LE TROPISME DU PRINCIPE D’AUTORITÉ



Publié le 13/09/2024 sur internet
Publié dans le N°678 de la publication papier du Courrier de Rome



Réfléchissant sur le retour des bénédictins de Caldey à l’Église de Rome, le P. Cyrille Gagnon note que deux principes ont été à l’œuvre : « Les principes, qui ont motivé toutes leurs actions, sont au nombre de deux : le principe d’unité et le principe d’autorité dans l’Église du Christ ».
Le respect de Dom Ælred Carlyle et de ses moines pour le principe d’autorité est déjà ancien. Les observateurs extérieurs à la communauté n’avaient pas manqué de le noter :
« Dans The Guildsman de novembre 1902, un auteur commente ainsi l’importance de l’action de l’évêque : “Ce renouveau de la vie bénédictine présente un aspect qui devrait lui attirer un intérêt considérable et dont l’absence masquerait ledit intérêt : la relation de la vie bénédictine à l’autorité. Lorsque cette tâche a été entreprise, son initiateur a cherché à obtenir la sanction des autorités de notre Communion, qu’il a reçue d’elles. Cette autorisation accordée chez nous à la vie bénédictine n’est pas dénuée de signification. Elle donne à entendre que beaucoup d’échecs du passé ont été oubliés et que l’humilité et la patience ont été récompensées comme d’autres vertus ne l’auraient peut-être pas été. Elle donne à entendre qu’un nouveau maillon de la chaîne qui devrait nous relier à l’Église de saint Augustin a été forgé. Elle constitue un lien que nous serions avisés de ne point sous-estimer” . »
Parcourons brièvement les courriers échangés entre le supérieur de Caldey et les autorités anglicanes . Chacun pourra y constater combien la réflexion du P. Gagnon est fondée.

Alors qu’il sollicite de l’archevêque de Canterbury l’approbation canonique pour sa communauté, Dom Carlyle fait un bref historique des relations passées avec l’autorité ecclésiastique :
« Dès le début, nous nous sommes efforcés de vivre conformément à la foi et à la pratique catholiques4, et nous avons toujours pris soin d’obéir au principe de l’autorité catholique. Nous n’avons pas désobéi une seule fois aux commandements ou aux souhaits connus de l’évêque du diocèse au sein duquel nous nous trouvions. Chaque pas de la vie de notre communauté, nous l’avons accompli avec la sanction de l’autorité. […] Comme notre communauté est aujourd’hui fermement établie et connaît un développement rapide, il est nécessaire que mon propre statut ecclésiastique soit dûment autorisé. On m’interroge souvent sur notre relation actuelle avec l’autorité, notamment parce que notre position extra-diocésaine ne nous assujettit apparemment à aucun prélat si ce n’est à l’archevêque de la province. »
Aux yeux de Dom Carlyle, la nomination d’un visiteur épiscopal est l’aboutissement logique des rapports cultivés de longue date par sa communauté avec l’autorité :
« Non seulement nous nous sentons renforcés par nos délibérations et notre décision au sujet de la question romaine, mais dans la version définitive de nos constitutions comme dans notre observance particulière de la Règle de saint Benoît, nous pouvons définir le moyen de réaliser notre vocation à la vie strictement contemplative. Il y a seize ans que j’ai commencé à vivre selon la Règle de saint Benoît, et il y a quatorze ans que j’ai fait ma profession solennelle selon cette Règle – sous l’autorité de l’archevêque de Canterbury. J’ai ensuite attendu quatre ans, tout en œuvrant à la fondation de notre communauté, et c’est en 1902 que l’archevêque a signé le document me nommant Abbé de la communauté. Dix ans se sont donc écoulés depuis lors. Au cours de cette période, nos œuvres se sont étendues et renforcées, et tout semble démontrer que nous avons maintenant atteint le point où notre statut dans l’Église devrait être davantage reconnu par l’autorité. Nous estimons que, conformément à la lettre de Votre Seigneurie du 20 mai, cela ne saurait mieux se réaliser que par le choix d’un Visiteur épiscopal . »
Dans la vie religieuse, l’autorité est censée approuver non seulement la règle de vie, mais aussi l’existence de la communauté, les vœux qu’on y prononce et le supérieur qui y préside :
« Notre communauté a reconnu dès le début l’autorité de l’épiscopat, et elle continue à le faire. Si cette reconnaissance de l’autorité n’est ni désirée ni obtenue, nous sommes persuadés qu’il ne saurait y avoir de vie religieuse authentique ou permanente au sens où l’Église catholique a toujours entendu la consécration et la séparation volontaire de ceux qui se sentent appelés au service de Dieu selon une règle particulière.
