L’évolution de Jacques Maritain



Publié le 30/12/2022 sur internet
Publié dans le N°654 de la publication papier du Courrier de Rome



Du Christ-Roi à Humanisme intégral

Introduction
Lorsqu’en 1965 le Pape Paul VI remet à Jacques Maritain le message que le Concile Vatican II adresse aux intellectuels, le Pape n’entend pas seulement saluer une amitié forgée depuis vingt ans dans une commune inquiétude sur la modernité, mais surtout honorer un « maître dans l’art de penser, de vivre et de prier » dont les réflexions ont suscité et alimenté le projet de réconciliation de l’Eglise avec le monde moderne.
Pourtant Jacques Maritain avait été d’abord un penseur majeur de l’antimodernité dont l’œuvre de philosophie thomiste reste aujourd’hui une référence. Comment le contempteur de la modernité est-il devenu le pionnier de la liberté religieuse ?

1. La conversion
Petit-fils du républicain Jules Favre, Jacques Maritain (1882-1973)est un esprit brillant assoiffé d’absolu. Etudiant desséché par le scientisme de la Sorbonne, il traverse une profonde crise métaphysique. Son ami Charles Péguy le rapproche du philosophe spiritualiste Bergson. Le dépouillement et le mysticisme de Léon Bloy le touchent et l’amènent à recevoir le baptême avec sa femme Raïssa en 1906. Ils mènent ensemble une vie monacale,épris de contemplation et de vérité. Sous la direction spirituelle du Père Clérissac (o.p.), le couple Maritain découvre saint-Thomas d’Aquin à partir de 1909 et se détache peu à peu du socialisme politique.

2. Le penseur antimoderne
Dans le sillage du renouveau thomiste initié par Léon XIII,Jacques Maritain fait rayonner la pensée du Docteur commun au-delà des cercles ecclésiastiques. Ses premiers écrits le signalent comme un penseur majeur de l’antimodernitéau début du XXème siècle : « La cellule où Luther a discuté avec le diable, le poêle où Descartes a eu son fameux songe, l’endroit du bois de Vincennes où Jean-Jacques, au pied d’un chêne, a trempé son gilet de pleurs en découvrant la bonté de l’homme naturel, voilà les lieux où le monde moderne a pris naissance » . Admirateur de la chrétienté médiévale, Maritain ne retient pas ses coups contre l’âge moderne inauguré par la Renaissanceet marqué par un nouvel esprit anthropocentrique : « L’animal raisonnable va s’appuyer sur lui-même, la pierre d’angle ne sera plus le Christ. L’esprit d’indépendance absolue qui, en définitive, porte l’homme à revendiquer pour lui-même l’aséité, et qu’on peut appeler l’esprit de la Révolution antichrétienne, s’introduit victorieusement en Europe avec la Renaissance et la Réforme, il soustrait à l’ordre chrétien ici la sensibilité esthétique et toutes les curiosités de l’esprit, là la spiritualité religieuse et la volonté, et vise à remplacer partout le culte des trois personnes divines par le culte du moi humain. »

3. Un combat commun avec l’Action Française
Son combat intellectuel contre l’esprit de révolution antichrétienneainsi que l’influence du Père Clérissacle rapprochent du mouvement de l’Action Française.En 1917, Maritain partage avec Charles Maurras un héritage dont une partie sert à fonder la Revue universelle, dirigée par Jacques Bainville avec Henri Massis comme rédacteur en chef. Maritain y tient la chronique de philosophie et marque ainsi la collaboration entre le nationalisme intégral et le catholicisme thomiste.Les deux familles de pensée se retrouvent dans le principe de réalité, l’ordre naturel, l’objectivité, la restauration de l’intelligence ainsi que le rejet du libéralisme et de l’idéalisme allemand. L’empirisme organisateur du disciple d’Auguste Comte paraît proche du réalisme thomiste et la fibre sociale de l’ancien socialiste se retrouve dans le discours antilibéral d’Action Française inspiré du catholicisme social de René de la Tour du Pin.

4. La rupture avec l’action française 1926
Le combat doctrinal contre les « principes de1789 »que Maritain mène en commun avec l’Action Française subit de plein fouet la condamnation de l’école royaliste et de son chef par Pie XI en 1926. D’abord partisan d’une solution qu’il esquisse dansUne opinion sur Charles Maurras, le professeur de l’Institut catholique de Paris est ensuite chargé d’expliciter les motifs d’une condamnation romaine maladroitement engagée.

