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Les apostats ont-ils le droit de se marier ?

Robert a été baptisé enfant dans l’Église catholique ; ses parents lui ont donné une éducation catholique. Pourtant, à l’âge de 22 ans, il a publiquement abandonné la religion de son enfance et a communiqué par écrit sa décision au curé de sa paroisse. Il a rejeté entièrement la foi qu’il avait reçue le jour de son baptême. Il envisage maintenant de se marier. Évidemment, il est hors de question pour lui d’échanger les consentements dans une église, en présence d’un prêtre. Il ne veut se marier que civilement. Nous nous interrogeons dans cet article sur la validité d’un tel mariage. On sait que pour un catholique, seul le mariage religieux, dans lequel la forme canonique est respectée, est le véritable mariage. Mais Robert n’est plus catholique. Dans ces conditions, le respect de la forme canonique du mariage est-il requis pour la validité du contrat matrimonial ? Son mariage civil sera reconnu par l’État, mais le sera-t-il aussi par l’Église ?

La décision du concile de Trente

De droit naturel, aucune forme solennelle n’est requise pour qu’un mariage soit valide. Si un jeune homme veut épouser en cachette une jeune fille, il suffit qu’ils échangent un vrai consentement matrimonial pour être unis devant Dieu pour toujours. Un mariage clandestin est valide. Au Moyen-Âge, l’Église reconnaissait la validité des mariages contractés sans publication ni témoin ni bénédiction sacerdotale[1]. Mais l’Église a toujours détesté ces mariages. Elle les interdisait sévèrement, comme on le voit dans les Actes du concile de Latran IV en 1215. Certains Pères de l’Église comme saint Ignace d’Antioche ou Tertullien ont montré les dangers de ces mariages clandestins : ils favorisent la fornication et l’adultère. Par exemple, un homme vit dans le péché avec une femme. Repris par son entourage pour sa vie scandaleuse, il prétend alors avoir épousé secrètement cette femme, sans témoin. Que répondre ? Comment le vérifier ? Et deux ans plus tard, il la chasse du domicile conjugal en prétendant qu’il ne l’a jamais vraiment épousée. L’absence de témoin rend très difficile la quête de vérité.

Pour mettre fin aux abus des mariages clandestins et remédier aux désordres, en 1563, le concile de Trente, pendant sa 24e session, exigea la forme solennelle du mariage ad validitatem. C’est le fameux décret Tametsi. Pour être valide, un mariage doit être célébré devant le curé propre d’un des conjoints et au moins deux témoins. En exigeant cela, l’Église ne modifie pas la substance du sacrement. Elle ajoute simplement une condition ad validitatem.

Cependant, beaucoup de pays ne publièrent pas le décret Tametsi. Il fut donc inefficace en de nombreuses régions du globe, si bien que les mariages clandestins y restèrent valides. De plus, il était parfois difficile de savoir qui était le curé propre d’un des époux. Le pape saint Pie X mit fin à ces désordres par le décret Ne temere de la Sacrée Congrégation du Concile du 2 août 1907. Il reprend Tametsi sauf sur un point : le curé est celui du lieu où est célébré le mariage, ce qui est plus clair que la règle précédente. L’exigence de la forme canonique est désormais valable pour tous les catholiques du monde. Ce décret précise que même les apostats sont tenus à la forme canonique, si bien que le mariage purement civil d’un apostat est invalide. Cette législation a été reprise dans le Code de 1917 au canon 1099 §1.

La réforme du nouveau Code

Cependant, en 1983, le pape Jean-Paul II modifia ce point de discipline, déclarant que, si un catholique a quitté l’Église par un acte formel, il n’était désormais plus tenu à la forme canonique[2]. Cette nouvelle norme a pour but d’exempter d’une loi positive irritante (invalidante) ceux qui ont quitté l’Église afin qu’ils puissent exercer leur droit naturel au mariage. Pour les apostats, un mariage purement civil est donc désormais valide. Les canonistes imbus des principes du concile Vatican II ont salué positivement cette nouveauté législative, estimant qu’elle reconnaissait mieux le droit à la liberté religieuse[3].