« Il ne suffit pas que la règle elle-même ait été approuvée comme ligne de conduite sage et avisée pour le mode de vie choisi. S’agissant de la Règle de saint Benoît, elle est reconnue et sanctionnée depuis mille quatre cents ans comme étant le plus éminent code de vie cénobitique et contemplative. Mais il est essentiel pour l’existence canonique de la communauté, le bon exercice de l’autorité par les supérieurs ainsi que la validité de la profession religieuse, que la reconnaissance de l’autorité vivante de l’Église soit recherchée et obtenue. Aucune juridiction spirituelle ne peut s’exercer sans en référer à une autorité épiscopale, non pas de façon arbitraire et capricieuse, mais respectueuse des règles bien connues et généralement admises de l’Église catholique. Ces règles, formulées par maints Conciles et incarnées dans les statuts des communautés religieuses, constituent la législation qui définit et délimite l’impact variable de l’autorité sur l’organisation de la vie religieuse.
« La connaissance de ces faits a exercé une forte influence sur toute notre vie communautaire en nous aidant à avancer en terrain ferme et à éviter les erreurs. Nous n’avons eu le désir ni de nous hâter, ni de hâter les choses. Nous avons seulement essayé de faire le bon choix à chaque pas et de nous procurer petit à petit ce qui était nécessaire à notre existence en un temps particulier. Les membres de la communauté partagent désormais la conviction que le temps de ce qu’on peut appeler l’œuvre de fondation est désormais révolu ; et nous sommes bien placés pour savoir ce qui est nécessaire à la pratique d’une vie de prière purement contemplative menée dans le respect d’une règle stricte. Au cours des années passées, nous avons acquis une certaine expérience. Nous qui professons une adhésion ferme et loyale à la foi et à la pratique catholiques, nous ne pouvons qu’être très reconnaissants à Votre Seigneurie pour sa compréhension de nos besoins comme pour sa disposition à nous donner ce qui est essentiel au développement ultérieur de notre œuvre. Il y avait longtemps que nous attendions le moment de notre histoire auquel nous voilà parvenus et que nous priions pour le voir. Nous nous félicitons de son avènement dans un esprit de vraie obéissance en tant que religieux qui ont toujours fermement affirmé qu’aucune vie monastique n’est envisageable hors de l’autorité catholique . »
Des propos identiques sont tenus avec le visiteur épiscopal :
« Une visite préliminaire vous aiderait à voir comment se développe la vie de la communauté ; et peut-être me permettrez-vous de répéter ce que je vous ai dit à Oxford, à savoir que nous sommes très heureux de la possibilité qui nous est offerte de voir reconnues et sanctionnées comme il se doit par l’autorité épiscopale la doctrine et la pratique autour desquelles la vie de la communauté s’est développée . »
Sollicité pour procéder à l’ordination de deux moines de Caldey après la mort de l’évêque Crafton, son successeur reçoit les mêmes assurances :
« Le temps est venu pour nous d’être reconnus par l’autorité épiscopale dont nous relevons. Rien de ce que nous pourrions éventuellement tolérer comme individus en matière de négligence épiscopale ne saurait être accepté par une communauté qui se croît rapidement. En l’absence d’autorisation épiscopale, nous risquerions de dévier vers une position comparable à celle du Père Ignatius à Llanthony ; et à ma mort, il n’y aurait aucune garantie de voir l’œuvre se poursuivre. Ce que j’ai observé de la vie commune dans nos rangs m’a convaincu que l’union entre les hommes échoue souvent par méconnaissance des exigences qu’elle suppose et d’un rapport franc aux évêques. Pour qu’une vie communautaire soit stable et permanente, et pour que les vœux de ses membres soient valides et contraignants, l’obéissance à une autorité valablement constituée est indispensable.
