscité, comment penser qu’elle y serait parvenue sans passer comme Lui par le mystère de la mort ? Dans une telle hypothèse, elle lui serait moins parfaitement configurée que le reste de l’Eglise ! […] Les théologiens qui nient la mort de Marie pensent qu’elle a suffisamment participé à la mort du Christ par sa Compassion. A la douleur de la mort, oui. Mais au fait même de mourir, de subir en soi-même cette destruction de l’être, si inséparable de la condition humaine présente, non. La vie éternelle, pour le corps humain, est une vie de ressuscité. Il est vrai que, dans la personne des derniers hommes, l’Eglise, selon saint Paul, passera sans mourir de la vie présente à la vie céleste . Mais sera-ce pour eux, au sens profond du mot, un privilège, c’est-à-dire une plus grande union au Christ ? Pour Marie, le privilège essentiel est de vivre entièrement le mystère du Christ. C’est aussi sa prédestination, tout le sens de ce qu’elle est et de ce qu’elle reçoit » .

27. Le présupposé de cet argument avancé par le Père Nicolas est que la mort de Marie peut et doit se justifier pour une raison autre que celle qui se tirerait de son rôle d’associée au Christ dans l’acte de la Rédemption. Et c’est précisément ce présupposé qui n’est nullement justifié. Sans compter qu’il y a ici une confusion assez manifeste : la vie éternelle, pour le corps humain, est précisément une vie de glorifié, et tout corps humain glorifié n’est pas nécessairement un corps humain ressuscité. Chez le Christ il l’est en tant que Celui-ci est l’auteur principal de notre rédemption, qui rend nécessaire la mort du rédempteur, suivie de sa résurrection. Chez les autres que le Christ il l’est en tant qu’il a été délivré du péché originel, après en avoir subi la peine par la séparation prolongée d’avec son âme. Marie n’ayant été ni l’auteur principal de notre rédemption, ni délivrée du péché originel, cet argument ne saurait prouver la nécessité ni même la convenance de sa propre mort .

28. La principale objection qui s’élève contre le fait de la mort de Marie est la définition même du dogme de l’Assomption : « Immaculatam Deiparam semper virginem Mariam expleto terrestris vitae cursu fuisse corpore et anima ad caelestem gloriam assumptam ».La définition de Pie XII nous oblige à croire que Marie est entrée dans le séjour de la gloire à la fois avec son corps et son âme, l’un et l’autre n’étant pour lors point séparés. Les partisans de la mort se trouvent alors fort embarrassés lorsqu’il s’agit de déterminer le temps qu’a duré pour Marie la séparation de son âme d’avec son corps . En cet état de séparation, où était l’âme de Marie ? En quoi son entrée dans la gloire du ciel eût pu être retardée ? Faut-il pousser la configuration de Marie au Christ en faisant descendre l’âme de celle-ci aux enfers, où déjà les limbes des Pères n’existaient plus ? Et si l’entrée de l’âme de Marie dans la gloire du ciel ne fut pas retardée, comment éviter de se mettre en contradiction avec le dogme défini par Pie XII, en disant que l’âme de Marie fut, pendant un certain temps, dans la gloire du ciel sans son corps ?