5. La transcendance de la politique chrétienne
Un an après l’encyclique Quas Primas, la réflexion de Jacques Maritain portealors surla doctrine du Christ-Roi et ses conséquences. Il l’expose à grand renfort de citations du magistère dans son livre Primauté duspiritueldont il donne une synthèse dans un article de la Revue des Jeunes de mars 1927 intitulé Pie XI et le Christ-Roi. Maritain y affirme la double royauté spirituelle et temporelle du Christ, ainsi que les droits terrestres de sa royauté spirituelle. En outre, le refus par le Christ d’exercer une royauté temporelle souligne la transcendance de la fin ultime : le bonheur éternel. « La société civile doit poursuivre le bien commun temporel selon qu’il aide les hommes à obtenir la vie éternelle. » « Le bien lui-même de la cité doit être ordonné à cette fin dernière surnaturelle qui est celle de chaque homme en particulier.(…)Le politique lui-même pour être ce qu’il doit, demande que le spirituel prime le politique, que l’ordre au salut éternel prime l’ordre aux biens d’ici-bas. » Il s’attache ainsi à fonderla doctrine traditionnelle de la subordination du pouvoir temporel au pouvoir spirituel, soulignant la « royauté spirituelle de l’Eglise » : « C’est dans le pouvoir indirect de l’Eglise du Christ sur le domaine temporel que se réalise concrètement, de la façon la plus sensible, la plus vive et la plus significative, la primauté du spirituel. » Maritain dénoncedoncle laïcisme comme « séparation d’avec le Christ résultant de la longue revendication d’aséité que la créature humaine poursuit depuis plus de trois siècles, et qui s’est traduit dans l’ordre moral, social et politique par le vœu de n’obéir qu’à soi-même formulé par Rousseau et par Kant. » AinsiPrimauté du spirituelse veut une réponse au mot d’ordre maurrassien « politique d’abord » devenu le symbole du « modernisme politique » dénoncé par Pie XI.

6. La voie des moyens pauvres
« Si l’Eglise condamne la politique de Maurras, il faut suivre une autre politique, mais strictement spirituelle. » Après les espoirs douchés d’une restauration d’un ordre politique sain avec l’Action Française, Jacques Maritain désespère de toute politique. Henri Massis témoigne : « Maritain s’enfonça dans une sorte de retrait qui lui faisait m’avouer avec une véritable angoisse : « Quelle signification des actes du Pape, sinon un avertissement de désespérer de toute action de masse, de tout travail humain d’ensemble, de tout effort politique, de laisser le monde se décomposer, mourir de misère, et de se retrancher dans le travail solitaire que chacun peut faire en essayant de témoigner pour la vérité ? Je ne peux guère les comprendre autrement … » Oui, c’était bien ainsi qu’atteint au vif de son être, Maritain exprimait son propre désarroi, glissant à un mysticisme qui n’a plus d’espoir sur cette terre, et déjà prêt à abandonner tout le reste. »
Finalement, Maritain cherche une troisième voie plus spirituelle : « Ce n’est pas par la reconstruction d’une chrétienté politique, - la paix la plus simple et la plus précaire est déjà si difficile à obtenir dans ce monde détourné de Dieu, - c’est d’abord et avant tout par la restauration et l’expansion de la chrétienté spirituelle qu’elle s’efforce d’étendre sur l’univers la royauté du Christ, pax Christi in regno Christi. » Entre les deux impasses condamnées du Sillon et de l’Action Française et dans la ligne des prescriptions de Léon XIII concernant l’attention aux classes laborieuses, il propose de nouveaux moyens pour la restauration de la chrétienté, non plus politiques, mais spirituels qu’il appelle les « moyens pauvres ».« S’ils puisent dans la prière le véritable esprit d’apostolat, les jeunes gens qui auront répondu à l’appel de Pie XI travailleront - plus efficacement qu’en s’adonnant avant tout à l’action politique - non seulement à l’évangélisation des âmes, mais aussi et du même coup pour la civilisation et la patrie. »
Il indique, outre la nécessité d’une vie contemplative, un programme d’union apolitique des catholiques dans la fidélité aux directions pontificale, union à concrétiser dans l’action sociale et apostolique, union qui manifestera l’universalisme d’un ordre social catholique au-delà des partis.Ainsi la « primauté du spirituel » se traduit en pratique par l’utilisation des « moyens pauvres »seuls véritablement proportionnés au caractère transcendant de la politique chrétienne.