« Nous ne demandons pas beaucoup en fait de reconnaissance, et je demande vos prières afin que nous soyons guidés et que nous recevions l’aide et le respect dus pour affermir une communauté qui a mis vingt ans à se former. Si seulement les évêques voulaient bien réaliser que nous ne sommes pas une institution paroissiale destinée à accomplir des œuvres [paroissiales] et que la vie contemplative a des exigences propres, un grand pas aurait été fait dans la bonne direction . »
La documentation sollicitée et fournie au visiteur épiscopal atteste des nombreuses permissions demandées et reçues par le passé :
« Depuis les débuts de cette communauté, mon souci le plus cher fut de ne jamais prendre la moindre initiative sans aval épiscopal. Si vous considérez les faits énoncés dans la brochure ci-jointe – qui contient l’historique de notre communauté aux pages 12 à 41, ainsi que le compte rendu de notre but et de notre méthode aux pages 64 à 111, notamment le passage sur l’autorité de la page 89,– vous trouverez des copies de l’autorisation donnée par l’archevêque Temple lors de ma profession en 1898, de même que l’approbation de mon élection comme Abbé en 1902. Mon installation s’est déroulée à Painsthorpe en 1903, lorsque l’évêque Grafton, qui se trouvait en Angleterre à l’époque, m’a conféré la bénédiction abbatiale avec la permission de l’archevêque d’York.
« Je sais que dans la fondation d’une œuvre nouvelle, l’initiative individuelle joue le rôle de pionnier et qu’une intervention légale et formelle doit suivre pour approuver et, au besoin, freiner et corriger. Le risque de dévier jusqu’à une position fausse ou peu réaliste a toujours été ma plus grande crainte. Mais puisque cette tâche initiale a atteint son point actuel et que la communauté est désormais installée à Caldey avec un caractère et une vocation propres, je souhaite obtenir l’approbation et la sanction définitives de l’Église pour notre mode de vie, afin que celui-ci soit béni par l’autorité, acquérant ainsi solidité et durabilité . »
Après examen des documents, le visiteur épiscopal juge que certaines doctrines et pratiques en usage à Caldey ne sont justifiables qu’au regard de l’autorité du pape :
« Je suis également sûr que je ne pourrais devenir Visiteur de votre communauté (et je crois qu’il en irait de même de tout autre évêque) à moins que la doctrine de l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge – je songe également à l’Assomption corporelle – n’ait été éliminée du bréviaire et du missel. J’ai la certitude que la célébration publique de ces fêtes et la profession publique de ces doctrines – dans le cadre de la foi commune – ne peuvent se justifier que sur la base d’une autorité pontificale stricto sensu. Vous ne pouvez raisonnablement, me semble-t-il, invoquer cette autorité à des fins de dévotion et y recourir simultanément pour justifier votre statut de communauté bénédictine. J’imagine qu’à la réflexion, vous ne pourrez que percevoir le bien-fondé de ce raisonnement . »
« Vous n’avez tenu aucun compte de la remarque que j’avais tenu à vous faire, à savoir que l’autorité couvrant certaines de vos pratiques dévotionnelles correspond si spécifiquement à une autorité romaine tardive qu’il y a là une incohérence avec le fait d’en appeler — par de-là cette autorité —précédent plus ancien de la Règle bénédictine pour justifier l’indépendance revendiquée pour votre organisation. Il me semble que vous acceptez et rejetez la même autorité selon le cas, et cela ne saurait constituer une base de départ satisfaisante . »
Au terme de ces échanges épistolaires, il apparaît clairement aux moines de Caldey que l’Église d’Angleterre est et reste impropre à la vie religieuse telle que l’authentique tradition catholique l’a approuvée, encouragée et promue :
« Dans notre esprit, la question se réduit entièrement à celle de l’autorité. Tout au long des quinze dernières années, l’autorité a occupé une place prééminente dans la croissance de notre vie de communauté, au point que nous savons cette croissance impossible en l’absence d’autorité.
