Tentatives de divorce catholique



Publié le 11/01/2024 sur internet
Publié dans le N°661 de la publication papier du Courrier de Rome



La religion catholique est la seule à enseigner une morale conjugale intègre et parfaitement conforme à la loi naturelle. Mais nombreuses sont les tentatives astucieuses pour détruire cette morale, tout en s’appuyant sur des fondements séduisants.
1. L’exemple des orthodoxes
Pour les orientaux schismatiques, notamment lesorthodoxes, le mariage est dissoluble en cas d’adultère ou pour toute autre cause grave comme la folie d’un des conjoints, la haine de l’un pour l’autre, etc. Leur premier argument est tiré d’une mauvaise interprétation de la parole du Christ « excepta fornicationis causa » (Mat V, 32 et XIX, 9). Le conjoint innocent aurait le droit de se remarier. Leur second argument s’appuie sur le fait que le lien matrimonial est rompu par la mort. Prenant mort au sens large, ils estiment que la mort civile (condamnation à une peine infamante), la mort religieuse (apostasie) ou une absence prolongée peuvent rompre le lien . Cette morale est tellement séduisante qu’elle a été proposée par un évêque soi-disant catholique pendant la 4e session du Concile Vatican II, en automne 1965. Roberto de Mattei raconte :« Une “bombe”, comme les journaux l’écrivirent, qui explosa dans l’aula le 29 septembre, fut l’intervention de Mgr Zoghby, vicaire patriarcal des Melchites d’Egypte. Le prélat en effet mit en discussion l’indissolubilité du mariage, prenant la défense du“conjoint innocent” dans un couple divorcé, et souhaitant que dans ce cadre le Concile décide d’appliquer la pratique des églises orthodoxes. Le dossier pour jalonner son intervention avait été préparé par le bénédictin Dom Olivier Rousseau, disciple de Dom Beauduin. Le matin suivant, le cardinal Journet répliqua avec force que le commandement positif divin de l’indissolubilité du mariage n’admettait pour l’Église ni exception ni dérogation. Journet avait été prié par Paul VI lui-même d’intervenir, et il avait travaillé son texte jusqu’à une heure du matin de ce jour-là » .
La tentative a donc échoué, mais le seul fait qu’une telle solution ait été proposée dans l’aula conciliaire manifeste sa puissance de séduction.
2. Une fausse non-consommation
Sachant que le pape a le pouvoir de dissoudre un mariage non consommé (voir l’article précédent), certains ont tenté d’élargir le concept de non-consommation.
On se souvient qu’un mariage est qualifié de consommé lorsque, après l’échange des consentements, les époux ont posé l’acte qui a fait d’eux une seule chair (CIC 1917 can. 1015 §1). Or, plusieurs controverses ont surgi concernant ce qui est requis pour que cet acte consomme le mariage au sens canonique. Les canonistes et le Saint-Siège ont été amenés à donner des précisions. Par exemple, si l’acte conjugal est vicié par un instrument qui bloque le passage du semen virile, il ne consomme pas le mariage. Une question plus difficile est celle de savoir si le mariage est consommé par un acte conjugal posé contre le gré de l’une des parties, ou bien si l’une des deux ne jouit pas de l’usage de la raison. Traditionnellement, la réponse est affirmative. Seul importe l’aspect physique de l’acte . Mais cette doctrine a été modifiée dans le Code de 1983. Il est écrit au canon 1061 que le mariage est consommé si les conjoints « ont posé entre eux, de manière humaine [humano modo], l’acte conjugal de soi apte à la génération ». Dès lors, l’aspect purement physique ne suffit plus. Un élément psychologique est introduit.
Pourquoi ne pas aller encore plus loin dans les exigences requises pour que l’on puisse qualifier un mariage de canoniquement consommé ? Voici ce que propose un canoniste audacieux : « Le mariage serait considéré comme consommé (et partant comme absolument indissoluble) lorsque les époux auraient conduit l'amour conjugal à un certain achèvement humain et chrétien ; lorsqu'ils auraient constitué une profonde communauté de vie, symbole explicite de l'Alliance ; lorsqu'ils auraient acquis pleine conscience que l'indissolubilité de leur mariage s'enracine dans leur foi et leur fidélité au Christ » . Autrement dit, tant que l’amour conjugal n’a pas atteint cet achèvement humain et chrétien, le mariage ne pourrait pas être qualifié de « consommé ». Par conséquent, le pape aurait le pouvoir de le dissoudre, ce qui résoudrait bien des drames. Solution pastoralement très séduisante, mais théologiquement et canoniquement inacceptable. En effet, c’est le consentement des parties qui fait le mariage, et la qualité de l’amour qui unit les époux ne modifie en rien la fermeté du lien conjugal.
3. Dissolution automatique
Un autre canoniste va encore plus loin. Pierre Hayoit, ancien official (juge ecclésiastique) de Tournai, écrit en 1992, non sans témérité : « Indépendamment de toute décision judiciaire, un mariage peut se dissoudre de lui-même, c’est-à-dire par le seul jeu des circonstances. La communauté profonde, en quoi consiste le mariage (cf. Gaudium et spes n° 48 et can. 1055 §1), peut ne pas s’instaurer en fait, entre les époux ou, si elle a existé un moment, elle peut se détériorer et cesser totalement au fil des ans, parfois même très rapidement. Cet état de choses n’entraîne-t-il pas, par lui-même, la dissolution du mariage ? Je le pense. Certes, en pareil cas, c’est la situation objective qui entraîne la dissolution du mariage, et non pas une libre décision des époux » .
