LA FRATERNITÉ SAINT PIE X : AU FEU ROULANT DE SIX OBJECTIONS
Publié dans le N°679 de la publication papier du Courrier de Rome
1. Néanmoins soucieux de justifier son théorème, Monsieur l’abbé Vernier voudrait s’appuyer sur six exemples, six faits, qui seraient, à ses yeux, « en eux-mêmes plus démonstratifs que tout argument ».
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L’obéissance au Pape
2. Premièrement, « la FSSPX ne se soumet de manière habituelle en rien à l’autorité du Pape et des évêques unis à lui ». Les distinctions que nous avons faites entre l’autorité et son exercice, entre le pouvoir et son acte devrait suffire à ôter à ce premier exemple sa valeur démonstrative. La FSSPX ne se soumet en rien aux actes de l’autorité qui s’avèrent contraires au bien commun de l’Eglise, du fait qu’ils contredisent les actes précédemment accomplis par l’autorité avant le Concile.
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Agir sans juridiction ?
3. Deuxièmement, « la FSSPX invoque un état de nécessité généralisé dans l’Église pour ouvrir ses apostolats et donner les sacrements sans aucune demande préalable aux évêques des lieux concernés, en arguant d’une juridiction de suppléance quasi universelle sans précédent, ni fondement ecclésiologique et canonique sérieux ». Ce fait censé unique en recoupe en réalité deux : premier fait, la FSSPX invoque l’état de nécessité ; deuxième fait, la FSSPX s’autorise de cet état de nécessité pour user de la juridiction de suppléance qui, telle que prétend en user la FSSPX, serait dépourvue de tout fondement ecclésiologique et canonique sérieux. Le premier fait est évident. Le second est contraire à l’évidence. En effet, pour prouver que la juridiction de suppléance, telle que la conçoit la FSSPX, serait dépourvue de tout fondement, Monsieur l’abbé Vernier entend s’appuyer sur une étude publiée par Monsieur l’abbé Hervé Mercury : celui-ci ne fait que reprendre les données théologiques et canoniques qui sont au fondement de la définition de la juridiction de suppléance et qui la justifient, données auxquelles Mgr Lefebvre s’est toujours référé et qui sont reprises dans le livre officiel des Ordonnances de la Fraternité Saint Pie X, déjà cité. Autrement dit, l’argumentattion destinée à prouver que la FSSPX s’appuie sur une juridiction de suppléance « sans fondement ecclésiologique et canonique sérieux » prouve en réalité tout le contraire, c’est-à-dire que la juridiction de suppléance telle que l’entend la FSSPX repose sur des fondements ecclésiologiques et canoniques des plus sérieux .
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Le refus du Droit de l’Eglise
4. Troisièmement, « la FSSPX rejette a priori l’autorité contraignante du Code de Droit Canon en vigueur depuis 1983, tout en acceptant de manière fortuite tel ou tel canon (comme celui du jeûne eucharistique réduit à 1h) ». Une telle présentation est trop raccourcie pour ne pas en devenir caricaturale. Un an après la mort de Mgr Lefebvre, le Supérieur général de l’époque, Monsieur l’abbé Franz Schmidberger, avait donné la synthèse nuancée de l’attitude de la FSSPX par rapport au nouveau Code de 1983, dans une décision du 8 février 1992, « concernant la discipline propre de la Fraternité Saint Pie X par rapport au nouveau Code de droit canonique » . Nous en donnons la citation intégrale, car il y a là l’expression de la prudence authentique de la Fraternité, héritée de son fondateur.
5. « Le Droit est l’objet de la justice. Les lois ecclésiastiques ont pour but de faire pratiquer la justice par les fidèles, en les mettant dans des situations favorables, où la vie chrétienne est aisée et en écartant les situations dangereuses pour la foi et les mœurs. La réception du nouveau Code de droit canonique pose à cet égard un réel problème de conscience aux catholiques. Car d’une part il s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la protection due à la foi et aux mœurs. Et d’autre part, nous tenons à ne pas mettre en péril le respect dû à l’autorité légitime. Monseigneur Lefebvre, malgré toute sa sagacité, n’a pas cru pouvoir trancher la question de la validité de la promulgation de ce Code, mais son contenu comme les principes énoncés dans la Lettre apostolique de promulgation (25 janvier 1983) la lui faisaient tenir comme douteuse. En ce cas, selon le canon 15 (canon 14 du nouveau Code) cette législation nouvelle n’urge pas. Dans cette situation, selon le canon 23 (canon 21 du nouveau Code), le Code de 1917 n’est pas présumé révoqué, mais la nouvelle législation doit être ramenée à la précédente et, si possible, conciliée avec elle. Les principes directoires de cette délicate conciliation sont les suivants.
