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Trop jeune pour commettre un péché mortel ?

Publié le 23/03/2024 sur internet
Publié dans le N°673 de la publication papier du Courrier de Rome

Il n’est pas rare d’entendre des éducateurs porter ce jugement :

« Cet enfant commet certainement de nombreux péchés véniels, mais il est trop jeune pour commettre le moindre péché mortel ».

Effectivement, à l’âge de sept ou huit ans, l’enfant est inapte à cambrioler une banque, commettre un adultère ou assassiner son pire ennemi ; et on l’imagine mal blasphémer, apostasier ou tomber dans l’impureté.

En revanche, ses manquements à la charité, à l’obéissance ou à la patience sont nombreux. Suffisamment mûr pour distinguer le bien du mal moral, mais trop jeune pour pécher gravement, il ne semble capable que de fautes vénielles.

Pourtant, tel n’est pas l’enseignement de saint Thomas d’Aquin. Pour le Docteur angélique, seul celui qui est apte à commettre un péché mortel est apte à en commettre un véniel.

Saint Thomas ne dit pas, évidemment, qu’il faut avoir commis un péché grave pour pécher véniellement, ni que tout péché véniel est nécessairement précédé d’un péché mortel. Il dit simplement que si un enfant est trop jeune pour pécher gravement, alors il est aussi trop jeune pour pécher légèrement.

Pourquoi ?

D’abord, il est clair que le tout petit enfant, celui qui n’a aucun usage de la raison, est incapable de discerner le bien moral du mal moral, et donc de commettre le moindre péché, même véniel.

Vers l’âge de sept ans, et parfois bien plus tôt chez les enfants précoces, la raison parvient à distinguer le bien du mal, et à comprendre qu’il faut faire le bien et éviter le mal. Alors le péché, tant véniel que mortel, devient possible.

1. Ce qu’est un péché véniel

Il faut comprendre que le vrai péché est le péché mortel. Lui seul répond à la définition du péché, qui consiste à se détourner de Dieu.

Le péché véniel ne détourne pas de Dieu. Il n’est péché que dans un sens large. Il consiste dans un désordre par rapport aux moyens pour atteindre Dieu. Il n’est pas un désordre par rapport à la fin ultime qui est Dieu.

Or, il ne peut y avoir un désordre de moyens que par rapport à une fin. En effet, le moyen se définit par rapport à la fin. Si l’on ne perçoit pas la fin, on ne perçoit pas les moyens.

La fin est désirée avant les moyens choisis pour l’atteindre. Elle est première dans l’intention, bien que dernière dans l’exécution.

Un enfant qui est trop jeune pour faire un péché mortel est trop jeune pour s’orienter vers sa fin ou s’en détourner. Un désordre par rapport aux moyens n’est donc pas encore possible chez lui.

Le péché en matière légère ne peut se trouver conscient que chez celui qui peut dire :

« Ceci n’est pas grave ».

Mais une telle maturité de jugement suppose l’aptitude au péché grave.

Une autre considération va éclairer ce raisonnement. D’après saint Thomas, seuls les êtres humains peuvent pécher véniellement. Les anges ne le peuvent pas. Pourquoi ?

Parce que l’ange voit les moyens dans la fin. Il ne peut donc pas y avoir chez l’ange de désordre au niveau des moyens sans que le désordre ne touche aussi la fin.

Cela vient de ce que la connaissance angélique n’est pas discursive, mais intuitive, contrairement à la connaissance humaine. L’ange ne raisonne pas. Il voit d’un seul regard les conclusions dans les principes.

On pourrait objecter qu’un tel enseignement méconnaît la psychologie enfantine. L’enfant serait incapable de commettre le moindre péché jusqu’au jour où, soudainement, sans transition, il serait capable de commettre un péché mortel et donc de se damner.

Voilà qui serait bien étrange !

Il faut répondre qu’il existe nécessairement un moment à partir duquel l’enfant discerne le bien du mal et ainsi peut pécher. C’est le début de la vie morale et le terme d’une longue évolution psychologique.

2. Les conditions requises au péché mortel

On pourrait encore objecter que, d’après le catéchisme, trois conditions doivent être réunies pour qu’un péché soit mortel :

  • matière grave,
  • pleine advertance dans l’intelligence,
  • plein consentement dans la volonté.

Saint Thomas dit en effet qu’un acte mauvais qui n’est pas pleinement humain ne peut pas être mortel.

Un péché en soi mortel mais à qui il manque la raison délibérée devient véniel.

Or, à sept ans, quel enfant jouit d’une pleine advertance concernant la grave malice de l’acte qu’il va poser ?