7. Universalisme chrétien contre nationalismepaïen
La caractéristique d’une politique chrétienne qui transcende les enjeux temporels est son universalité. La controverse autour du livre d’Henri Massis Défense de l’Occident accentue les positions de Maritain sur l’incompatibilité entre l’universalisme chrétien et le nationalisme. Très en vogue après la 1ère guerre mondiale, la notion d’« Occident »chez ce catholique maurrassien, désigne le monothéisme judéo-chrétien « enrobé dans l’héritage de la culture gréco-latine ».Contre cette identification entre la civilisation occidentale et le catholicisme,Maritain se fait le champion de l’universalisme catholique : « Rome n’est pas la capitale du monde latin, Rome est la capitale du monde. L’Eglise est universelle parce qu’elle est née de Dieu, toutes les nations s’y trouvent chez elle, les bras en croix de son maître sont étendus par-dessus toutes les races et toutes les civilisations. »
Dans le contexte de la « paix de Locarno » visant la réconciliation des belligérants de la 1ère guerre mondiale, Maritain entend désolidariser l’Eglise de tout parti pris culturel comme de tout intérêt national. « Ce serait une erreur mortelle de confondre la cause universelle de l’Eglise et la cause particulière d’une civilisation, de confondre par exemple latinisme et catholicisme, ou occidentalisme et catholicisme.Le catholicisme n’est pas lié à la culture occidentale. L’universalité n’est pas enfermée dans une partie du monde. » Dans une Europe moralement épuisée et culturellement laminée, il voit l’opportunité d’une clarification : « L’Eglise nous rappelle que si notre culture est gréco-latine, notre religion ne l’est pas. Elle a assumé cette culture, elle ne s’y est pas subordonnée. »

8. Le basculement : Religion et culture
Les réflexions de Maritain sur l’universalisme chrétien opèrent un basculement dans sa pensée. En 1929, il publieReligion et culture, texte développé d’une conférence faite à Fribourg en Suisse. Il approfondit son intuition des moyens pauvres évoquée dans Primauté du spirituel: « Entant que le temporel agit précisément comme instrument du spirituel et sert à l’ordre propre de celui-ci, ce qui compte pour l’issue décisive ce n’est pas le succès du combat, c’est la manière dont il est mené, et les armes dont on se sert. »
A la lumière de la parabole évangélique du bon grain et de l’ivraie, il adopte une nouvelle lecture de l’histoire admettant un progrès général de la « prise de conscience de soi » à partir de la Renaissance et de la Réforme :« En vertu de l’ambivalence de l’histoire, l’âge réflexe (…) comportait par ailleurs un enrichissement incontestable. » Pour en sauver les « richesses de vie », il appelle de ses vœux un humanisme « purifié par le sang du Christ », un « humanisme de l’Incarnation » convaincu qu’un « certain bien et une certaine vérité sont immanentes à ces formes nouvelles » et qu’il est demandé à la pensée catholique de « travailler à réconcilier le monde à la vérité » . En se dégageant des pesanteurs temporelles de la civilisation chrétienne occidentale, la pensée catholique se rend apte à « dégager les civilisations non chrétiennes de leurs tares » et à faire émerger d’autres civilisations chrétiennes car « la vraie religion transcende toute civilisation et toute culture. » « Non seulement donc nous devons nous garder de confondre l’Eglise avec quelque civilisation que ce soit, mais nous devons aussi nous garder de confondre en quoi que ce soit, l’Eglise avec la civilisation chrétienne ou le monde chrétien, le catholicisme avec le monde catholique. »