6. Le Code de 1917 reste la référence, en ce sens qu’il contient l’esprit de l’Eglise à l’état pur et que nous le suivons par principe et dans une large mesure. Mais cela ne signifie pas que nous ne devions rien retenir du nouveau Code. En effet, d’une part la législation de l’Eglise, même codifiée, ne forme pas un tout inséparable, de telle façon qu’on doive tout accepter ou tout refuser et d’autre part certaines normes du nouveau Code sont justifiées, soit parce qu’elles apportent une simplification utile, ou qu’elles correspondent à un développement homogène de la pratique de l’Eglise ou à une meilleure adaptation aux circonstances. Rien n’empêche donc, mais au contraire il semble indiqué de retenir ce qui est bon de la nouvelle législation et de l’harmoniser avec la législation de 1917. Les normes nouvelles qui s’opposent à la foi catholique ou à la constitution divine de l’Eglise ou qui s’éloignent de la protection due à la foi et aux mœurs, nous sommes obligés de les refuser (par exemple, les nouvelles règles sur les mariages mixtes, aux canons 1124-1129). A l’opposé, les nouvelles normes qui apparaissent justifiées, nous les retiendrons à la place des anciennes, pour ne pas nous priver ou priver les fidèles de l’avantage qu’elles apportent (c’est le cas de la suppression de certains empêchements de mariage : la dispense des empêchements mineurs étant systématiquement accordée, il était donc justifiable de les supprimer). Mais aux normes nouvelles qui, sans être mauvaises, n’apporteraient aucun avantage certain, nous devons préférer le droit codifié en 1917 et nous nous y tenons ».
7. Ces lignes doivent être considérées comme le commentaire le plus fidèle de la déclaration du 13 octobre 1974, extraite du livre Le Coup de maître de Satan, où Mgr Lefebvre affirme penser en toute conscience que « toute la législation mise en acte depuis le Concile est pour le moins douteuse et qu’en conséquence nous en appelons au canon 23 qui traite de ce cas et nous demande de nous en tenir à la loi ancienne » . Retenons surtout l’idée maîtresse mise en évidence par l’abbé Schmidberger : « La législation de l’Eglise, même codifiée, ne forme pas un tout inséparable, de telle façon qu’on doive tout accepter ou tout refuser ». La contradiction imputée à la FSSPX par Monsieur l’abbé Vernier n’existe donc que dans l’esprit de ce dernier.
8. Songeons aussi que Mgr Lefebvre faisait la différence, chez les conciliaires, entre d’une part l’exercice des pouvoirs d’ordre et de Magistère et d’autre part l’exercice du pouvoir de gouvernement. Notre fondateur estimait que reconnaître en pratique l’autorité moderniste dans l’exercice du pouvoir d’ordre ou du pouvoir de Magistère équivaut, sinon toujours du moins le plus souvent, à une coopération formelle au modernisme de ces autorités. En effet, le modernisme de l’autorité exerce une influence directe sur l’exercice de son pouvoir de Magistère et d’ordre : un évêque moderniste va utiliser les nouveaux sacrements dont la validité peut s’avérer problématique et qui représentent en tout état de cause un péril prochain pour la foi ; et par son pouvoir de Magistère, il scandalisera ses ouailles en leur prêchant les erreurs de la nouvelle théologie de Vatican II ou, dans le meilleur des cas, il les scandalisera en ne dénonçant pas les erreurs prêchées par d’autres, en les minimisant, voire en les présentant comme autant d’opinions légitimes. Voilà pourquoi nous soustrayons habituellement nos fidèles à l’exercice de ce nouveau Magistère et de ce nouveau sacerdoce. En revanche, Mgr Lefebvre n’estimait pas que reconnaître en pratique l’autorité moderniste dans l’exercice de son pouvoir de gouvernement équivaudrait le plus souvent et directement à une coopération formelle au modernisme de cette autorité. Le droit purement ecclésiastique fait référence à des contingences humaines, qui peuvent faire abstraction du modernisme. Lorsque le Pape érige un nouvel évêché, ou en supprime un déjà existant, faut-il voir nécessairement là un péril pour la foi et les mœurs ? Le Supérieur du District de France de la FSSPX est bien obligé de prendre en compte la nouvelle répartition des diocèses dans le territoire dont il a la charge – et il ne s’en prive pas.
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Un pouvoir usurpé ?