29. C’est pour échapper à cette objection que Charles de Koninck, dans son livre La Piété du Fils , a mis au point une explication ingénieuse . Le dernier instant de la vie terrestre de Marie aurait coïncidé avec le premier instant de sa vie glorieuse, en sorte que sa mort eût coïncidé avec sa résurrection à la gloire et serait à proprement parler une « mort glorieuse ». Le défaut de cette explication est, aux yeux du Père Laurentin , d’imaginer une séparation de l’âme et du corps qui ne saurait avoir réellement lieu :« Ce va-et-vient, de la vie mortelle à la mort, et de la mort à la vie immortelle, tient-il bien dans l’instant ? A force de virtuosité, l’auteur le rend vraisemblable, mais cette vraisemblance laisse place à bien des objections. Bref, si séduisante soit-elle, cette conciliation des hypothèses mortaliste et immortaliste demeure instable. Dès lors qu’on pose la mort, il est pour le moins plus normal d’admettre une pluralité d’instants, et dès lors qu’on opte pour l’instantanéité de la glorification, on voit mal l’utilité de la mort ».L’intérêt de cette appréciation critique du Père Laurentin est qu’elle cite en note une remarque fort éclairante du Père Guérard des Lauriers, glissée au cours de conférences données au Saulchoir : l’hypothèse d’une glorification instantanée ne laisse pas place à la mort, même instantanée. Le cardinal Lépicier allait déjà dans ce sens . Mais, à notre humble avis, il n’est pas sûr que la rigueur d’un Père Laurentin ait permis ici à l’auteur du Court traité de théologie mariale d’apercevoir toute la subtilité de l’analogie développée par Charles De Koninck . La « mort » se dit-elle du départ de Marie et du nôtre dans un sens absolument univoque ? Telle est la question soulevée, avec toute la retenue que suggère l’humilité des vrais savants, par l’éminent professeur de l’Université canadienne.

30. Dans son Court traité de théologie mariale, le Père Laurentin donne un descriptif aussi neutre que possible de l’état de la question, avant de conclure :« De fait, tandis que toutes sortes de convenance conduisent de façon convergente et sans restriction au fait de la glorification corporelle anticipée de la très Sainte Vierge, les convenances en faveur de la mort sont à la fois moins nombreuses et contrariées par d’autres. Que conclure ? Observons la réserve de la Bulle Munificentissimus qui se garde de préciser si la glorification de Marie survint à l’instant même de la « fin de sa destinée terrestre » ou en passant par une séparation de l’âme et du corps et donc par une corruption. D’une part, la mort de Marie n’est pas une vérité de foi définie comme est sa glorification corporelle. D’autre part, il faut éviter de céder à un emballement pour la thèse immortaliste, séduisante mais trop fragile sur le terrain traditionnel, pour qu’on puisse y engager sa foi ni même une ferme opinion. S’il paraît peu probable que la mort soit jamais définie, il est certain que l’immortalité ne le sera jamais. Dieu a enveloppé de mystère la fin de sa très sainte Mère. Je doute que nous en levions ici-bas les voiles » .

31. Le plus raisonnable (même si l’on peut ne pas souscrire au jugement de Laurentin selon lequel « s’il paraît peu probable que la mort soit jamais définie, il est certain que l’immortalité ne le sera jamais ») est de rester dans le doute – et dans l’expectative, loin en tout cas des affirmations péremptoires et trop insuffisamment fondées en théologie positive.