Une marche-arrière

Mais le pape Benoît XVI, en 2009, a eu la sagesse de revenir à la discipline traditionnelle[4] : tous ceux qui ont été catholiques sont tenus à la forme canonique, même s’ils ont abandonné l’Église. Par conséquent, si une personne qui a été catholique et qui a ensuite quitté cette Église souhaite se marier validement, elle doit échanger son consentement de mariage devant un curé de paroisse et deux témoins.

À l’appui de sa décision, Benoît XVI indiquait principalement deux raisons tout à fait pertinentes. La première, c’est qu’il était difficile dans la pratique de savoir si le catholique s’était vraiment séparé de l’Église par un acte formel. Or, l’enjeu est de taille, puisque la validité du mariage en dépend. Par exemple, le tribunal de la Rote a examiné un mariage célébré en 1993 et unissant deux fidèles de la Fraternité Saint-Pie X. Les contractants étaient-ils tenus à la forme canonique ? S’ils étaient membres de l’Église catholique, alors oui. Mais s’ils avaient quitté l’Église par un acte formel, alors non. Ce cas très simple en réalité a donné du fil à retordre à l’official de Dijon. Finalement, les juges de la Rote romaine, avec lucidité, estimèrent que ces fidèles, en suivant Mgr Marcel Lefebvre, sont demeurés dans l’Église catholique et ne sont pas passés à une autre Église. Ils étaient donc tenus à la forme canonique[5]. Certes, la conclusion est évidente et il est difficile de comprendre comment le juge de première instance, au tribunal du diocèse de Dijon, a pu conclure autrement. Mais cet exemple montre combien la législation de 1983 était source de confusion et compliquait singulièrement le travail des juges. Il est vrai que, le 13 mars 2006, le Conseil pontifical pour les textes législatifs publia une déclaration[6] qui définissait plus précisément le concept d’ « acte formel de défection de l’Eglise catholique », mais ce document a suscité à son tour de nouveaux questionnements, notamment quant à sa valeur rétroactive. La réforme de 2009 a donc mis fin à une insécurité juridique.

La seconde raison qui a poussé Benoît XVI à annuler la réforme de son prédécesseur, c’est que la nouveauté de Jean-Paul II rendait difficile le retour de ces baptisés qui désiraient contracter un nouveau mariage canonique, après l’échec du précédent. Avec la réforme de Benoît XVI, ce retour au bercail est plus aisé du fait que le mariage civil contracté dans l’apostasie est invalide. L’ancien apostat, revenu dans le giron de l’Église, peut donc plus facilement recommencer une vie nouvelle.

Dans le cas énoncé plus haut, le mariage de Robert est donc nul aux yeux de Dieu et de l’Église, sauf s’il a été contracté entre 1983 et 2009.

Le mariage religieux d’un apostat

Supposons maintenant que, pour des raisons quelconques, Robert, tout en restant apostat, souhaite que son mariage soit reconnu par l’Église catholique. Accompagné de sa fiancée, il va trouver le curé de sa paroisse et lui demande un mariage religieux. Si la fiancée n’est pas catholique, le curé lui expliquera qu’il existe un empêchement de mariage, qu’il faut donc demander à l’évêque une dispense, et que cette dispense sera probablement refusée parce que les enfants risquent de ne pas recevoir d’éducation catholique.

Si en revanche la fiancée est catholique, la situation semblerait à première vue plus simple. Pourtant, le curé de paroisse, constatant que l’un des futurs époux a notoirement abandonné la foi catholique, n’est pas autorisé à assister à de telles noces sans l’autorisation de son évêque[7]. Quant à l’évêque, si sa doctrine est indemne du libéralisme, il n’accordera pas cette autorisation sans avoir la certitude que les enfants de cette union recevront le baptême et une éducation catholiques[8]. Si notre apostat refuse de donner une telle garantie, l’évêque interdira à son curé de célébrer le mariage, et Robert se trouvera apparemment dans une impasse. Finalement, l’ancien catholique se demande si l’Église respecte son droit au mariage.

