Incapacité sacramentelle



Publié le 11/01/2024 sur internet
Publié dans le N°662 de la publication papier du Courrier de Rome



Que l’Église possède un pouvoir sur les sacrements, c’est certain. Mais fixer avec précision l’étendue de ce pouvoir peut s’avérer délicat.
1. Une situation complexe
Si un homme marié reçoit le sacrement de l’ordre, il désobéit gravement à la loi de l’Église latine, mais le sacrement de l’ordre est reçu validement, pourvu que la matière, la forme, le ministre et l’intention aient été présents. Cet homme marié est vraiment prêtre. Certes, il lui est interdit d’exercer son ministère, mais s’il désobéit et célèbre la messe, cette messe sera valide. En revanche, si un prêtretente de se marier, son mariage est invalide, en vertu d’une décision de l’Église. Il n’y a donc pas parité entre les deux situations, ce qui peut paraître étrange.On pourrait penser que le mariage s’oppose à la réception de l’ordre de la même manière et avec les mêmes conséquencesque l’ordre s’oppose à la réception du mariage. Pourtant, dans un cas, la désobéissance à la loi de l’Église rend le sacrement seulement illicite, alors que dans l’autre, le sacrement est invalide, c’est-à-dire nul.L’Église ne s’est-elle pas trompée en s’arrogeant le pouvoir d’établir des empêchements matrimoniaux dirimants, c’est-à-dire invalidants ? D’où l’objection suivante :
2. Objection
Un sacrement est infailliblement efficace si les conditions requises par le Christ sont réunies. L’Église n’a pas le pouvoir de déclarer inapte une matière ou une forme sacramentelle apte. L’Église ne peut donc constituer, de droit ecclésiastique, que des empêchements prohibants. Elle peut aussi déclarer des empêchements dirimants de droit divin. Mais elle n’a pas le pouvoir d’établir des empêchements dirimants de droit ecclésiastique, c’est-à-dire qu’elle n’a pas le pouvoir de rendre invalide et nul un mariage qui, selon le droit naturel et la volonté du Christ, est valide.
La même difficulté se rencontre avec l’exigence de la forme canonique du mariage. Avant le concile de Trente, les mariages clandestins étaient valides. Par conséquent, un jeune homme pouvait épouser vraiment, validement et sacramentellement une jeune fille sans qu’aucun témoin ne soit présent. Le seul échange des consentements suffisait. Mais l’Église, en 1563, a exigé la présence de témoins pour la validité du mariage, si bien que, désormais, un mariage clandestin est invalide, en vertu du droit ecclésiastique . L’Église n’outrepasse-t-elle pas ses droits en imposant de telles exigences ?
3. La validité d’un sacrement
Pour répondre à l’objection, rappelons que, pour recevoir un sacrement, certaines conditions sont requises. En l’absence de ces conditions, le sacrement est-il invalide, c’est-à-dire nul, ou bien est-il seulement illicite, c’est-à-dire valide mais interdit ? Saint Thomas répond en distinguant :
« La nature du sacrement suppose dans le sujet qui le reçoit, des conditions telles, qu’à leur défaut nul ne saurait bénéficier du sacrement ni de son effet. D’autres conditions sont imposées, non par la nature du sacrement, mais par quelque loi dont le but est d’honorer le sacrement ; qui ne les possède pas reçoit le sacrement, mais non son effet » .
En d’autres termes, il y a deux types d’empêchements, ou d’incapacités sacramentelles. Les premiers sont une conséquence de la nature même du sacrement. S’ils sont présents, le sacrement est non seulement illicite, mais aussi invalide. Par exemple, un homme veut baptiser son chien, une femme veut recevoir le sacerdoce, un non baptisé veut recevoir la confirmation, un fou veut se marier.Dans ces situations, rien ne se passe, il n’y a pas de sacrement. Pourquoi ? Parce que le sujet est radicalement inapte. Pour être baptisé, il faut posséder une âme rationnelle. Pour être prêtre, il faut être du sexe masculin. Pour recevoir la confirmation, il faut avoir reçu le sacrement qui est la porte des autres. Pour contracter mariage, il faut comprendre ce qu’est un engagement pour toute la vie.
Le deuxième type d’empêchement est exigé non par la nature du sacrement, mais par une loi positive de Dieu ou de l’Église. Ces empêchements rendent le sacrement illicite et infructueux, mais non invalide. Par exemple, un baptisé en état de péché mortel reçoit la confirmation, un enfant reçoit le sacrement de l’ordre, un homme ayant fait vœu privé de chasteté se marie. Dans ces situations, celui qui reçoit le sacrement désobéit gravement à la loi de Dieu ou de l’Église, si bien qu’il ne reçoit pas la grâce. Mais le sacrement existe bien, en sorte que le baptisé en état de péché mortel a vraiment reçu le caractère de la confirmation, l’enfant est vraiment devenu prêtre, l’homme ayant fait vœu privé de chasteté est vraiment lié pour toute la vie à son épouse.Dans ces situations, la matière est apte, bien que les conditions de réception du sacrement ne soient pas conformes à la volonté de Dieu et de l’Église.
L’Église arépondu solennellement,au Concile de Trente,à la question des empêchements de mariage : « Si quelqu’un dit que seuls les degrés de consanguinité ou d’affinité exprimés dans le Lévitique peuvent empêcher de contracter mariage et rendent nul celui qui a été contracté, que l’Église ne peut dispenser d’aucun d’entre eux ni décider qu’un plus grand nombre soit cause d’empêchement et de nullité, qu’il soit anathème » .