9. Quatrièmement, « la FSSPX usurpe le pouvoir exclusif du pape de rejuger notamment des cas de nullité de mariage en dernière instance, par sa commission Saint-Charles-Borromée qui est de fait un vrai tribunal ecclésiastique dont l’existence semble dissimulée ». La réponse à cette objection est celle-même que nous avons donnée à la première et à la deuxième , étant donné que le recours à une commission Saint-Charles-Borromée n’est qu’un des moyens particuliers que se donne la FSSPX – légitimement aux termes mêmes du droit – pour parer à l’état généralisé de nécessité dans l’Eglise. Et il faut bien reconnaître que, depuis Vatican II et le Nouveau Code de Droit Canonique de 1983, l’état de nécessité se fait de plus en plus sentir en ce qui concerne précisément l’administration du sacrement du mariage. En témoignent la jurisprudence et la mise en pratique du Nouveau Code de 1983 qui, déjà avant le pontificat de François, aboutissaient à juger trop souvent en défaveur du lien et à déclarer trop facilement la nullité du sacrement – en s’appuyant tout particulièrement sur le fameux canon 1095 . Et depuis 2015, avec la publication du Motu proprio Mitis judex, qui simplifie de façon outrancière la procédure des causes matrimoniales, si l’indissolubilité du mariage est apparamment préservée en droit, en fait, cependant, elle est ruinée par la facilité déconcertante avec laquelle certains tribunaux, diocésains ou romains, ont la possibilité de prononcer, beaucoup plus facilement encore, des sentences de nullité . Comme le montre l’abbé de Lacoste dans l’article déjà cité, en s’appuyant sur l’étude de Monsieur Cyrille Dounot : « Sous des apparences strictement procédurales, cette profonde dévaluation du procès en nullité de mariage risque d’assimiler nullité (déclarative) et annulation (performative). Il n’est pas sûr que cela rende service à l’indissolubilité du mariage catholique ». Le bien-fondé de la commission Saint-Charles-Borromée ne devrait-il pas en apparaître davantage ?...
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Un sédévacantisme sans le nom ?
10. Cinquièmement, Monsieur l’abbé Vernier considère que « en pratique, mis à part la mention du Pape au Canon de la messe, la prière aux intentions du Souverain pontife et l’acceptation fortuite des pouvoirs de confession donnés à ses prêtres par le Pape François depuis 2015 à l’occasion de l’année de la miséricorde, rien ne distingue la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X du sédéprivatisme qui reconnait bien la présence (matérielle) d’un Pape sur le siège de Pierre tout en récusant le fait qu’il soit investi d’une réelle autorité contraignante, tout comme pour le reste de la hiérarchie ». Nous répondons à l’inverse que, au contraire, tout distingue la FSSPX des différentes obédiences sédévacantistes. Car il ne faut pas confondre les différences ou les ressemblances extérieures, qui sont souvent apparentes et superificielles, avec les différences ou les ressemblances essentielles. Il est bien possible que, sur le plan des faits, la FSSPX n’ait quasiment jamais ou très peu l’occasion de se conformer, en vertu de l’obéissance, aux directives des autorités ecclésiastiques actuelles. Mais il n’y aurait là qu’une similitude trompeuse, avec les communautés sédévacantistes. Dans l’Evangile de saint Matthieu, chapitre XVI, verset 6, Notre-Seigneur engage les disciples à pratiquer le discernement, afin de ne pas confondre la fausse doctrine des pharisiens et la véritable doctrine de Dieu : « Regardez bien (« Intuemini ») et méfiez-vous du mauvais ferment des pharisiens et des saducéens ». Le mot qui est intéressant ici, c’est le mot « Intuemini », car il exprime l’intensité et la profondeur qui sont requises à l’examen, afin qu’il y ait un véritable discernement. Et saint Thomas commente : « Etant donné que la doctrine fausse présente la même couleur que la doctrine vraie, Notre Seigneur dit : Regardez bien, c’est à dire examinez les choses avec soin ». L’expression est très forte : la doctrine fausse est la doctrine qui présente la même couleur que la doctrine vraie ; et c’est pourquoi il est nécessaire d’examiner les choses avec beaucoup d’attention pour ne pas être dupe des apparences. La ressemblance partielle au niveau de la couleur ne doit pas faire oublier la différence totale au niveau de la nature intime. Il en va de même ici : la ressemblance partielle au niveau du refus pratique d’obéissance ne doit pas faire oublier la grande différence au niveau de la raison profonde pour laquelle l’obéissance est refusée. La FSSPX refuse l’obéissance parce que celle-ci n’a pas de raison d’être, étant donné que les membres actuels de la hiérarchie, reconnus dans leur être comme revêtus de l’autorité, exercent cette autorité pour prescrire ce qui est contraire à la Tradition, tandis que les communautés sédévacantistes refusent l’obéissance parce qu’elles estiment que ceux qui la réclament ne sont pas revêtus de l’autorité requise, dans leur être même. Toute la différence qui sépare la FSSPX et les sédévacantistes est celle qui a lieu entre l’être et l’exercice de l’autorité. La FSSPX récuse l’exercice dévoyé de l’autorité, mais reconnaît l’être de l’autorité (ce qui explique que ses membres prient publiquement pour le Pape) alors que les sédévacantistes nient jusqu’à l’être même de l’autorité.