Abbé Jean-Michel Gleize

Concernant les écrits apocryphes relatifs à la mort de Marie, on doit beaucoup à l’étude du Père Antoine Wenger, L’Assomption de la Très Sainte Vierge dans la tradition byzantine du sixième au dixième siècle. Etudes et documents, Institut Français d’Etudes Byzantines, 1955, dont le Père René Laurentin signale toute l’importance dans sa recension « Du nouveau sur l’Assomption » dans La Vie spirituelle, n° 409 d’août-septembre 1955 (t. XCIII), p. 181-185.
2 Martin Jugie, La Mort et l’Assomption de la Sainte Vierge. Etude historico-doctrinale, « Studi e testi », n° 114, Città del Vaticano, 1944, p. 5.Etienne (en religion Martin) Jugie (1878-1954), entré dans la congrégation des Assomptionnistes en 1895, fut ordonné prêtre en 1901. Il s'adonna aux recherches de théologie orientale et aux études byzantines. Benoît XV, qui fonda l'Institut oriental, lui confia la chaire de théologie orthodoxe dudit Institut en 1917. Le Père y enseigna jusqu'en juin 1923, tout en travaillant, sous la direction de Mgr Ratti (futur Pie XI), au fonds russe de la Bibliothèque vaticane. Lorsque la Constitution Deus scientiarum Dominus (1931) imposa la théologie orientale comme matière obligatoire au programme des Facultés de théologie, l'Athénée (aujourd'hui Université) du Latran et les Facultés catholiques de Lyon le prirent simultanément, en 1932, comme titulaire de leur nouvelle chaire. En 1935, le Père Jugie fut nommé consulteur de la Sacrée Congrégation pour l'Église orientale. En 1948, il échangea sa chaire lyonnaise, désormais confiée au Père Wenger, contre celle du Père Salaville à l'Athénée (aujourd'hui Université) de la Propagande à Rome, tout en continuant ses cours au Latran. L'année suivante, le Saint-Office l'accueillit parmi ses qualificateurs et Pie XII l'appela à faire partie de la commission théologique chargée d'élaborer la bulle Munificentissimus Dominus (1950). Son activité littéraire s'exerça pendant plus de cinquante ans ; elle produisit trente volumes et près de trois cents articles, principalement consacrés à la pensée religieuse de l'Orient chrétien. Le fruit de son enseignement à l'Institut oriental parut, entre les deux guerres, dans un monument dont il avait déjà tracé le plan en 1906 et qui est son chef-d’œuvre, Theologia dogmatica christianorum Orientalium ab Ecclesia catholica dissidentium, 5 vol., Paris, 1926-1936. Pour le grand public, il remania son gros article du Dictionnaire de théologie catholique sur Le schisme byzantin, Aperçu historique et doctrinal, Paris, 1941, et commit un traité d'apologétique, Où se trouve le christianisme intégral ? Essai de démonstration catholique, Paris, 1947. L’auteur de la notice de Catholicisme, Daniel Stiernon, remarque que « si la prodigieuse érudition du Père Jugie est admirée de tous, sa manière de traiter les divergences doctrinales entre l'Orient et l'Occident a souvent été jugée peu conforme aux règles de l'oecuménisme contemporain, hostile à une apologétique systématique » (Daniel Stiernon, « Jugie (Martin) » dans Catholicisme, hier aujourd’hui et demain, t. VI, Letouzey et Ané, 1966, col. 1192). Autant dire que le Père Jugie est un auteur particulièrement sûr, car indemne des erreurs qui sévissaient déjà dans la sainte Eglise avant le concile Vatican II.
3 Jugie, p. 56.
4 Sur le Père Merkelbach, voir l’article « Le Pape et la Sainte Vierge » dans le numéro de décembre 2019 du Courrier de Rome.
5 Jugie, p. 518.
6 Ainsi, en ce qui concerne les liturgies de sainte Anne et de saint Joachim, la source en est le Protévangile de saint Jacques. Cette source donne le détail des circonstances de la vie des parents de Marie (dont la fameuse rencontre à la Porte d’or) et ces détails ne peuvent faire l’objet que d’une tradition historique et humaine. En revanche, l’objet principal de la fête qui est la sainteté des parents de Marie, bénéficie de l’appui d’une Tradition patristique et théologique.
7Charles Journet, Esquisse du développement du dogme marial, Alsatia, 1954, p. 140-143.
8 Cf. sur ce point Jean-Vincent Bainvel, sj, De Magisterio vivo et traditione, 1905, p. 114-115 cité par Jugie, notes 2 et 3, p. 521.
9 Jugie, p. 522-523.
10René Laurentin, Court traité de théologie mariale, 4e édition, Lethiellieux, 1959, p. 123.