Il est inutile de montrer combien cette thèse ruine de fond en comble le mariage comme contrat, tel qu’il a été institué par le Créateur. Cependant, ce canoniste a le mérite de mettre en évidence les conséquences tragiques de la nouvelle définition du mariage, telle qu’elle est donnée par Vatican II : si l’on définit le mariage comme « communauté profonde de vie et d’amour », alors, logiquement, lorsqu’une telle communauté n’existe plus, le lien se dissout par lui-même. Traditionnellement, en se fondant sur le canon 1081 du Code de 1917, le mariage pouvait être ainsi défini : contrat par lequel chaque partie donne réciproquement le droit sur son corps pour les actes aptes à la génération. Hélas, le nouveau Code n’a pas repris cette formulation si claire et si précise. Au canon 1055 §1, il se contente de dire que le mariage est « une communauté de toute la vie », ce qui est plus satisfaisant que la formule de Vatican II, mais qui peut être interprété dans un sens trop large.
4. Hiérarchie des valeurs
Mentionnons aussi la thèse de Helmuth Pree, professeur de Droit canonique à l’Université de Linz (Autriche). Il remarque avec justesse : « L’enseignement du Concile Vatican II en matière de droit matrimonial est caractérisé par un net déplacement d’accent vers une conception essentiellement personnaliste du mariage – différente d’une conception plutôt institutionnaliste et finaliste » . Il explique ensuite qu’il existe une échelle dans les valeurs. Or, il faut parfois sacrifier un bien pour obtenir un bien supérieur. « Il s’agit de donner à l’indissolubilité sa juste place dans l’échelle des valeurs et des biens. Si par exemple les deux partenaires peuvent dire devant Dieu et en toute bonne foi qu’après un examen consciencieux de la situation, ils ne se considèrent pas liés l’un à l’autre, parce que leur relation n’a pas atteint un seuil minimum d’union humaine, l’on peut se demander si la norme juridique (avec son bien de protection juridique du mariage dans l’intérêt du bien commun) remplit encore sa fonction de service ou n’existe plus que comme fin en soi ». Il conclut que, dans l’esprit de Vatican II, puisque le mariage est d’abord pour la personne, il faut parfois savoir sacrifier l’indissolubilité du mariage pour le bien des personnes. Actuellement, c’est le mariage, donc la sécurité juridique, qui jouit de la faveur du droit. Il faut que désormais ce soit plutôt la liberté des chrétiens qui jouisse de la faveur du droit.
On voit une nouvelle fois comment la vision révolutionnaire du mariage développée à Vatican II est une source empoisonnée.
5. Comment le pape François a réussi à contourner l’obstacle
Le pape François s’est luiaussi attaqué à l’indissolubilité matrimoniale, et d’une façon redoutablement efficace. Il sait très bien que le mariage ratum et consummatum est absolument indissoluble. Il l’a rappelé plusieurs fois, notamment dans l’exhortation Amoris lætitia. Intelligent, il n’a pas cherché à étendre le privilège pétrinien au-delà de cette limite extrême. Il désire pourtant donner une nouvelle chance aux époux dont le premier mariage fut un échec. Que faire ? Le pape a trouvé la solution astucieuse en 2015, par le motu proprio Mitis judex qui simplifie de façon outrancière la procédure des causes matrimoniales . Ainsi, apparemment, l’indissolubilité du mariage est préservée en droit. Mais en fait, elle est ruinée par la facilité déconcertante avec laquelle certains tribunaux, diocésains ou romains,vont pouvoir prononcer des sentences de nullité. Dès lors, lorsque des époux veulent divorcer tout en respectant les lois de l’Église, ils vont trouver un tribunal ecclésiastique. Si les juges sont complaisants, ils pourront déclarer que le mariage n’a en réalité jamais existé, si bien qu’un remariage est possible. C’est ce qu’a bien vu le canoniste Cyrille Dounot : « L’on ne peut que s’étonner d’un tel chamboulement de la procédure canonique, et des risques qu’il entraîne sur la solidité des jugements qui seront rendus en son application. De nombreux principes sont contournés, renversés ou ignorés. Sous des apparences strictement procédurales, cette profonde dévaluation du procès en nullité de mariage risque d’assimiler nullité (déclarative) et annulation (performative). Il n’est pas sûr que cela rende service à l’indissolubilité du mariage catholique. (…)Pie XI, dans sa première encyclique Ubi arcano Dei , dénonçait l’existence d’un “modernisme juridique”, condamné “aussi formellement que le modernisme dogmatique”. Cette formule peut paraître surprenante dans la bouche d’un pontife, puisqu’elle laisse entendre que le législateur ecclésiastique puisse succomber au modernisme, au moins du point de vue normatif. À comparer la tactique moderniste dénoncée par saint Pie X dans l’encyclique Pascendi, consistant en une affirmation de principe (ici l’indissolubilité du mariage) suivie immédiatement de son contournement pratique ou de sa relativisation (ici, la multiplication voulue et facilitée du nombre des nullités), il est possible de s’interroger sur la possible adéquation de cette formule avec le motu proprio Mitis Judex. Espérons que le législateur, dans sa sagesse, sache revenir sur ce texte afin de mieux traduire la doctrine catholique du mariage en langage canonique, et d’une manière conforme aux principes juridiques » .
6. Conclusion
L’histoire de l’Église montre que les papes ont toujours défendu avec une fermeté inébranlable le principe de l’indissolubilité du mariage ratum et consummatum, parfois même dans des circonstances tragiques, face aux revendications violentes des princes chrétiens. Par exemple, Nicolas 1er contre Lothaire II, Innocent III contre Philippe Auguste, Pie VII contre Napoléon 1er, Clément VII contre Henri VIII d’Angleterre. Mais le Concile Vatican II est capable de faire vaciller les certitudes même les mieux établies.
Abbé Bernard de Lacoste

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