Est-il parfaitement conscient que son comportement va le détourner de sa fin ultime ?

Il faut répondre que la pleine advertance requise pour le péché mortel n’est pas une advertance parfaite.

Tous les moralistes admettent qu’une advertance confuse suffit au péché grave. Il n’est pas requis de comprendre la nature exacte du péché grave, ni les motifs qui rendent grave un tel péché, ni de saisir parfaitement la malice d’un tel acte, encore moins de mépriser explicitement la loi divine.

Par exemple, une personne sent confusément que tel acte est très probablement grave, et le commet volontairement malgré ce risque.

Il y a pleine advertance et plein consentement.

3. Le péché grave, un acte rarissime ?

Plusieurs modernistes estiment que les êtres humains ne commettent que très rarement des péchés mortels. Par exemple, le chanoine allemand Bour affirme :

« On a abusé de la notion de péché mortel ; on a fait de bagatelles des péchés mortels. Le péché mortel n’est pas le cas normal. À la question de la fréquence du péché mortel, un théologien bien connu a répondu qu’il s’en commettait peut-être un par jour à Paris et un de temps en temps dans notre diocèse. »

L’abbé Marc Oraison arrive à une conclusion similaire. Voici son raisonnement :

Le péché mortel implique qu’on se détourne lucidement de la fin dernière, saint Thomas lui-même l’enseigne. En dehors de là, il y a bien péché objectivement mortel, les classifications de la morale traditionnelle sont justes, mais ce péché n’est que matériellement commis.

Le péché formel est chose très rare. Naturellement, chacun peut en faire, même un malade, mais il faut qu’il l’ait vraiment voulu, choisi, en délibérant sur sa fin dernière, ce qui n’arrive presque jamais.

Le Père Labourdette répond avec justesse que l’objectant confond le péché formel et le péché de malice. Celui-ci, commis en pleine lucidité d’esprit et par choix, est rare en effet.

Mais il y a des péchés, soit d’ignorance, soit de passion, qui sont très suffisamment formellement commis pour être subjectivement mortels. Rien n’exige que la fin dernière soit explicitement révoquée.

Il suffit, pour que le péché soit mortel, que la fin dernière soit implicitement révoquée, ce qui est le cas quand le pécheur accepte, dans des conditions suffisantes de volontaire, un acte qu’il sait ou qu’il devrait savoir incompatible avec la fin dernière.

Il est vrai que le péché de passion, appelé aussi péché de faiblesse, est moins grave que le péché de malice. Mais saint Thomas dit bien que le péché de passion peut être mortel.

Par exemple, pendant la nuit du jeudi au vendredi saint, saint Pierre a renié son divin Maître par trois fois. Sans aucun mépris du Christ, par peur, il a été faible et a péché gravement.

Pendant la troisième session du concile Vatican II, la nouvelle conception de la morale fut présentée le 27 octobre 1964 par le patriarche Maximos IV Saigh, affirmant que le Moyen-Âge, qui était comme la période d’enfance de l’humanité, était à présent terminé, et que le monde entrait désormais dans une époque de maturité :

« Cet état d’âme de la société d’aujourd’hui ne réclame-t-il pas une révision de la présentation de l’enseignement de la morale ? L’enseignement actuel est trop marqué par le légalisme d’une époque révolue et tout imprégnée de droit romain.

Or, notre morale chrétienne doit avoir un caractère christocentrique, avec une expression d’amour et de liberté. Elle doit éduquer en chacun le sens de la responsabilité personnelle et communautaire.

En conséquence, une révision profonde de plusieurs de nos disciplines, changeantes d’ailleurs de par leur nature, s’impose obligatoirement.

Bien des choses du bon vieux temps, acceptées par nos aïeux simples et pieux, ne le sont plus aujourd’hui. Citons, pour exemple, la présentation faite dans nos catéchismes des commandements de l’Église.

D’après nos catéchismes, manquer sans motif une fois la messe du dimanche, ou manger du foie gras le vendredi, constitue un péché mortel, encourant par conséquent la damnation éternelle.

Est-ce raisonnable ? De nos jours, combien de catholiques adultes le croient encore ? »


4. Le nombre de péchés mortels commis dans le monde

Ces opinions modernistes nous conduisent à nous demander : le péché mortel est-il rarement commis ?

D’un côté, nous constatons que les hommes de notre époque désobéissent souvent à la loi divine en matière grave. Certains actes objectivement graves sont aisément constatables : avortement, vol, adultère, polygamie, etc.

