LES MINISTÈRES DANS LA NOUVELLE ECCLÉSIOLOGIE



Publié le 11/01/2024 sur internet
Publié dans le N°665 de la publication papier du Courrier de Rome



1. Au vu des articles précédents , le lecteur du Courrier de Rome n’aura pas manqué d’être frappé des ressemblances qui relient la nouvelle ecclésiologie de Lumen gentium à cette idée protestante de l’Eglise et des ministères, telle que nous venons de la résumer.

2. L’église protestante est la communauté sacerdotaledes croyants. Et l’Eglise, selon le chapitre II de Lumen gentium, se définit désormais comme le Peuple de Dieu, au sens où « le statut de ce peuple, c’est la dignité et la liberté des fils de Dieu, dans le cœur de qui, comme dans un temple, habite l’Esprit Saint » (n° 9) . Ce Peuple de Dieu est lui aussi, en un certain sens, une communauté sacerdotale, puisque, en raison de la grâce de leur baptême, tous les fidèles participent à la triple fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ. L’enseignement, déjà explicite, de Vatican II, aux numéros 10 et 12 de la constitution Lumen gentium, a été corroboré sur ce point lors du Synode qui s’est tenu ous Jean-Paul II, à l’automne 1987 et dont les conclusions ont trouvé leurs expression synthétique dans l’Exhortation postsynodale Christifideles laici du 30 décembre 1988. Le prédécesseur de François y déclare au n° 23 que « la mission salvifique de l'Eglise dans le monde est réalisée non seulement par les ministres qui ont reçu le sacrement de l'Ordre, mais aussi par tous les fidèles laïcs: ceux-ci, en effet, en vertu de leur condition de baptisés et de leur vocation spécifique, participent, dans la mesure propre à chacun, à la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ ».

3. L’église protestante se définit aussi en fonction de la distinction entre le sacerdoce et les ministères. Le sacerdoce universel est le propre de la communauté prise comme telle, tandis que les ministères sont départis à certains de ses membres, selon que l’exige l’exercice du sacerdoce universel. Mais l’attribution de ces ministères ne signifie nullement qu’il y ait dans l’église une relation d’inégalité entre les ministres et les autres membres de la communauté. Tous restent fondamentalement égaux dans le même sacerdoce universel de base et les ministères ne sont que des services au bénéfice de ce même sacerdoce de tous. Une problématique semblable se retrouve dans la constitution Lumen gentiumpuisque, au chapitre II, n° 10, celle-ci pose en principe la distinction entre deux sacerdoces : le sacerdoce commun et le sacerdoce ministériel. S’il est bien dit que ces deux « sacerdoces » sont « essentiellement différents » et non différents d’une différence de degré, il n’est pas dit que la différence de l’un à l’autre est la différence entre un sacerdoce proprement et véritablement dit et un sacerdoce au sens mystique.Il y aurait donc là deux espèces d’un même genre ou, à tout le moins, deux réalisations analogiques mais proprement dites de la même notion. L’idée d’une égalité est très fortement suggére, spécialement lorsque, au n° 10 du chapitre II, le texte de la constitution Lumen gentium affirme que,de ces deux sacerdoces, « chacun selon son mode propre, participe de l’unique sacerdoce du Christ » ou encore lorsque au n° 12 du même chapitre il est dit que « la collectivité des fidèles, ayant l’onction qui vient du Saint (I Jn, II, 20 et 27) ne peut se tromper dans la foi ; ce don particulier qu’elle possède, elle le manifeste moyennant le sens surnaturel de foi qui est celui du peuple tout entier, lorsque, des évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs, elle apporte aux vérités concernant la foi et les mœurs un consentement universel ».D’autre part, il est dit de plus que les deux sacerdoces, le ministériel et le commun, sont « ordonnés l’un à l’autre », ce qui peut signifier que l’exercice du premier est ordonné à l’exercice du second .