9. La solution personnaliste
A partir de Religion et culture, la question de la liberté humaine, si prégnante dans le développement de l’humanisme, est au cœur des réflexions de Jacques Maritain et l’amènent à dessiner les contours d’une organisation de la vie sociale centrée sur l’idée personnaliste. En 1933 dans Du régime temporel et de la libertéil entend« montrer que la philosophie de saint Thomas n’est pas seulement une philosophie de la nature ou plusgénéralement de l’être, mais aussi (…) une philosophie de la liberté. » Il explique que « La liberté de choix, la liberté au sens de libre arbitre, n’est pas sa fin à elle-même. Elle est ordonnée à la conquête de la liberté d’autonomie et d’exultation(c’est-à-dire finalisée par le bien et le vrai) ; et c’est dans cette conquête exigée par les postulations essentielles de la personnalité humaine, que consiste le dynamisme de la liberté. »
Fort d’une nouvelle distinction entre individu et personne, il affirme que « le bien commun de la cité temporelle est essentiellement subordonné (…) au bien intemporel de la personne humaine prise en tant même que personne, (…) et que cependant le bien temporel de la personne humaine prise en tant qu’individu ou partie de la cité, est subordonné aux biens du tout, qui comme tel est supérieur. » Il en vient à adopter l’idée d’une cité pluraliste « qui, sans reconnaître de droit à l’hérésie elle-même, assure à l’hérétique ses libertés de citoyen, et lui accorde même un statut juridique approprié à ses idées et à ses mœurs » estimant qu’une telle cité« favorise certes beaucoup moins qu’une cité moins patiente la vie spirituelle des personnes du côté de l’objet de celle-ci, (…) mais elle favorise davantage la vie spirituelle des personnes du côté du sujet, dont le principe d’exterritorialité à l’égard du social-terrestre, à titre d’esprit, capable d’être instruit du dedans par l’auteur de l’univers, est porté à un niveau plus élevé. » Dansune telle civilisation, l’unité sera une « unité d’orientation, qui procède d’une commune aspiration (..) à une forme de civilisation parfaitement consonante aux bien intemporels de la personne et à sa liberté d’autonomie. »
Cette distinction entre personne et individu est une nouveauté. Inexistantechez saint Thomas d’Aquin, elle trouve sa genèse chez le Père Garrigou-Lagrangeet affleure déjà en 1925 dans Les trois réformateurs. Elle trouve toutefois ici une résonnance capitale puisqu’elle sert à fonder une nouvelle articulation entre temporel, spirituel et surnaturel.
Les nombreux contacts entretenus depuis quelques années avec le philosophe russe en exil Nicolas Baerdiev ou le jeune Emmanuel Mounier ont certainement orienté les réflexions de Maritain en ce sens. Emmanuel Mounier,marqué par la lecture de Primauté du Spirituelet désireux de rompre avec le désordre établi,partage avec le philosophe thomisteune admiration pour Charles Péguy considéré comme un penseur de l’Incarnation : « Le spirituel est constamment couché dans le lit de camp du temporel ».Jacques MaritainaccompagneEmmanuel Mounier dansun projet qui aboutira à la fondation de la revue Esprit en1932.Contre la dictature de l’argent, la revue défend les droits de la personne humaine et devient la caisse de résonnance de l’inspiration personnaliste simultanément anti-individualiste et anti-totalitaire. Selon l’article programmatique du 1er numéro, une « réinterprétation de la matière » dans un cadre spirituel et « une réhabilitation de la communauté » permettraient de corriger l’individualisme de la Renaissance et les excès collectivistes. L’idée se fonde sur cette même distinction entre les deux notions d’individu et de personne, la 1ère renvoyant à la partie matérielle de l’homme, et la 2nde à la partie spirituelle : « La personne signifie ce qu’il y a de plus excellent dans toute la nature, à savoir un subsistant (existant per se séparément) dans la nature raisonnable tandis que notre individuation émane de ce qu’il y aen nous de plus infime, c’est-à-dire la matière. » En conséquence, l’homme comme individu est ordonné au bien commun de la société civile mais « la fin de l’homme, en tant que personne, est supérieure à la fin de la société civile. » En s’éloignant de la définition traditionnelle de la personne formulée par Boèce (« rationalisnaturaeindividuasubstantia ») Maritain introduit une antinomie individu-personne qui ouvre la porte vers une nouvelle conception de la dignité de la personne humaine.Nettement plus proche de celle de Kant, elle permet de faire coïncider pratiquement la « cité maritainienne avec la cité séculière de l’impiété. »