Néanmoins, de l’autre côté, la théologie morale enseigne qu’il existe des circonstances excusantes ou au moins atténuantes comme l’ignorance, l’inadvertance, la passion, etc.

Par conséquent, il peut arriver qu’un péché objectivement grave soit subjectivement véniel du fait de l’imperfection du consentement.

Finalement, les situations concrètes de chaque individu sont si diverses et si mystérieuses qu’il serait imprudent de vouloir répondre précisément à la question.

Quant à essayer de donner des chiffres, c’est vraiment téméraire. Seul Dieu connaît les secrets des cœurs.

Prétendre que les péchés mortels sont très fréquents aujourd’hui et qu’on en commet très facilement, c’est une affirmation qui n’est pas dénuée de probabilité, mais qui pourrait faire tomber dans le désespoir.

À l’inverse, prétendre que le péché mortel est rare peut entraîner la présomption et diminuer la crainte salutaire.

La prudence exige donc de s’incliner devant le mystère divin et de conserver à la fois la crainte et l’espérance. Ne cherchons pas à scruter ce qui nous dépasse.

Saint Augustin écrit avec sagesse :

« Quant à déterminer ce qui est péché léger ou péché mortel, ce n’est pas d’après le jugement de l’homme mais d’après celui de Dieu qu’il faut peser la chose. »

Et saint Thomas d’ajouter :

« Il est périlleux de déterminer si un acte est péché mortel ou non, sauf si la vérité est évidente. »


5. La réception de la sainte Eucharistie

L’enseignement de saint Thomas sur le premier acte moral, si contraire au modernisme, est conforme à une célèbre mesure disciplinaire de saint Pie X.

Ce grand pape a permis aux enfants de communier dès l’âge de discrétion, c’est-à-dire quand l’enfant est capable de distinguer le pain eucharistique du pain ordinaire.

Or, saint Pie X précise que cet âge est aussi celui de la première confession, quand l’enfant est capable de distinguer le bien du mal.

Et le pape de citer saint Antonin :

« Lorsque l’enfant est capable de malice, c’est-à-dire capable de pécher mortellement, alors il est obligé par le précepte de la confession, et par conséquent par le précepte de la communion. »

Saint Pie X admet donc qu’un enfant de six ou sept ans puisse pécher gravement.

C’est justement la raison qu’il invoque pour montrer, contre les jansénistes, la nécessité de ne pas retarder la première communion : l’enfant a besoin de la force que procure la sainte Eucharistie pour résister aux tentations et ne pas perdre l’innocence baptismale.

On raconte dans la vie de saint Pie X qu’un jour de l’année 1912, une mère fut admise à l’audience privée du Saint-Père. Elle présenta au pape son fils âgé de quatre ans.

Saint Pie X interrogea l’enfant sur son âge puis posa la question :
« Qui reçoit-on dans la sainte communion ? »
« Jésus-Christ ! » fut l’immédiate réponse.
« Et qui est Jésus-Christ ? » demanda le pape.
« Jésus-Christ est Dieu », répondit l’enfant.

« Amenez-le-moi demain, dit le pape à sa mère. Je lui donnerai moi-même la sainte communion ».

Il faut tenir le même raisonnement pour les personnes handicapées mentales. Ou bien elles parviennent à user suffisamment de leur raison pour distinguer le bien du mal, et alors elles peuvent poser un acte vertueux et méritoire, mais aussi pécher, tant véniellement que gravement.

Ou bien elles n’en sont pas capables, et alors elles ne peuvent pas commettre le moindre péché. Dans le premier cas, elles peuvent et donc doivent se confesser et communier. Dans le second, elles en sont inaptes.

6. Exemples concrets

La réalité vient confirmer cet enseignement.

Par exemple, le Martyrologe romain, à la date du 13 août, montre que la haine peut hélas remplir même le cœur des enfants :

« À Imola, la fête de saint Cassien martyr. Comme il avait refusé d’adorer les idoles, le persécuteur le livra à des enfants, auxquels il était devenu odieux comme leur instituteur, et il leur donna la permission de le faire mourir.
Ce martyre lui fut d’autant plus douloureux, que leurs coups, portés par des mains trop faibles, ne pouvant lui ôter la vie, ne faisaient que retarder sa mort. »

Saint Grégoire le Grand, dans ses Dialogues (l. 4 ch. 18), raconte une autre histoire qui eut lieu à Rome au VIe siècle.

Certains ont pensé qu’il s’agissait d’une pieuse légende, mais saint Thomas d’Aquin estime que l’histoire est vraie.