4. Pareillement, l’Exhortation citée plus haut de Jean-Paul II (n° 23) iniste sans doute elle aussi sur la nécessaire distinction entre le rôle des ministres ordonnés et celui des fidèles laïcs : « Les Pères synodaux ont insisté sur la nécessité d'exprimer clairement, en fixant, au besoin, une terminologie plus précise, autant l'unité de la mission de l'Eglise, à laquelle participent tous les baptisés, que la diversité substantielle du ministère des pasteurs, qui est fondé sur le sacrement de l'Ordre, diversité par rapport aux autres ministères, offices et fonctions ecclésiales, fondées elles sur les sacrements du Baptême et de la Confirmation. […] Les différents offices et fonctions que les fidèles laïcs peuvent légitimement exercer, dans la liturgie, dans la transmission de la foi et dans les structures pastorales de l'Eglise, devront l'être en conformité avec leur vocation laïque spécifique, différente de celle des ministères sacrés. […] Toutes les Eglises particulières devront respecter fidèlement les principes théologiques rappelés plus haut, en particulier la différence essentielle entre le sacerdoce ministériel et le sacerdoce commun et, en conséquence, la différence entre les ministères qui dérivent du sacrement de l'Ordre et les ministères qui dérivent des sacrements de Baptême et de Confirmation ». Cependant, le même document n’affirme aucunement une dépendance des laïcs à l’égard des ministres ordonnés et insiste plutôt sur la complémentarité du rôle des laïcs à l’égard du clergé, au point de suggérer l’idée d’un égalitarisme ecclésial : « Les Pères ont vivement manifesté leur estime pour la très importante collaboration apostolique que les fidèles laïcs, hommes et femmes, apportent à la vie de l'Eglise, par leurs charismes et par toute leur activité en faveur de l'évangélisation, de la sanctification et de l'animation chrétienne des réalités temporelles. […] La célébration liturgiqueest une action sacrée de toute l'assemblée et non pas du seul clergé. Il est donc tout naturel que les actes qui ne sont pas propres aux ministres ordonnés soient exécutés par les fidèles laïcs. Une fois réalisée la participation effective des fidèles laïcs dans l'action liturgique, on en est venu ensuite spontanément à admettre aussi leur participation à l'annonce de la Parole de Dieu et à la charge pastorale ».

5. Enfin, l’église protestante se définit enfinselon la doctrine de la corrélation, qui explique la nature du rapport reliant le sacerdoce universel aux ministères. Sacerdoce et ministères procèdent également du Christ et dépendent l’un de l’autre dans une écoute commune du Christ. La même problématique se retrouve dans la constitution Lumen gentium (n° 10). Il y est dit que « le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel sont « ordonnés l’un à l’autre » : l’un et l’autre, en effet, « chacun selon son mode propre, participent de l’unique sacerdoce du Christ ». Pareillement, le décret Presbyterorum ordinis (n° 2, 6 et 12) dit que le sacerdoce du Christ est participé différemment et par le sacerdoce ministériel qui configure au Christ pris en tant tête (en donnant la capacité d’agir in persona Christi capitis) et par le sacerdoce commun qui configure au Christ pris en tant que corps (en donnant la capacité d’agir in persona Christi corporis). Tout se passe comme s’il y avait entre les deux sacerdoces une corrélation, au sens protestant indiqué. La même corrélation s’observerait aussi entre la fonction prophétique du Peuple de Dieu et la fonction magistérielle de la hiérarchie ,ainsi qu’entre la fonction royale du même Peuple et la fonction juridictionnelle de la hiérarchie .

6. La réforme que le Pape Paul VI a voulu entreprendre en 1972, avec le Motu proprio Ministeria quaedam et que son successeur François entend parachever en 2021, dans le renouveau d’une continuité, avec les deux Motu proprio Spiritus Dominiet Antiquum ministerium du 10 mai 2021 s’inscrit donc dans le processus d’une protestantisation de l’Eglise, inauguré avec le concile Vatican II. Il y a là de quoi rendre les catholiques perplexes. Mais il y a pire.