10. Conséquence : la chrétienté profane
Bien des années plus tard, dans Le Paysan de la Garonne,Maritain saluera la fondation de la revue Espritcomme « le point de rupture qui annonçait la fin de la confusion. » Dès lors, le critique de la modernité se tourne résolument vers l’élaboration d’un nouvel humanisme qui prend corps en 1936 dans Humanisme Intégral, problèmes temporels et spirituels d’une nouvelle chrétienté.
Reprenant une série de six leçons données en août 1934 à l’Université d’été de Santander, il y décrit un nouvel idéal de chrétienté, analogique avec celui de la chrétienté médiévale, porteur de la même sève chrétienne, mais pluraliste et ouverte aux idées de liberté et de laïcité : « Cité laïque vitalement chrétienne ou Etat laïc chrétiennement constitué » , une chrétienté d’orientation et non plus formelle : une « chrétienté profane ».
Le nouvel humanisme intégral « n’adore pas l’homme, mais respecte la dignité humaine, fait droit aux exigences intégrales de la personne. Orienté vers une réalisation sociale-temporelle de cette attente évangélique à l’humain qui ne doit pas exister seulement dans l’ordre spirituel, mais s’incarner. »
Il donne une version aboutie de sa lecture historique esquissée dans Religion et Culture. C’est l’histoire de la désarticulation du rapport entre la grâce et la liberté au profit d’un partage de l’initiative avec Dieu. Cela a conduit à une anthropologie schizophrène des doubles fins ultimes (naturelle et surnaturelle) caractéristique de l’âge classique.
Il propose un nouvel humanisme destiné à sauver les vérités humanistes défigurées par quatre siècles d’humanisme anthropocentrique. Il y a une croissance organique tout à la fois de l’Eglise et du monde, ce qui exclut le retour au passé mais implique un nouvel âge de culture chrétienne où la créature est réhabilitée en Dieu : c’est l’humanisme intégral, théocentrique. « L’humanisme intégral est capable de sauver et de promouvoir, dans une synthèse fondamentalement différente toutes les vérités affirmées ou pressenties par l’humanisme socialiste. » L’humanisme intégral « est capable de tout assumer, parce qu’il sait que Dieu n’a pas de contraire et que tout est irrésistiblement emporté par le mouvement du gouvernement divin. »
Le mondeest ce« champ commun à l’homme, à Dieu et au diable » où le chrétien s’efforce de réaliser les vérités de l’évangile« non pas pour faire de ce monde le royaume de Dieu,mais le lieu d’une vie terrestre véritablement et pleinement humaine, (…) pleine de défaillances mais aussi d’amour, dont les structures sociales aient pour mesure la justice, la dignité de la personnehumaine, l’amour fraternel. » Cette action chrétienne dans le monde est œuvre de sainteté, mais « d’une sainteté tournée vers le temporel, le séculier, le profane. »
Ce nouveau régime de civilisation doit être à la fois communautaire (bien commun supérieur au bien individuel) et personnaliste (fin supra-temporelle de la personne humaine supérieure au bien commun temporel fin intermédiaire ou « infravalente »).
Pour justifier un lien avec la chrétienté médiévale, Maritain recourt à l’analogie sans vraiment masquer l’équivocité : « Un âge nouveau du monde permettra aux principes de cette civilisation vitalement chrétienne de se réaliser selon un nouvel analogué concret. »
Entre lelibéralisme anthropocentrique et leSaint-Empirechrétien,Humanisme intégraldessine une nouvelle civilisation où « le principe universel de la royauté du Christ s’applique ici en toute vérité, non pas selon le mode extérieurement manifesté et signifié au plus haut degré qui était celui de la civilisation médiévale, ni selon le mode surtout apparent et décoratif qui fut celui de l’âge classique, mais selon un mode réel vital quoique moins manifestement déclaré dans les structures et dans les symboles de la vie sociale. »

Conclusion
Dans Maritain en notre temps, Henry Bars écrit : « Au cas où le père Clérissac n’aurait pas orienté son fils spirituel vers l’Action Française, nous n’aurions probablement pas eu Primauté du spirituel, ni peut-être Humanisme intégral » .Il est certain que la condamnation de l’Action Française a été un drame dans la vie de Maritain. L’évolution intellectuelle déclenchée par cet événement au nom de la défense du Christ-Roi conduira le penseur de l’antimodernité à penser l’effacement des droits du Christ de sorte que « chaque reproche fait par Maritain à Maurras peut être fait à Maritain après 1930. La différence vient de l’application analogique de la primauté du spirituel. Si l’âge de la civilisation n’est plus sacral, la liberté religieuse est une nécessité. »

Abbé Jean de Loÿe

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