11René Laurentin, Court traité de théologie mariale, 4e édition, Lethiellieux, 1959, note 43, p. 123.
12 C’est par exemple l’opinion du Père Merkelbach, au n° 140 de sa Mariologie. « Dans l’abstrait », écrit-il, « sans doute l’assomption est autre que la mort et que la résurrection, car elle ne signifie rien d’autre que le déplacement de la Vierge glorieuse au ciel, avec l’intégrité de sa nature, et cela pourrait avoir lieu sans que la mort et la résurrection eussent précédé – et elle ne se rattache pas non plus nécessairement avec le fait que le corps n’ait pas connu la corruption dans le tombeau, laquelle aurait pu être évitée indépendamment de l’assomption. Mais dans le concret, telle qu’elle est énoncée par les Pères, les théologiens et la liturgie, l’assomption comporte les trois données suivantes : la mort antécédente ; la préservation de toute corruption, par une résurrection anticipée et un déplacement au ciel ; l’exaltation de Marie dans la gloire avec son Fils ».
13 Adolphe Tanquerey, Synopsis theologiae dogmaticae, 1929, t. II, p. 824-825.
14Jean-Julien Bellamy, « Assomption » dans le Dictionnaire de théologie catholique, t. I, deuxième partie, Letouzey et Ané, 1923, col 2128.
15 Emile Neubert, Marie dans le dogme catholique, 1933, p. 171, note 1.
16Ils sont énumérés et cités par Jugie, p. 514-516.
17 Jugie, p. 516-517.
18 René Laurentin, Court traité de théologie mariale, 4e édition, Lethiellieux, 1959, p. 121-122.
19Marie-Joseph Nicolas, op,Théotokos, le mystère de Marie, Desclée, 1965, p. 173-174.
20 Jean-Baptiste Franzelin, La Tradition, thèse XVII, 3e point, n° 360, Courrier de Rome 2008, p. 263.
21 Nicolas, p. 105, note 2.
22 C’est ainsi que le pseudo Modeste a tenté d’expliquer la mort de Marie dans son Homélie sur la Dormition (Migne grec, t. LXXXVI, col. 3308). Patronnée au Moyen-âge par le pseudo Albert le Grand, cette explication est devenue classique chez les prédicateurs et les théologiens de l’époque moderne. Ceux-ci expliquent la mort de Marie en disant que la charité peut tirer une âme vers son Dieu avec une telle violence que cette attraction finit par séparer l’âme de son corps et c’est ainsi que Marie aurait connu une mort d’amour. Cependant, saint François de Sales avait jugé suspecte cette explication et tenait pour une mort d’amour non pas violente, mais paisible. Il écrit dans son Traité de l’amour de Dieu, livre VIII, chapitre 14 : « Ah ! Non, Théotime, il ne faut pas mettre une impétuosité d’agitation en ce céleste amour du cœur maternel de la Vierge, car l’amour de soi-même est doux, gracieux et paisible ». Bossuet parle comme lui dans son premier Sermon sur l’Assomption. Dans ses Gloires de Marie, saint Alphonse de Liguori tient une explication analogue.
23 Jugie, p. 561-562.
24 Tel est l’avis du Père Nicolas que nous retranscrivons ici tel quel, sous réserve de débattre de cette question dans un autre contexte.
25 Marie-Joseph Nicolas, op,Théotokos, le mystère de Marie, Desclée, 1965, p. 173-174. Même chose dans le manuel Marie, Mère du Sauveur, collection « Le mystère chrétien », Desclée, 1966, thèse XII, B, p. 105.
26 Le Père Jugie fait état des autres arguments et les réfute, aux p. 562-569.
27En Orient comme en Occident, une tradition empruntée aux apocryphes mentionne une durée de trois jours. Une autre tradition empruntée aux révélations privées de sainte Brigitte tient pour une durée de quinze jours.
28 Charles De Koninck est l’auteur d’une de ces belles familles qui sont l’honneur du Canada. Il dédie l’ensemble de son livre à ses sept garçons et chacun des chapitres à l’une de ses six filles. Trait émouvant, le chapitre VI, sur le trépas de la Vierge, porte en exergue : « A la mémoire de ma fille Gabrielle ».
29 Charles De Koninck, « La mort glorieuse de la Très sainte Vierge », chapitre VI dans La Piété du Fils, 1954, Presses de l’Université de Laval, p. 97 et sq.
30 René Laurentin, « Du nouveau sur l’Assomption » dans La Vie spirituelle, n° 409 d’août-septembre 1955 (t. XCIII), p. 185-189.
31 Laurentin, ibidem, note 17.
32 Jugie, p. 577.
33Voir surtout le n° 26 de son étude citée, p. 122-124, sur les divers sens du mot « mort ».
34René Laurentin, Court traité de théologie mariale, 4e édition, Lethiellieux, 1959, p. 124-125.

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