Un garçon âgé de cinq ans était très mal élevé par ses parents qui cédaient à tous ses caprices et lui montraient le mauvais exemple. Malgré son jeune âge, cet enfant avait pris la funeste habitude de blasphémer la majesté de Dieu.

Il fut atteint par la peste et prononça un dernier blasphème juste avant de rendre son âme à Dieu. Saisi par les démons, il fut précipité en enfer.

Saint Grégoire commente :

« Tous les bébés baptisés, morts en bas âge, entrent dans le royaume des cieux.
Mais il n’en va pas de même pour les petits qui peuvent déjà parler.
Leurs parents leur ferment la porte du ciel quand ils les éduquent mal. »

À l’inverse, plusieurs saints ont fait preuve d’une charité héroïque dès le plus jeune âge.

On le voit par exemple chez la petite Anne de Guigné. Âgée de quatre ans et deux mois, elle perd son père et constate la douleur de sa mère.

Alors, cette petite fille colérique, violente et autoritaire va soudain, sous l’influence de la grâce, devenir douce, charitable et généreuse. Elle mourra à l’âge de onze ans et demi, en 1922, en odeur de sainteté.

Quant à sainte Rose de Lima, ses biographes rapportent qu’elle n’avait que cinq ans lorsqu’elle fit vœu de virginité et commença à mortifier son corps d’une façon effrayante par amour pour son divin Époux.

On lit aussi dans le Martyrologe romain au 24 octobre :

« Dans la cité de Nagran, au pays des Homérites, en Arabie, la passion de saint Arétas, et de ses trois cent quarante compagnons, au temps de l’empereur Justin, sous un tyran juif nommé Dunaan.
Après eux, on livra aux flammes une femme chrétienne dont le fils, âgé de cinq ans, qui en bégayant confessait le Christ, et qu’on ne pouvait retenir ni par caresses ni par menaces, se précipita de lui-même dans le brasier où sa mère était consumée. »

Céline Martin rapporte au sujet de sa petite sœur, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus :

« Sur son lit de mort, elle nous disait : “Depuis l’âge de trois ans, je n’ai jamais rien refusé au bon Dieu.” »

Une telle réflexion fait penser à celle du petit Guy de Fontgalland, âgé de huit ans :

« Le plus joli mot à dire au bon Dieu, c’est oui !… Si la sainte Vierge ne l’avait pas dit à l’ange de l’Annonciation, où en serait le monde ? »

Ce même enfant, le jour de sa première communion, âgé de sept ans et demi, pria ainsi :

« Ô mon cher petit Jésus, que je vous aime… je vous aime plus que tout !
Tenez, pour vous le prouver, je quitterai tout pour vous… je serai votre prêtre ! »

L’enfant mourra d’une maladie en 1925, âgé d’onze ans et demi, en offrant ses souffrances à Dieu avec une charité admirable.

Puisqu’un enfant si jeune est capable d’aimer Dieu avec une telle générosité, pourquoi lui dénier la redoutable et tragique possibilité de refuser Dieu ?

Si une intelligence et une volonté sont suffisamment développées pour pouvoir connaître Dieu et se tourner librement vers lui, elles sont aussi suffisamment développées pour se détourner de lui.

D’autant plus que les blessures du péché originel, et spécialement la malice de la volonté, n’attendent pas l’âge adulte pour se manifester.

7. Analogie avec les fiançailles ?

Au Moyen Âge a existé une théorie qui identifiait la capacité de pécher mortellement avec celle de contracter mariage.

En d’autres termes, celui qui est immature pour se marier serait incapable de commettre un péché grave. Cette thèse n’a pas été retenue par les théologiens sérieux.

Une autre théorie affirmait que la capacité de jugement exigée pour pouvoir commettre un péché grave correspondait à la capacité de jugement requise pour contracter des fiançailles.

À une époque où l’on pouvait se fiancer dès l’âge de sept ans, cette affirmation paraît plus raisonnable que la théorie précédente.

Néanmoins, saint Thomas l’a rejetée. Voici son argumentation :

« Pour qu’il y ait péché mortel, il suffit que l’on consente à un acte immédiat.
Mais, en contractant fiançailles, on acquiesce à un acte futur.
Or, pour prévoir l’avenir, il faut avoir une plus grande dose de jugement que pour consentir à une démarche présente.
L’homme peut donc pécher mortellement avant qu’il ne soit capable de prendre des engagements pour l’avenir. »

La capacité de commettre un péché grave ne requiert donc pas une maturité de jugement très développée.

