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Une économie sacramentelle

Publié le 18/11/2024 sur internet
Publié dans le N°680 de la publication papier du Courrier de Rome

  • 1 –
    Les sacrements sont des signes
  1. La religion chrétienne, telle que l’a établie le propre Fils de Dieu, est une économie sacramentelle : cela signifie que le culte catholique, celui de la vraie Eglise, est un culte qui se réalise à travers les rites des sacrements, qui sont d’abord des signes sensibles de la grâce.

Que les sacrements soient des signes, ce n’est pas seulement une vérité d’ordre théologique, fût-elle avancée par l’unanité des saints docteurs, fût-elle même défendue par le plus illustre d’entre eux, le docteur commun de l’Eglise, saint Thomas d’Aquin. C’est, nous l’avons vérifié, une vérité imposée par le Magistère, puisque le concile de Trente l’affirme dans le Décret sur la sainte eucharistie.

Le même concile l’affirme encore lors de la session XII, du 17 septembre 1562, dans le Décret sur le saint sacrifice de la messe, lorsque le chapitre premier déclare que :

« Sous le symbole des espèces du pain et du vin, Notre Seigneur Jésus Christ donna aux apôtres son Corps et son Sang et Il institua ainsi le saint sacrifice de la Nouvelle Alliance, où lui-même doit être immolé par l’Eglise par le ministère des prêtres, sous des signes visibles. »

  1. Il est donc essentiel au sacrement d’être un signe, et c’est même là, au-delà de ces déclarations primordiales du Magistère, sa définition la plus exacte, théologiquement parlant.

Lorsque, dans la Somme théologique, après avoir terminé le traité du Verbe Incarné, saint Thomas d’Aquin aborde le traité des sacrements, il commence par indiquer, dans le Prologue à la question soixante de la Tertia pars, en quelle catégorie doit se situer l’objet de son étude et il le fait en donnant la précision suivante :

« Nous parlons maintenant des sacrements en tant qu’ils impliquent une relation de signification. »

Dom Vonier commente :

« Ne refusons donc jamais à un sacrement, fût-ce au plus excellent, cette propriété constitutive d’être une relation de signification. Parmi les théologiens catholiques qui ont traité des sacrements, le plus réaliste, le plus incontestablement orthodoxe, est aussi celui qui a affirmé avec intrépidité sa foi, je ne dis pas en la valeur symbolique des sacrements, mais en leur valeur de signes démonstratifs ou, si l’on préfère, de signes représentatifs. »

De fait, dans la question soixante de la Tertia pars, qui est consacrée à la recherche de la définition précise du « sacrement », le Docteur commun de l’Eglise commence, avec l’article 1, par établir que la réalité que nous désignons par le mot de « sacrement » se situe dans le genre d’un signe.

Nous devons prendre garde d’oublier que l’élément fondamental et premier d’une définition est toujours le genre auquel appartient la réalité définie.


  • 2 –
    L’efficacité à tout prix ?
  1. On s’y exposerait en voulant considérer dans le sacrement, d’une manière trop prioritaire pour ne pas en devenir exclusive, la réalité d’une cause efficiente. Le sacrement n’est pas une pure efficience. Il est un signe efficace.

Cela revient à dire que le sacrement cause à la manière d’une cause efficiente dans la mesure où il cause d’abord (selon une priorité logique ou de nature) à la manière d’un signe, c’est-à-dire selon une causalité formelle extrinsèque, en tant même qu’il est de nature à faire connaître ce qu’il va produire efficacement.

Les protestants, puis les modernistes, ayant réduit les sacrements à de purs signes ou de simples symboles dépourvus de toute valeur efficiente, les théologiens de l’époque postérieure au concile de Trente et ceux de la première moitié du vingtième siècle ont été conduits à insister sur la valeur efficiente des sacrements, au risque de négliger parfois sa valeur de signe.

  1. Remarquons aussi que, si les sacrements agissent d’abord comme signes, cela doit s’entendre selon toute l’intégralité du rite, en raison de l’institution divine.