Il y a plus. Le droit pénal canonique prévoit une excommunication latae sententiae pour le délit d’apostasie[9], ce qui signifie que le catholique qui apostasie encourt ipso facto l’excommunication. Or, cette peine interdit d’administrer et de recevoir les sacrements[10]. L’apostat n’a donc le droit ni de donner un sacrement ni de le recevoir. Mais précisément, les baptisés qui échangent un consentement matrimonial se donnent mutuellement le sacrement de mariage. Ils sont non seulement sujets, mais aussi ministres du sacrement, comme l’a rappelé Pie XII dans son allocution aux jeunes époux du 5 mars 1941.

Dès lors, comment l’apostat pourrait-il se marier religieusement ? Quel prêtre accepterait de violer la loi de l’Église en recevant le consentement d’un excommunié ? Il semble, à première vue, que la législation canonique empêche l’apostat de se marier validement.

Une injustice ?

Plusieurs canonistes ont reproché à Benoît XVI d’avoir mis fin à la nouveauté législative de Jean-Paul II[11]. Ils fondent leur reproche sur plusieurs raisons, notamment la suivante : en imposant aux apostats la forme canonique, le législateur les place dans une impasse et leur dénie le droit de se marier validement. Or, ce jus connubii a toujours été reconnu dans l’Église : toute personne humaine jouit du droit fondamental au mariage[12]. Jean-Paul II avait mis fin à une injustice, disent-ils, mais Benoît XVI, en faisant machine arrière, retombe dans l’injustice à l’égard des apostats. Une telle vision des choses est-elle conforme à la réalité ?

Les droits de Dieu

Cette vision des choses est erronée du fait qu’elle oublie le principe selon lequel aucun droit de l’homme ne surpasse les droits de Dieu. En d’autres termes, le droit de désobéir à Dieu n’existe pas. Certes, l’homme a le droit de se marier, mais ce droit est limité par le droit de Dieu. Or, Dieu demande que les enfants reçoivent une éducation catholique. L’époux qui, bien que baptisé, refuse cette exigence, refuse de se soumettre à Dieu, et par suite perd son droit au mariage. Le canoniste Raoul Naz explique : « Dès qu’il y a péril de perversion pour le conjoint pleinement catholique ou pour les enfants, le mariage est défendu par la loi divine et ne devient licite qu’autant que ce double péril est écarté ou rendu fort éloigné »[13].

Un grave inconvénient ?

Dans son souci de garantir le droit au mariage, l’Église a pris des mesures pour que les baptisés puissent se marier validement même en l’absence de prêtre, s’il existe un grave inconvénient à le trouver ou à le faire venir pour qu’il célèbre le mariage[14]. Par exemple, en temps de persécution anti-chrétienne, ou bien dans des contrées où les prêtres sont rares, des fiancés peuvent rencontrer des graves difficultés pour échanger leur consentement devant le curé de la paroisse ou son délégué. Afin de permettre à ces futurs époux de se marier malgré ces circonstances, l’Église a toujours prévu la validité d’un tel mariage, à condition que les consentements soient échangés devant au moins deux témoins. Dans un tel contexte, la forme canonique requise, qualifiée d’extraordinaire, est donc simplifiée. D’où la question : un apostat pourrait-il invoquer la présence d’un grave inconvénient pour se marier devant deux témoins, sans prêtre ? Nullement. Il pourrait aisément se marier devant le curé de sa paroisse. Le grave inconvénient invoqué est purement subjectif et donc considéré par l’Église comme inexistant[15]. Dès lors, un tel mariage serait invalide.

Un abus de pouvoir ?