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Refus de la hiérarchie ?
11. Sixièmement, enfin, « en niant la nécessité de juridiction ordinaire présente dans l’Église, en pensant que le Christ leur supplée directement tout ce qui est nécessaire, sans passer par l’intermédiaire du Pape, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X semble admettre, comme malgré elle, que la hiérarchie ecclésiastique n’est pas concrètement et réellement toujours nécessaire à l’Église. […] La FSSPX, non contente de désobéir de manière habituelle à la hiérarchie ecclésiastique, agit de fait comme si elle était détentrice par intérim (tant que perdure la crise de l’Église) du pouvoir habituel de juridiction du Christ confié à son Église. Ce qui la conduit, prudentiellement nous dit-on, à s’affranchir de la nécessité d’avoir une mission du Pape et de l’évêque du lieu pour sanctifier et enseigner les âmes au nom de l’Église ». Faut-il redire ici, une fois de plus, ce que nous avons déjà répondu a satiété ? Monsieur l’abbé Vernier prête indûment à la FSSPX une conception absolument fausse de la juridiction, conception que Mgr Lefebvre a toujours récusée, alors que la conception juste et vraie, conforme au Droit et à la Tradition de l’Eglise, est exprimée en toutes lettres dans les Ordonnances de la Fraternité. Ce n’est pas le Christ qui « supplée directement tout ce qui est nécessaire, sans passer par l’intermédiaire du Pape ». C’est l’Eglise elle-même, et c’est donc le Pape, qui, en vertu de la présomption fondée sur le Droit, donne à la FSSPX les moyens de parer à un état de nécessité. Il y a là ce que l’on pourrait désigner comme « la volonté juridique du Pape », de donner à tout clerc dans l’Eglise les mpyens extraordinaires de venir au secours des âmes. Le recours à ce moyen extraordinaire, fondé sur le Droit, loin d’admettre que « la hiérarchie ecclésiastique n’est pas concrètement et réellement toujours nécessaire à l’Église » va de pair avec cette nécessité. Encore faut-il ne pas se méprendre sur la nature exacte de ce moyen extraordinaire : il ne s’agit pas d’un pouvoir habituel de juridiction, dont la FSSPX serait « détentrice par intérim, tant que perdure la crise de l’Église ». Il s’agit de la légitimité actuelle, rendue possible au cas par cas, d’un acte de ministère tel que le réclament les besoins des fidèles dans une situation d’urgence.
12. La FSSPX ne possède aucun pouvoir habituel et ordinaire de juridiction. Elle agit seulement, de manière légitime, à l’appel des âmes dans le cadre d’un état de nécessité. Et ce faisant, elle agit au nom du l’Eglise, puisqu’elle s’appuie sur les normes prévues par le Droit cannonique, pour cet état de nécessité. Elle ne s’affranchit pas de la nécessité de recevoir mission du Pape et des évêques, mais elle remédie au refus injuste de cette mission (lequel refus cause un grave préjudice aux âmes) en se prévalant de son bon droit, que lui reconnaît l’Eglise. Il est toujours possible de refuser de prendre en considération l’état de nécessité dont pâtit actuellement la sainte Eglise. Mais il absolument indû d’inventer de toutes pièces, pour en attribuer l’intention à la FSSPX, le recours à une « juridiction de suppléance » conçue au sens d’une prérogative habituelle, descendue du Ciel comme par miracle et au rebours de toutes les normes du droit canonique. Pareille invention théologique n’a jamais été le fait de Mgr Lefebvre. Celui-ci entendait seulement tirer parti des normes du droit, qui rendent légitime « l’action extraordinaire de l’épiscopat » , dans le cadre d’un état généralisé de nécessité.
Abbé Jean-Michel Gleize