« Si quelqu’un dit que l’Église n’a pas pu établir des empêchements dirimant le mariage, ou qu’elle s’est trompée en les établissant, qu’il soit anathème » .
Cependant, ces affirmations claires et solennelles du Magistère ne donnent pas l’explication.Quelle est l’origine d’un tel pouvoir ?
4. La spécificité du sacrement de mariage
La réponse théologique se fonde sur le fait que le mariage est non seulement un sacrement, mais aussi un contrat. Or, nul ne conteste que l’autorité a le pouvoir de déterminer certaines conditions pour la validité des contrats établis entre ses sujets. Par exemple, une législation civile peut établir qu’un contrat est nul si la date n’y figure pas. De même, l’autorité ecclésiastique a le pouvoir d’établir des conditions pour que le contrat de mariage entre baptisés soit valide. En agissant ainsi, elle ne modifie pas la substance du sacrement de mariage.
Voici l’explication du cardinal Gasparri :« Il est vrai que l’Église ne peut pas faire en sorte que la matière et la forme aptes, substantiellement inchangées, deviennent inaptes au sacrement. Par exemple, que le vin, demeurant du vin, ne soit plus apte au sacrifice de la messe. Cependant, la matière et la forme aptes au sacrement peuvent substantiellement changer, et alors devenir inaptes. Par exemple, le vin, une fois devenu vinaigre, n’est plus apte au sacrifice de la messe. Or, dans notre cas, comme la matière et la forme du sacrement de mariage résident dans le contrat valide, l’Église ne peut pas faire en sorte que le contrat valide ne soit plus matière et forme aptes au sacrement de mariage. Mais elle peut bien faire en sorte que le contrat ne soit plus valide, et ainsi elle a le pouvoir de le changer substantiellement. Par suite, rien d’étonnant à ce qu’il soit inapte au sacrement » .
Le Dictionnaire de Droit canoniquedit, dans le même sens : « Le pouvoir souverain de l’Église s’étend même aux empêchements dirimants, qui rendent nul le contrat. Le caractère sacramentel du mariage ne s’y oppose pas, car, en déclarant certaines personnes inhabiles à contracter, l’autorité ecclésiastique atteint directement le contrat et indirectement le sacrement, qui n’existe que conjointement à un contrat valide » .
5. Analogie avec le sacrement de l’ordre ?
L’histoire de l’Église nous rapporte un trait qui éclairera notre propos. Au Moyen-Age, la cupidité des clercs les a poussés à pratiquer la simonie. Les sacrements étaient estimés à prix d’argent, ce qui est un sacrilège. Pour lutter contre ces graves abus, certains papes, surtout au 11eet 12e siècles, ont cru pouvoir déclarer invalides les ordinations épiscopales et sacerdotales simoniaques. Par exemple, il est écrit au canon 10 du premier concile du Latran qui s’est déroulé en 1110 :« Ce qui a été décidé pour les simoniaques, nous aussi nous le confirmons selon le jugement du Saint-Esprit de par notre autorité apostolique. Aussi tout ce qui a été acquis, soit dans les ordres sacrés, soit dans les affaires ecclésiastiques, moyennant la promesse ou le don d’argent, nous décidons que cela est nul et ne peut jamais avoir aucune valeur. Quant à ceux qui sciemment ont accepté d’être consacrés – ou mieux : profanés – par des simoniaques, nous déclarons leur consécration totalement nulle » . Ces propos laissent entendre que le souverain pontife a le pouvoir de déclarer nul un sacrement qui, sans cette intervention, serait valide. Pourtant, si sont présents la matière, la forme et le ministre ayant l’intention de faire ce que fait l’Église, comme le sacrement peut-il être invalide ?
En réalité, d’après l’opinion des théologiensqui se sont penchés sur ces cas, les papes qui ont agi ainsi se sont trompés, tout simplement. Ils ont cru que leur pouvoir s’étendait là où, en fait, il ne s’étend pas . Les ordinations simoniaques sont valides, quoi qu’en disent les papes. Saint Thomas écrit en effet : « Le péché de simonie n’empêche pas la réception du sacrement. Il peut cependant empêcher la réception de la grâce s’il y a un péché du côté de celui qui reçoit le sacrement » . Il est clair que de telles ordinations sont gravement illicites et coupables, mais ceci est une autre question.
6. Conclusion
Il apparaît donc que le mariage est un sacrement unique en son genre, parce qu’il est le seul à avoir été institué par le Christ par mode de contrat. Or,ce sont les contractants qui sont la cause efficiente d’un contrat. Si ces contractants sont sujets de l’Église par le baptême, l’Église peut établir des empêchements qui rendant les contractants inhabiles à se marier.
Saint Thomas explique la même chose : « On assigne des empêchements au mariage, plutôt qu’aux autres sacrement, parce que (…) le mariage a sa cause en nous et en Dieu, tandis que la cause des autres sacrements n’est qu’en Dieu » . Et plus loin :« Le mariage a pour cause le consentement des contractants : il n’en est pas de même pour l’ordre dont la cause sacramentelle est déterminée par Dieu. Aussi bien, l’ordre qui précède le mariage peut empêcher ce dernier d’être valide, tandis que le mariage ne peut pas faire que l’ordre soit invalide : l’efficacité des sacrements est infaillible, alors que les actes humains peuvent rencontrer des empêchements » .
La sainte Église possède donc un pouvoir plus grand sur le mariage que sur les autres sacrements.
Abbé Bernard de Lacoste

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