On pourrait aussi se demander à quel titre l’Église impose des lois à des personnes qui ne sont plus ses membres. En effet, l’apostat n’est plus catholique. Il n’appartient plus à cette société surnaturelle fondée par le Christ. Dès lors, de quel droit l’Église peut-elle lui imposer des règles ? Il faut répondre que l’apostat est baptisé. Or, le baptême assujettit aux lois de l’Église. Le baptisé peut certes quitter l’Église, mais il ne peut pas effacer son baptême. Le caractère baptismal est indélébile. En conséquence, l’apostat continue d’être lié malgré lui par les lois de l’Église. Il est vrai que l’Église pourrait les exempter de ses lois. Mais pourquoi accorder un privilège à ceux qui viennent de commettre une grave infidélité ? Les canonistes font remarquer que les apostats ne peuvent pas tirer avantage de leur défection pour se libérer des lois ecclésiastiques[16]. Leur abandon de la foi ne saurait leur profiter. Il serait par exemple paradoxal que les catholiques soient tenus de jeûner le Vendredi saint mais que les apostats n’y soient plus tenus.

Alors quel est le droit que l’Église reconnaît aux apostats ? Celui de se repentir, de renoncer à leur délit et de revenir dans le giron de l’Église. Utilisant un vocabulaire militaire, les théologiens expliquent que l’apostat est un déserteur[17]. Or, pendant une guerre, quel droit le général accorde-t-il à un déserteur ? Il doit revenir au plus vite dans son armée pour reprendre son poste, c’est tout. La situation d’un apostat est plus grave et plus coupable que celle d’un hérétique né dans l’hérésie, comme l’avait déjà noté l’apôtre saint Pierre : « Il aurait mieux valu pour eux ne pas connaître la vérité que de s’en écarter après l’avoir connue »[18].

Conclusion

La discipline de l’Église est donc sage. Dans une époque où les droits de l’homme sont présentés comme les droits suprêmes et absolus, le Droit canonique nous rappelle opportunément que l’homme est en-dessous de Dieu et que les droits de l’homme sont subordonnés aux droits de Dieu. La principale préoccupation du législateur ecclésiastique n’est pas de respecter les droits de l’homme mais de conduire les âmes au ciel. Abbé Bernard de Laco


[1] Saint Thomas, Suppl., q. 45, art. 5.

[2] CIC 1983 can. 1117.

[3] Voir par exemple Carmen Peña García, Mariage et causes de nullité dans le droit de l’Église, 2021, L’Harmattan, p. 349.

[4] Motu proprio Omnium in mentem du 26 octobre 2009, A.A.S., 8 janv. 2010, pp. 8-10.

[5] Sentence coram De Angelis du 8 juillet 2009 in L’année canonique, année 2011, p. 415.

[6] La Documentation catholique, année 2007, n°2378.

[7] CIC 1917 can. 1065 et 1066 ; CIC 1983 can. 1071, §1 et §2.

[8] CIC 1917 can. 1065, §2.

[9] CIC 1917 can. 2314, §1; CIC 1983 can. 1364.

[10] CIC 1917 can. 2260 ; CIC 1983 can. 1331.

[11] Par exemple Benoît Merly dans l’article : « Que reste-t-il du droit à l’apostasie dans l’Église catholique après le motu proprio Omnium in mentem ? » dans L’année canonique, t. 59, année 2018, p. 231.

[12] Voir par exemple les encycliques Arcanum de Léon XIII et Casti connubii de Pie XI.

[13] Traité de Droit canonique, Letouzey, 1955, t. 2, l. 3, n°389.

[14] CIC 1917 can. 1098 ; CIC 1983 can. 1116.

[15] Pour l’histoire et les conditions d’application de cette forme extraordinaire, voir l’article de Mgr Henri Wagnon, in L’année canonique, 1971, t. 15, p. 557.

[16] Dictionnaire de Droit canonique de Naz, art. « Apostasie », col. 649.

[17] Journet, L’Eglise du Verbe incarné, Desclée de Brouwer, 1951, t. 2, p. 803. Labourdette, La foi, Parole et silence, 2015, p. 282.

[18] II Pi II, 21.