Le Christ et les apôtres ont déjà déterminé suffisamment cette valeur signifiante, en donnant au rite sa toute première explicitation nécessaire et suffisante, explicitation qui correspond non seulement au rite essentiel (la forme et la matière) mais encore à une certaine partie de rite complémentaire, nécessaire absolument pour l’intégrité de la signification.

L’Eglise a pu par la suite donner du rite une meilleure explicitation requise non absolument (par l’essence du sacrement) mais en raison des circonstances et cette explicitation a consisté à ajouter au rite complémentaire ce qui était nécessaire relativement pour une meilleure intégrité de la signification.

L’efficacité du sacrement, qui dépend de sa valeur signifiante, dépend donc de l’ensemble de tout le rite, pas seulement du rite essentiel mais aussi du rite complémentaire.

3 – La vraie problématique de la réforme liturgique de Paul VI

5.

L’importance de cette valeur d’abord signifiante du rite sacramentel ne saurait être sous-estimée, dans le contexte de l’après Vatican II et de la nouvelle liturgie.

En effet, le rite qui est requis de manière nécessaire et suffisante pour donner l’intention requise à la validité d’un sacrement doit s’entendre formellement comme un rite où la valeur efficiente des paroles de la forme dépend nécessairement de leur valeur signifiante, et où, quant à celle-ci, ces paroles de la forme sont en dépendance de tout le reste du rite.

Toute la différence entre ce que l’on désigne comme la « forme » des sacrements et toute autre formule efficace (déprécative, impérative ou même… magique) se trouve ici.

6.

Ainsi s’explique la diversité des difficultés et des réponses sur le point précis de la validité des sacrements. Car la raison de signe s’y réalise différemment.

Pour le baptême, la signification du rite est suffisamment explicitée par les paroles de la forme et le rite complémentaire n’y ajoute rien d’absolument nécessaire ; par conséquent, la validité est assurée par les seules paroles :

« Ego te baptizo etc. »

quel que soit le contexte – à moins que celui-ci contredise formellement la signification de ces paroles, hypothèse que l’on a de la peine à imaginer.

En revanche, pour l’eucharistie, les seules paroles de la consécration ne donnent pas une explicitation suffisante de ce que le rite doit signifier, à tel point qu’une part importante du rite complémentaire (notamment l’offertoire) est absolument nécessaire à cette signification.

C’est pourquoi la suppression de l’offertoire est si grave dans le Novus ordo de Paul VI.

On ne saurait donc arguer de la présence toute littérale de ces paroles de la consécration, même demeurées intègres, pour sauvegarder leur efficacité.

Car celle-ci dépend de leur signification, qui a besoin des autres paroles du rite pour être suffisamment explicitée.

Vouloir se contenter de la teneur littérale des seules paroles de la consécration, et prétendre qu’elles suffisent à assurer l’efficacité et donc la validité du sacrement, nonobstant les déficiences constatables dans tout le reste du rite, ce serait réduire les paroles de la forme du sacrement de l’eucharistie à celle d’une formule purement efficiente, déprécative ou impérative.

Il ne suffit donc pas de vérifier la présence des paroles de la consécration dans le nouveau rite du Missel de Paul VI pour en conclure que ce rite sera toujours valide par lui-même.

Dans une note dont Mgr Lefebvre a souligné toute l’importance, le Bref examen critique du Novus Ordo Missae présenté au Pape Paul VI par les cardinaux Ottaviani et Bacci, résume en ces termes cette problématique :

« La portée des paroles de la consécration telles qu’elles figurent dans le Novus ordo y est conditionnée par TOUT LE CONTEXTE. Ces paroles peuvent assurer la validité en raison de l’intention du ministre, mais elles ne le font pas ex vi verborum ou plus exactement en vertu du modus significandi qui leur est associé dans le Canon de saint Pie V. Il se peut donc que ces paroles n’assurent pas la validité de la consécration. »

Autrement dit : les paroles de la consécration telles qu’elles figurent dans le Novus Ordo Missae agissent comme causes efficientes dans la mesure où elles signifient et, dans le Novus Ordo Missae, elles ne signifient pas de la même manière que dans la messe de toujours.