« Nous avons fait appel à l’autorité de l’Église d’Angleterre telle que vous la représentez, agissant ainsi selon le souhait de l’archevêque de Canterbury. Nous avons en toute honnêteté soumis notre doctrine et notre pratique à votre jugement comme instance enseignante officielle de l’Église d’Angleterre. Nous avons indiqué, sans aucune dérobade, ce qui pour nous est le plus important, et nous l’avons fait en vue d’obtenir ce qui s’avère nécessaire à l’existence de notre vie et de notre statut de communauté, à savoir la nomination d’un visiteur à qui nous puissions faire confiance pour nous aider à respecter fidèlement la Règle et les observances dans la vocation à laquelle Dieu nous a appelé. […]
« En acceptant une autorité plus précise que celle qui nous avait été accordée en premier lieu par l’archevêque Temple, nous savions évidemment que des modifications s’imposeraient et qu’il nous serait peut-être demandé de renoncer à certaines choses. Nous étions donc prêts à nous soumettre à toute exigence raisonnable. Mais comment aurions-nous pu anticiper la manière dont vous avez jugé bon de nous traiter ? Lorsque j’ai débuté cette fondation, j’estimais que les besoins particuliers de la vie contemplative ne pouvaient être satisfaits qu’en conformité avec les usages actuels du grand Ordre bénédictin tels qu’ils sont observés aujourd’hui dans le monde entier. […]
« Nous en concluons qu’on nous renvoie à l’“autorité pontificale stricto sensu”, et la manière dont vous nous avez traités montre à l’évidence que nos espoirs et aspirations ont été vains, du moins en ce qui concerne l’Église d’Angleterre. D’une part, nous ne saurions abandonner ce que nous croyons ; de l’autre, étant des honnêtes hommes, nous ne pouvons ni conserver et mettre en œuvre ce à quoi nous avons été sommés de renoncer, ni rester dans une Église tout en gardant des positions et des pratiques que ses instances enseignantes officielles nous interdisent.
« Ceci étant, nous n’avons aucune raison de tirer des conclusions pour autrui. Mais nous devons manifestement nous détourner d’une autorité à laquelle nous ne pouvons pas nous soumettre en conscience et nous tourner vers l’Église où les doctrines en lesquelles nous croyons sont enseignées avec autorité comme étant matière de foi . »
En conséquence,
« Dans notre cas, c’est au principe d’autorité que nous en appelons. Nous nous soumettrons à l’Église de Rome parce que nous sommes arrivés à la conclusion qu’il ne peut y avoir aucune forme organisée et stable de vie catholique hors de la communion avec le Saint-Siège, laquelle a été rompue par nos ancêtres anglais. Notre action actuelle est une protestation contre la “politique de la dérive”. Nous ne saurions nous conformer au seul impératif de la commodité, et nous n’aurons pas le front de prendre à la légère ce qui est devenu clair à nos yeux. Nous avons regardé le problème en face et, l’ayant fait, nous devons renoncer à la pure convenance spirituelle et faire notre devoir avec l’œil simplement fixé sur la gloire de Dieu et l’accomplissement de sa volonté . »

Abbé François KNITTEL

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