12. Les conséquences de ce premier acte

Que l’enjeu de ce premier acte soit immense, c’est ce qui apparaît par ses conséquences. Celui qui se détourne de Dieu au début de sa vie morale se constitue lui-même fin ultime de sa vie, et son péché grave risque fort d’être le premier d’une longue série.

À l’inverse, celui qui se soumet à Dieu et le choisit de tout son cœur pose un acte de charité qui exercera un influx actuel ou au moins virtuel sur tous les actes bons postérieurs, les rendant ainsi méritoires et surnaturels.

Les propos de saint Thomas sont consolants :

« Chez l’homme en état de grâce, tout acte bon est méritoire, parce que la charité impère [c’est-à-dire commande] tous ses actes vertueux. Ainsi manger avec tempérance, jouer en récréation avec eutrapélie [vertu qui règle la pratique de la détente et du jeu], sont des actes méritoires chez celui qui a la charité. »

Par conséquent, si un enfant de huit ou neuf ans n’est pas baptisé, ou bien il est en état de grâce par le baptême de désir, ou bien il est en état de péché mortel.

Une troisième possibilité, celle d’une âme souillée par le péché originel auquel s’ajouteraient seulement des péchés véniels, est impossible. Du reste, si cette possibilité existait, et si cet enfant mourait, on ne voit pas où irait son âme pour recevoir sa rétribution.

Ni au paradis, à cause du péché originel ; ni en enfer, parce qu’il n’a pas commis de péché mortel ; ni aux limbes, réservées à ceux qui n’ont commis aucun péché personnel.


13. Illustrations

Concrètement, imaginons deux situations.

La première est celle d’une mère de famille qui, avec bonne intention, fausse la conscience de ses enfants en exagérant la gravité des péchés, pour les en détourner plus efficacement :

« Mes enfants, ne mentez pas, c’est un péché très grave qui offense beaucoup le bon Dieu ! »

L’un de ses enfants, au début de sa vie morale, tenté par un petit mensonge, tombera peut-être dans cette faute objectivement vénielle mais subjectivement mortelle, et il perdra ainsi la grâce sanctifiante. D’où l’importance de bien former la conscience des enfants.

La deuxième situation est celle d’un enfant qui, au début de sa vie morale, est tenté par une faute légère qu’il sait légère, par exemple un péché de gourmandise.

Sans comprendre exactement cette distinction entre péché mortel et péché véniel, il sait que certains péchés sont plus graves que d’autres, et que la gourmandise n’est pas grave.

Face à la tentation, sous la motion d’une grâce actuelle, il pose un acte d’amour de Dieu en s’estimant prêt à tout plutôt que d’offenser gravement Jésus. Voilà son premier acte moral.

Dans un deuxième temps, il succombe et mange la friandise, en se disant, au moins confusément et implicitement :

« Je ne le ferais pas si c’était un péché grave. »

Il pèche ainsi véniellement.


14. L’espèce morale de ce péché

Il reste à se demander quelle est la nature de ce premier péché mortel qui détourne l’âme de sa fin. Le cardinal Journet estime qu’il s’agit d’un péché d’infidélité :

« On ne peut refuser la première invitation divine sans pécher contre la foi. »

Pourtant, saint Thomas enseigne que seule l’infidélité positive, qui inclut le refus de la vérité révélée, est un péché. L’infidélité négative, qui peut exister chez ceux qui n’ont jamais entendu parler de la foi, n’est pas un péché.

Il semble donc préférable de dire, avec Labourdette, que ce premier péché mortel éventuel n’est pas nécessairement un péché contre la foi. Ce péché est directement spécifié par la matière particulière de ce premier acte : désobéissance, vol, gourmandise, etc.


15. Une source d’inquiétude ?

Certaines âmes délicates pourraient, à la lecture de cet enseignement, sombrer dans le scrupule ou l’angoisse : n’ai-je pas commis un péché mortel quand j’avais sept ans ?

Le concile de Trente nous rassure :

« Il n’est rien exigé d’autre de la part des pénitents que, après s’être sérieusement examinés et après avoir exploré les replis et les coins secrets de la conscience, de confesser les péchés par lesquels on se souvient avoir mortellement offensé son Seigneur et Dieu. »

L’absolution sacramentelle efface tous les péchés, y compris ceux qui auraient été oubliés.


Conclusion

Dès que nous sommes aptes à poser un acte vraiment humain, Dieu nous donne une grâce suffisante pour que nous nous tournions vers lui.

« C’est lui qui nous a aimés le premier. » (Saint Jean)

Notre-Seigneur nous avertit :

« Si vous ne devenez comme des petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux. »

Abbé Bernard de Lacoste