7. Lorsque, dans le Message du 15 août 2022, destiné à célébrer le cinquantième anniveraire de Ministeria quaedam, François explique en quoi ses propres initiatives doivent être comprises comme dans la continuité de celle de Paul VI, il indique les raisons profondes de la restructuration accomplie. L’organisation des ministères est « un discernement communautaire attentif, dans l’écoute de ce que l’Esprit suggère à l’Église, en un lieu concret et dans le moment présent de sa vie » (n° 4). Voilà d’ailleurs pourquoi « toute structure ministérielle qui naît de ce discernement est dynamique, vive, flexible comme l’action de l’Esprit ». Benoît XVI nous l’avait bien dit : l’herméneutique de la réforme est celle d’un renouveau. Renouveau certes d’une continuité, en sorte que la structure ministérielle qui en procède doit « s’enraciner toujours plus profondément » dans le discernement communautaire attentif, « pour ne pas risquer que la dynamique devienne confusion, que la vivacité se réduise à une improvisation, que la flexibilité se transforme en adaptations arbitraires et idéologiques ». Mais renouveau tout de même, dans l’écoute permanente de ce que l’Esprit dit aux églises, renouveau nécessaire, nous dit François, pour « identifier, stimulés par l’écoute de la vie concrète des communautés ecclésiales, quels sont les ministères qui, ici et maintenant, édifient l’Église » (n° 6). Cette « écoute de la vie concrète des communautés ecclésiales » est donc bel et bien au principe de la réforme permanente, dans le renouveau de la continuité.

8. Nous avons ici les éléments fondamentaux de ce que saint Pie X désigne dans l’Encyclique Pascendi comme un immanentisme évolutionniste, lequel caractérise la définition moderniste de l’Eglise. L’immanentisme découle du fait que la Parole de Dieu, la Parole que l’Esprit adresse aux hommes s’identifie avec la vie concrète des communautés ecclésiales. L’évolutionnisme découle du fait que cette Parole n’est jamais terminée, mais suggère sans cesse aux églises les adaptations nécessaires. Nous le saviosn déjà grâce à saint Pie X : la religion moderniste est vraie parce qu’elle est vivant, parce qu’elle évolue. Et voici que François nous en donne la confirmation à la fois claire, aboutie et autorisée.

9. Tout ceci explique l’importance prise, ces dernières années, par l’initiative du « chemin synodal », auquel le Pape attache une importance grandissante. Car c’est dans ce climat, dit le Pape, à la fin du Message déjà cité, qu’il devient possible d’écouter vraiment la voix de l’Esprit et de conserver son caractère vivant à la Tradition de l’Eglise :

« Pour pouvoir écouter la voix de l’Esprit et ne pas arrêter le processus – en veillant à ne pas le forcer par l’imposition de choix qui sont le fruit de visions idéologiques – je considère qu’il est utile de partager, encore plus dans le climat du chemin synodal, les expériences de ces années. Celles-ci peuvent offrir des indications précieuses pour arriver à une vision harmonieuse de la question des ministères baptismaux et poursuivre ainsi sur notre route. C’est pourquoi je désire dans les prochains mois, en des modalités qui seront définies, engager un dialogue sur ce thème avec les Conférences Épiscopales afin de pouvoir partager la richesse des expériences ministérielles que l’Église a vécues au cours de ces cinquante années, tant comme ministères institués (lecteurs, acolytes et, récemment, catéchistes) que comme ministères extraordinaires et de fait » (n° 10).

10. Sans doute, ce message du Pape François rejoint-il exactement les idées présentées par le « Document de travail pour l’étape continentale » publié au mois d’octobre dernier par le Secrétairerie générale du Synode, au Vatican et intitulé « Elargis l’espace de ta tente » . Mais il n’y a pas seulement ici coïncidence d’idées. A certains égards, le Message du Pape a plus d’importance que le Document de travail, car il nous indique les présupposés profonds et fondamentaux de cette nouvelle démarche du chemin synodal. Celle-ci s’explique et doit être comprise par les catholiques comme l’expression achevée de la protestantisation de l’Eglise. Protestantisation qui aboutit elle-même à une forme à peine dissimulée de modernisme.

Abbé Jean-Michel Gleize

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