Les Mémoires du Cardinal Hercule Consalvi, réédités en 2024 par Monseigneur Bernard Ardura aux Editions du Cerf, nous plongent dans les tensions et les incertitudes religieuses de l’Europe postrévolutionnaire. Constitués de cinq parties dont certaines se recoupent, les Mémoires font découvrir un grand serviteur de l’Eglise dont le tempérament ne semblait pas a priori taillé pour affronter de si grands enjeux avec aussi peu de moyens.
Issu d’une noble famille romaine, Hercule Consalvi (1757-1824) entre au service de l’administration pontificale après être passé par l’Académie des nobles ecclésiastiques. D’un naturel timide, il manque d’assurance et craint les responsabilités. Sa préférence pour les postes juridiques plutôt que pour l’administration pontificale le pousse à faire l’unique candidature de toute sa carrière pour être nommé à la Rote. A partir de la Révolution française, Hercule Consalvi communie à travers ses fonctions aux tribulations que vit l’Eglise. Arrêté par les Français en 1798 et emprisonné au Château Saint-Ange, il est menacé d’être monté publiquement sur un âne et fouetté par la police avant d’être expulsé de Rome. Dévoué au Pape Pie VI, il met tout en œuvre pour le rejoindre à Florence avant sa déportation en France. Il retrouve finalement les cardinaux réfugiés à Venise où, après avoir été secrétaire du conclave, il est nommé par le Pape Pie VII secrétaire d’Etat. Ce poste lui vaut d’être nommé cardinal et donc tonsuré. Il ne sera jamais prêtre.
Envoyé par le Pape pour la négociation du Concordat en 1801, il juge que « le rétablissement de la religion représente un gain incalculable pour l’Eglise » tant la vie catholique de l’Europe est suspendue à la résolution de la situation en France. Alors que certains de ses collègues sont disposés à des compromis contestables, le cardinal Consalvi garde une ligne claire et inflexible dans ces négociations tumultueuses : « Si le but principal de réintroduire la religion en France pouvait conduire le pape à toutes sortes de sacrifices, cela ne pouvait pas le conduire au sacrifice des principes, lesquels, en matière de religion, sont invariables et ne permettent pas que l’erreur et les fausses maximes se substituent à la vérité et aux lois de l’Eglise. »[1] Deux lignes rouges ne peuvent pas être franchies : la liberté du culte catholique et la possibilité d’exercer le culte publiquement sans être à la merci de règlements de police arbitraires. Il remarque que « la tolérance tant vantée a favorisé toutes les sectes, excepté la véritable Eglise » et que, à travers elle, « le gouvernement séculier se proposait de soumettre l’Eglise à ses lois »[2]. Les stratagèmes les plus malhonnêtes de l’empereur n’infléchiront pas la détermination du diplomate.
Le cardinal Consalvi est un homme de devoir, consciencieux à l’extrême. Il peut travailler jusqu’à dix-huit heures par jour. Soucieux de ne pas subir d’influence étrangère dans ses fonctions, il refuse systématiquement tout cadeau, y compris la pension proposée par la France pour l’entretien des cardinaux emmenés à Paris. Il désamorce les tentatives de manipulation de Napoléon, n’hésitant pas malgré son angoisse à rectifier publiquement mais respectueusement des propos sournois de l’empereur. Son absence remarquée lors du remariage de Napoléon lui vaut d’être isolé près de trois ans à Reims où il rédige ses mémoires à l’insu de ses surveillants.
A travers la narration des événements, ces Mémoires dessinent le portrait d’un homme d’Eglise totalement livré à sa lourde charge, d’une droiture qui n’a d’égale que sa bienveillance, capable de formuler avec calme et respect les protestations les plus fortes sans considération des préjudices personnels. Le lecteur trouvera une belle illustration de la manière avec laquelle la Providence mène son Eglise dans les périodes troublées en suscitant des serviteurs fidèles dont l’action humble mais ferme triomphe finalement des tyrannies les plus puissantes. Abbé Jean de Loye
[1] Conclusion du Mémoire de Consalvi sur le refus des premiers projets de concordat, p. 401.
[2] Mémoires, p. 420.