UNE ÉGLISE INSPIRÉE ?



Publié le 18/11/2024 sur internet
Publié dans le N°680 de la publication papier du Courrier de Rome



1. Le texte que l'assemblée synodale a voté, ce samedi 26 octobre, a été promulgué, tel quel, par le Pape François, sans correction de sa part. Il devient instantanément le texte de référence de ce synode. Lors de son discours de clôture, le Souverain Pontife a déclaré qu’il n’avait pas « l’intention de publier une Exhortation apostolique » et qu’il voulait « reconnaître ainsi la valeur du chemin synodal accompli » . Dans le journal Le Figaro du 27 octobre, Jean-Marie Guénois, observateur toujours averti, commente : « En renonçant à écrire sa propre synthèse post-synodale, François veut donner l'exemple de mise en pratique d'une Église plus démocratique au rebours de la centralisation et d'un fonctionnement hiérarchique pyramidal » .

2. La grande prévarication, poursuivie depuis le concile Vatican II, à travers la mise en œuvre toujours plus poussée de la nouvelle ecclésiologie de Lumen gentium est là, fondamentalement, mais encore convient-il d’en saisir toute la gravité. Celle-ci doit se mesurer à l’aune du principe de l’ecclésiologie traditionnelle auquel elle s’oppose. L’Eglise est une société par essence inégale, où l’on doit distinguer entre les pasteurs et les brebis, entre les docteurs qui enseignent et les fidèles qui sont enseignés. Il était d’usage, jusqu’ici, de distinguer entre une Eglise enseignante et une Eglise enseignée. L’Eglise synodale de François, où le synode se veut l’organe du sensus fidei du Peuple de Dieu, représente la négation pratique de cette distinction. L’Eglise synodale, l’Eglise de l’écoute, est désormais une Eglise tout entière inspirée par l’Esprit, où les membres de la hiérarchie n’ont plus pour tâche que de formuler ce que « l’Esprit dit aux églises »

3. Il serait tentant de retourner contre cette nouvelle ecclésiologie le principe sur lequel elle prétend s’appuyer. La résistance des catholiques de Tradition, à l’encontre des nouveautés du Concile, ne serait-elle pas, elle aussi, l’expression de ce sensus fidei, expression d’une inspiration surnaturelle, guidant les brebis au milieu de la forfaiture de leurs pasteurs ? Saint Hilaire n’est-il pas d’ailleurs l’auteur de ce mot célèbre, qui viendrait confirmer une pareille réinterprétation : « Les oreilles du peuple sont plus saintes que les cœurs des prêtres » ? Force est cependant de constater que, si l’on admet, même au bénéfice de la Tradition, ce principe du sensus fidei, principe d’une inspiration immédiate de l’Esprit dans le cœur des croyants, il devient bien difficile d’échapper à la confusion. Comment décider, en effet, de l’authenticité de l’inspiration, et discerner entre le sensus fidei des traditionnalistes et celui des modernistes ? Le recours au critère négatif énoncé par saint Paul dans l’Epître aux Galates, (I, 8) sera vain, dans la mesure où son interprétation exacte reste par hypothèse elle aussi tributaire de l’inspiration posée en principe. Quelle autre instance que celle du synode serait dès lors en mesure de discerner l’expression authentique de la conscience ecclésiale ?

4. « Il serait parfaitement absurde » déclare le cardinal Jean-Baptiste Franzelin, pour expliquer convenablement la citation de saint Hilaire , « de penser que le peuple soit établi juge des prêtres. Car l’ordre est exactement inverse et les cœurs des prêtres, la conscience de leur foi et l’intelligence catholique des pasteurs demeurant dans l’unité de l’Eglise sont la cause ministérielle et l’organe grâce auquel l’Esprit de vérité modèle les saintes oreilles du peuple, en formant le sens et l’intelligence catholique de ceux auxquels il revient d’écouter, d’apprendre et de rendre l’obéissance de la foi ». Le fameux sensus fidei de Vatican II est un principe faux, dépourvu de tout enracinement solide dans la Tradition de l’Eglise. Les Pères et les théologiens n’emploient d’ailleurs jamais une pareille expression, mais parlent plutôt d’un « sens catholique » ou plus exactement d’une « obéissance de la foi » en référence à ce que dit saint Paul dans son Epître aux Romains, chapitre I, verset 5.

5. La résistance de la Tradition aux erreurs de la nouvelle ecclésiologie, comme à toutes celles du concile Vatican II, s’explique fondamentalement parce que ce fut précisément la résistance d’une Eglise enseignée, résistance d’une Eglise telle que déjà enseignée pour avoir reçu de ses pasteurs l’inaltérable doctrine de la foi, la doctrine catholique divinement révélée. Nul sensus fidei, au sens d’une inspiration directe du Saint Esprit, ne saura jamais rendre compte, à lui seul, de cette résistance, indépendamment de cette prédication de l’Eglise enseignante. Tant il est vrai que l’Eglise reste toujours ce qu’elle est, même en temps de crise, même dans la période de l’après Vatican II : une société par essence inégale, où l’Eglise enseignée réagit toujours dans la dépendance de la prédication de l’Eglise enseignante. Tel est le sens authentique du critère énoncé par saint Paul, dans l’Epître aux Galates : « praeterquam quod evangelizavimus vobis ». L’Eglise enseignée doit considérer comme anathème une doctrine opposée à celle qui lui a déjà été enseignée. Les fidèles qui, dans les années immédiates de l’après concile, réagirent les tout premiers en désertant leurs paroisses où ils entendaient prê¬cher un autre évan¬gile, pour rejoindre les prêtres demeurés fidèles, restent encore aujourd’hui, avec le recul du temps, l’exemple emblématique de cette « obéissance de la foi », qui caractérise comme telle l’Eglise enseignée, l’Eglise déjà orientée dans sa foi par la prédication de ses pasteurs.

6. L’histoire en fera un jour justice, en reconnaissant dans cette attitude l’expression de la plus pure obéissance du petit troupeau demeuré fidèle, dans l’exacte conformité au dessein voulu par Dieu pour son Eglise. Et l’Eglise synodale de François, l’Eglise du sensus fidei de Vatican II apparaîtra elle aussi pour ce qu’elle est : l’expression obstinée de cette protestantisation, dont le récent synode se voudrait une nouvelle accélération.

Abbé Jean-Michel Gleize

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