Pourquoi ?

Parce que cette signification, requise à l’efficacité, est conditionnée par celle de l’ensemble de tout le rite (tout le contexte).

7.

Dans la lettre préface qu’ils rédigèrent pour présenter le Bref Examen critique au Pape Paul VI, les cardinaux Ottaviani et Bacci mettent le doigt sur le vice fondamental de ce nouveau rite, en disant que celui-ci

« s’éloigne […] de la théologie catholique de la sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXe session du Concile de Trente ».

L’idée de l’éloignement rend exactement compte de la manière dont un nouveau rite tel que celui de Paul VI peut contredire le rite catholique de la sainte messe :

  • en estompant sa valeur significative,
  • en réduisant les expressions du rite (paroles et gestes) fixées par saint Pie V et le concile de Trente,
  • et par lesquelles l’Église enseignante avait pris soin d’élever « une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l’intégrité du Mystère ».

Cette barrière est désormais tombée avec le nouveau rite de Paul VI, dont la valeur significative et donc proprement sacramentelle s’en trouve gravement altérée.

Dans le journal La Croix du 30 avril 1969, le ministre protestant Max Thurian a déclaré qu’un des résultats de la réforme liturgique de Paul VI

« sera peut-être que des communautés non-catholiques pourront célébrer la Cène du Seigneur en utilisant les mêmes prières que l’Église catholique ».

Pourquoi, sinon parce que le nouveau rite réformé est devenu ambigu, en tant même que rite sacramentel, c’est-à-dire en tant que signe ?


4 – La réaction de la Fraternité Saint Pie X

8.

Notre évaluation du Novus ordo Missae reprend les bases du Bref examen critique présenté au Pape Paul VI par les cardinaux Ottaviani et Bacci.

Nous constatons que le nouveau rite de Paul VI est gravement déficient en tant même que rite, c’est-à-dire dans sa valeur de signe.

Cette défaillance grave sur le plan proprement sacramentel, qui est celui de la définition radicale de la Messe, interdit de regarder ce nouveau rite comme légitime dans la mesure où il porte d’abord atteinte à la Profession de la foi catholique, telle qu’elle est nécessairement requise au culte.

Cette déficience du nouveau rite, sur le plan du signe, rend aussi problématique son efficacité, pour les raisons déjà signalées plus haut.

Mgr Lefebvre n’a pas hésité à dire qu’en raison de ces déficiences, ce nouveau rite pouvait :

« favoriser l’hérésie ».

9.

Tout cela s’explique pour une raison à la fois très simple et fondamentale, la raison qui est à la base de toute la théologie sacramentaire :

le sacrement se définit d’abord et avant tout, selon son genre, comme un signe.

« Jamais saint Thomas », remarque Dom Vonier, « n’a abandonné le droit chemin d’une pensée strictement sacramentelle, au cours de toutes ses considérations aimantes sur le mystère de l’Eucharistie. Cela reste vrai même quand il considère l’Eucharistie exclusivement sous l’angle du sacrifice rituel. Parce que, une fois pour toutes, il a saisi ce fait profond que l’Eucharistie est un vrai sacrement, il ne lâche jamais cette idée et il réussit à nous donner une théologie de l’Eucharistie qui est un chef-d’œuvre de pensée harmonieuse ».*

Et de conclure enfin :

« Restreindre les explications du mystère eucharistique à des notions sacramentelles, est un moyen de fixer des bornes à l’imagination et, osons le dire, aux exagérations de la piété. »

Et c’est aussi le moyen de bien saisir la nature des problèmes graves posés à la conscience des catholiques par la réforme du Novus Ordo Missae de Paul VI.

Abbé Jean-Michel Gleize